Intervention de Ary Chalus

Séance en hémicycle du 10 avril 2013 à 15h00
Prorogation du régime social du bonus exceptionnel outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAry Chalus :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, chers collègues, nous examinons aujourd'hui la proposition de loi tendant à proroger jusqu'au 31 décembre 2013 le régime social du bonus exceptionnel outre-mer, mis en place par l'article 3 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, dite LODEOM.

Ironie de l'histoire ou choix délibéré, il vous faut savoir, chers collègues, que le 27 mai est une date hautement symbolique et chargée d'histoire pour les Guadeloupéens. C'est en effet à cette date que chaque année, en Guadeloupe, nous commémorons l'abolition de l'esclavage. C'est également un 27 mai, en 1967, que des événements tragiques se sont déroulés lors d'une grève d'ouvriers du bâtiment.

Nos concitoyens porteront donc une attention spéciale au sort de cette loi. L'article 3 de la LODEOM formalisait les accords interprofessionnels signés en 2009 dans les quatre départements d'outre-mer, accords qui tentaient de clore, par la négociation, l'un des épisodes les plus marquants de notre histoire ultramarine.

Un retour sur la séquence des événements de 2009 s'impose ici, car il permet de souligner le caractère indispensable et urgent de la mesure visée par la présente proposition de loi.

Le 20 janvier 2009, une grève générale débute en Guadeloupe et s'étend à la Martinique le 5 février 2009. Les principales revendications de ce mouvement sont la baisse des prix, notamment des carburants et de l'alimentation, jugés abusifs, et une demande de revalorisation des bas salaires.

La caractéristique la plus marquante de ce mouvement social est qu'il est porté par des collectifs regroupant certes des syndicats, mais aussi des organisations associatives, culturelles et politiques représentant légitimement une importante frange de la population : le désormais célèbre LKP de la Guadeloupe, qui regroupait une cinquantaine d'organisations ; le Collectif des organisations syndicales et politiques de La Réunion, ou COSPAR, créé en février 2009 ; le Collectif du 5 février pour la Martinique.

Le 26 février 2009, un accord interprofessionnel est signé pour une augmentation des bas salaires : il s'agit de l'accord Bino, du nom du syndicaliste Jacques Bino, tué par balle le 18 février au cours des nuits d'émeutes que nous ne souhaitons plus revivre. J'y étais personnellement, M. le ministre peut en témoigner ; nous avons vécu des moments très difficiles.

À l'issue de quarante-quatre jours de grève générale en Guadeloupe, un accord est signé le 5 mars 2009 entre le LKP, les collectivités territoriales et l'État. Un protocole de fin de conflit est signé le 14 mars à la Martinique, après trente-huit jours de grève.

Le 10 avril 2009, le Gouvernement annonce l'extension à toutes les entreprises guadeloupéennes de l'accord du 26 février garantissant une hausse de 200 euros sur les bas salaires, jusqu'à 1,4 fois le SMIC, à l'exception de l'article 5 qui prévoyait que ces 200 euros seraient à la seule charge des employeurs au terme des trois ans de l'accord.

La LODEOM a donc repris l'esprit de ces accords, en mettant notamment en place le régime social du bonus exceptionnel. Elle a en outre étendu le dispositif à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.

Ce dispositif incitatif, qui cible les bas salaires, s'appuie sur le versement par les employeurs d'un bonus exonéré des charges sociales à l'exception de la contribution sociale généralisée, de la contribution au remboursement de la dette sociale et du forfait social.

Cela a permis l'abondement, sous conditions et de manière encadrée, des salaires de plus de 200 000 travailleurs ultramarins, le montant de la prime pouvant atteindre 200 euros par mois, contribution de l'État incluse. Or selon l'article 3, ce dispositif est appelé à s'arrêter en 2013, entre les mois de mars et de décembre, selon les dates de signature des accords.

Pourtant, les conditions sociales et économiques à l'origine de la crise sociale de 2009 ne sont pas très différentes de celles qui ont cours aujourd'hui dans les départements et les collectivités d'outre-mer. Le revenu médian des ménages d'outre-mer reste encore inférieur de 38 % à celui des ménages de la métropole.

De plus, parmi les causes du mécontentement d'alors, la faiblesse de l'activité économique et son corollaire, un taux de chômage supérieur à 20 % dans l'ensemble des départements d'outre-mer, font encore partie de la réalité ultramarine.

Notons au passage qu'à l'instar de la métropole, la hausse du chômage semble résister à toutes les mesures prises jusqu'ici. J'ai récemment alerté le Gouvernement sur les conséquences de l'application des règles de recouvrement des dettes sociales des entreprises qui, nombreuses en outre-mer, se retrouvent en situation de dépôt de bilan. Certaines, au premier trimestre de cette année, y ont déjà été contraintes : au cours des trois dernières semaines, une cinquantaine d'entreprises guadeloupéennes ont été liquidées.

De toute évidence, l'interruption, même programmée, de ce dispositif, provoquerait une baisse instantanée et significative du pouvoir d'achat de près d'un quart des familles d'outre-mer, la part des salariés à faible revenu y étant nettement plus élevée qu'en métropole. Cette baisse sensible des revenus des ménages modestes ne fera qu'aggraver une situation plus que précaire, augmentant d'autant le risque d'explosion sociale.

Nous ne souhaitons pas, cette fois-ci, être pris au dépourvu ! Le Gouvernement s'est d'ores et déjà engagé à proroger le dispositif, dans l'attente des effets positifs espérés, sur le coût de la vie, de la loi sur la régulation économique en outre-mer et de la montée en charge des nouvelles mesures prises pour lutter contre le chômage telles que les emplois d'avenir et le contrat de génération.

Bien entendu, ces mesures, pour pertinentes qu'elles soient, ne nous exonèrent pas d'une réflexion plus approfondie et, je l'espère, pragmatique, sur la réalité de nos territoires.

L'examen à venir des textes se référant à l'acte III de la décentralisation devra nous permettre de définir sans tabou ni arrière-pensée les conditions d'une refondation du pacte social dans les territoires d'outre-mer.

Aujourd'hui, il y a urgence. La pertinence du maintien jusqu'au 31 décembre 2013 du dispositif mis en place par l'article 3 de la LODEOM est avérée au vu de la situation économique et sociale des départements et collectivités d'outre-mer.

D'autres éléments contribuent à alourdir le climat économique : la situation du secteur du bâtiment, en panne de commandes publiques ; l'avenir incertain de la défiscalisation et les conséquences du recouvrement immédiat des charges sociales qui pourraient entraîner la disparition de près de 8 000 entreprises et de 20 000 emplois.

Les accords Bino ont une symbolique forte. La non-prorogation constituerait le prétexte attendu pour relancer un mouvement social de plus grande ampleur, dont les conséquences seraient sans doute plus graves et plus désastreuses pour l'outre-mer.

Je vous invite donc, chers collègues, à adopter sans délai la proposition de loi pour la prorogation jusqu'au 31 décembre 2013 du régime d'exonération de cotisations sociales appliquée au bonus salarial exceptionnel versé par les employeurs installés en outre-mer.

Il est vraiment dommage que la Constitution nous empêche d'aller un peu plus loin car sinon, nous vous l'aurions proposé. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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