Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui en première lecture, soumise à la procédure d'examen accélérée, est issue d'une proposition de M. Gérard Miquel, sénateur du Lot et président du Conseil national des déchets. Déposée le 22 janvier 2013, elle a été débattue le 12 février dernier en séance publique au Sénat. Elle y a été adoptée dans des termes très proches de la rédaction retenue initialement par la commission du développement durable de cette assemblée, qui a été saisie au fond.
À l'Assemblée nationale, la proposition de loi a été examinée le 13 mars par notre commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, et adoptée à l'unanimité de ses membres. J'en profite ici pour remercier nos collègues de l'opposition pour leur soutien à ce texte et pour l'esprit de responsabilité dont ils ont fait preuve lors de son adoption.
Texte d'ambition modeste, certes, cette proposition de loi n'en est pas moins très attendue par l'ensemble des éco-organismes de la filière à responsabilité élargie des producteurs relative aux équipements électriques et électroniques ménagers.
L'urgence qui s'attache à son adoption m'a conduit à faire le choix de ne pas déposer d'amendements. J'espère que notre assemblée se rangera également au principe d'un vote conforme, qui permettrait de reconduire un ensemble de dispositions ayant fait la preuve de leur pertinence, avec une solution de continuité minimale.
Avant que ne s'ouvre le débat et que je ne vous adresse quelques questions, madame la ministre, je souhaiterais revenir brièvement sur la filière dite des D3E, sur la question de l'équilibre économique des éco-organismes concernés, ainsi que sur la finalité des dispositions aujourd'hui soumises à l'appréciation de notre assemblée.
La mise en place d'une filière de collecte et de traitement des déchets d'équipements électriques et électroniques dans notre pays est issue de la transposition d'une directive européenne en date du 27 janvier 2003. La filière a officiellement vu le jour le 13 août 2005 pour les déchets d'équipements professionnels et le 15 novembre 2006 pour les déchets d'équipements ménagers.
La directive de 2003 a imposé aux États membres une série d'obligations telles que, par exemple : l'éco-conception des équipements électriques et électroniques, pour favoriser leur réemploi et leur recyclage ; la collecte sélective des D3E, avec un objectif de collecte pour valorisation de quatre kilos par an et par habitant pour les D3E des ménages à compter de 2006 ; le traitement systématique de certains composants, comme les condensateurs aux biphényles polychlorés et les cartes de circuits imprimés, et de certaines substances dangereuses, comme le mercure et les chlorofluorocarbures ; ou encore, la réutilisation, le recyclage et la valorisation des D3E collectés, avec des objectifs de recyclage et de valorisation élevés.
Pour donner quelques ordres de grandeur, le tonnage de D3E collectés en 2011 avoisinait les 450 000 tonnes au plan national, soit 6,9 kg par an et par habitant en moyenne, donc bien au-dessus de l'objectif de quatre kilos par an et par habitant fixé pour 2006 par la directive D3E. Ces déchets étaient constitués à hauteur de 25 % par des écrans, 18 % par du « gros électroménager froid », 22 % par des « petits appareils en mélange », 34 % par du « gros électroménager hors froid » et seulement 1 % par des lampes.
Les metteurs sur le marché sont par ailleurs tenus d'informer les acheteurs du coût de gestion des D3E en indiquant, au pied de la facture de vente, le montant de l'éco-contribution perçue lors de la vente. Ce montant varie naturellement selon l'équipement considéré et l'éco-organisme auquel le producteur adhère.
La prolongation, jusqu'en 2020, de ce mécanisme d'éco-contribution répercutée à l'identique sans marge ni réfaction jusqu'au consommateur final constitue le coeur même de la présente proposition de loi.
Les équipements électriques et électroniques se caractérisent en effet par une durée de vie relativement longue, qui peut atteindre une douzaine, voire une quinzaine d'années.
Les études d'échantillonnage et l'analyse des flux de D3E réalisées continûment depuis 2008 confirment effectivement que le taux de présence des « déchets historiques » – soit ceux mis sur le marché avant le 13 août 2005 – parmi les D3E collectés de toutes catégories confondues est encore, à ce jour, très élevé, puisqu'il est nettement supérieur à 50 % : il oscille entre 83 % pour les petits appareils ménagers et 96 % pour les écrans et les gros appareils électroménagers de froid.
Dans ce contexte et au regard tant de l'équité que des risques évidents de contentieux, il est difficile de mettre à la charge des producteurs présents sur le marché, au moment de l'entrée en vigueur du régime de responsabilité, les coûts de collecte et de traitement générés par des biens mis sur le marché par des producteurs désormais disparus.
C'est pourquoi le législateur, par des dispositions codifiées à l'article L. 541-10-2 du code de l'environnement, a disposé que les coûts afférents aux « D3E historiques » devaient être traités autrement que selon le principe de droit commun, conformément auquel les producteurs ont vocation à internaliser leurs coûts : c'est le système de contribution visible et répercutée que nous connaissons actuellement.
Selon un scénario volontariste de décroissance du taux de déchets historiques de 7 % par an, ce taux resterait supérieur à 50 % jusqu'en 2020. Ce n'est que par la suite que les produits neufs subventionneraient majoritairement le traitement des déchets issus de produits récents, et non celui des déchets historiques.
Cette proposition de loi vise donc à prolonger jusqu'en 2020 ce mécanisme d'affichage distinct sur les factures du montant des éco-contributions supportées et l'obligation pour tous les maillons successifs de la chaîne de distribution de répercuter ce montant, sans marge ni réfaction, jusqu'au consommateur final, avec un affichage sur deux lignes mentionnant le prix total du produit et la part de l'éco-participation.
À cette date et alors que les filières de traitement des D3E auront disposé du temps nécessaire pour se consolider et amortir le coût de leurs installations, la question se posera d'un retour au droit commun et aux mécanismes concurrentiels habituels d'internalisation des coûts.
Ce mécanisme ne me semble pas appeler, par lui-même, d'autres remarques particulières. Soulignons toutefois qu'il s'inscrit pleinement dans une stratégie d'économie circulaire et que la filière représente à ce jour près de 3 600 emplois, dont 1 500 emplois d'insertion. Afin d'élargir le débat de ce soir à la filière responsabilité élargie des producteurs des D3EE ménagers prise dans son ensemble, je souhaiterais, madame la ministre, vous poser trois séries de questions.
Tout d'abord, une directive D3E révisée a été publiée le 24 juillet 2012 au Journal officiel de l'Union européenne, après trois ans et demi de discussions au niveau européen. Cette directive refond la première version de la directive D3E, qui datait de 2003, et contient un certain nombre d'évolutions que vous avez soulignées.
Les dix catégories actuelles de produits seront ainsi réduites à six en 2018, afin de mieux refléter la réalité des flux de D3E collectés. Les registres nationaux devront être harmonisés, afin de simplifier les formalités administratives pour les producteurs et favoriser l'échange d'informations entre les États membres. Les obligations de collecte nationale vont être progressivement augmentées et les modalités de calcul seront modifiées, avec un système par paliers et des clauses de rendez-vous en 2016 et 2019. Les distributeurs auront ainsi l'obligation d'assurer la collecte dite « 1 pour 0 », pour les petits appareils dans les magasins disposant de surfaces de vente de plus de 400 m2. Quant aux objectifs de recyclage et de valorisation, ils seront augmentés de cinq points en 2015 pour les dix catégories actuelles d'équipements.
Eu égard au fait que la directive révisée est entrée en vigueur le 13 août dernier et que les États membres ont dix-huit mois pour transposer le texte, ce qui nous conduit à la date du 14 février 2014, ma première série de questions portera sur cette directive et sur les modalités de sa transposition.
Pourriez-vous nous indiquer quelles seront les dispositions législatives existantes qui seront impactées par cette transposition ?
Un projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne, dit DDADUE, a été débattu avant-hier devant la commission du développement durable de notre assemblée. Si des modifications législatives sont nécessaires pour transposer la directive D3E, l'examen de ce texte la semaine prochaine par l'Assemblée nationale – ou, plus tard, en première lecture devant le Sénat – ne constituerait-il pas une excellente occasion de les opérer ? Deux cents amendements ont déjà été adoptés par la commission ; sans doute pouvons-nous nous permettre d'en accepter encore quelques-uns.
Compte tenu du relèvement très substantiel du niveau global d'exigences en termes de collecte, de recyclage et de valorisation, quels moyens nouveaux, quels instruments ou quelles réorientations envisagez-vous pour l'action publique, afin que ces objectifs puissent être atteints ?
Ma deuxième série de questions portera sur le fonctionnement de la filière REP dans son ensemble.
J'ai rappelé, il y a quelques instants, que la collecte de D3E ménagers n'avait pas atteint en 2011 l'objectif de 7 kilogrammes par habitant fixé par les pouvoirs publics aux éco-organismes. Pour ce qui concerne l'année 2012, Éco-systèmes – qui occupe une place dominante dans la filière, avec près de 75 % de parts de marché – a annoncé le 3 avril dernier avoir collecté 334 000 tonnes de sèche-cheveux, téléphones, imprimantes et autres équipements électriques et électroniques, soit 7 kilogrammes par habitant – en deçà donc de l'objectif de 8 kilogrammes par habitant visé pour la fin de l'année dernière et encore plus loin de celui attendu pour 2019 qui s'élève à 14 kilogrammes par an et par habitant.
Il y a donc urgence à passer à la vitesse supérieure. Toutes les initiatives pour développer la collecte en libre-service dans les enseignes de distribution ou pour orienter les Français vers le don, l'échange, la réparation ou éventuellement le recyclage grâce à un service d'aide en ligne sont naturellement les bienvenues. Quant à savoir si elles seront suffisantes, un doute est permis.
Les éco-organismes généralistes de la filière des D3E estiment que les 7 kilogrammes supplémentaires par an et par habitant qu'il leur faut récupérer d'ici 2019 – soit l'équivalent du tonnage qu'ils collectent d'ores et déjà – se trouvent principalement chez les ferrailleurs, où les déchets sont démembrés pour en récupérer les matériaux valorisables. Cela se fait sans dépollution, ce qui pose le problème des émissions de gaz à effet de serre, et dans un respect des réglementations sanitaires et environnementales très aléatoire.
Il est malheureusement avéré qu'une autre partie de ces déchets fait l'objet de vols et de trafics en tous genres, aux mêmes fins de récupération de leurs composants ou de matériaux constitutifs. La réintégration de l'ensemble du gisement potentiel dans les filières éco-organisées de traitement des déchets et le démantèlement des circuits clandestins ne seront pas chose aisée et cela nécessitera certainement l'appui des pouvoirs publics.
Partagez-vous, madame la ministre, l'analyse des éco-organismes quant au volume et à la nature du gisement de D3E à réintégrer dans le circuit normal de traitement, afin d'atteindre les objectifs fixés par l'Union européenne ? Si oui, comment l'État peut-il aider les éco-organismes très volontaires dans la lutte contre des mécanismes et des filières illicites, parfois reliées à des réseaux de trafiquants transnationaux ?
Ma troisième et dernière série de questions nous fera revenir au plus près de la proposition de loi et du mécanisme de l'éco-participation affichée et répercutée à l'identique.
Je rappelle tout d'abord que la réglementation française en vigueur en matière de D3E, figurant notamment aux articles R. 543-172 et suivants du code de l'environnement, ne fait pas de différence entre le commerce physique, dit « de proximité », et le commerce à distance.
Aussi, au regard des textes applicables, les distributeurs à distance ont-ils les mêmes obligations que celles qui s'imposent aux distributeurs de proximité, à savoir qu'ils doivent reprendre – ou faire reprendre – gratuitement les équipements usagés lors de l'achat d'un nouvel appareil, dans la limite de la quantité et du type d'équipement vendu – la « reprise 1 pour 1 » – et qu'ils doivent informer les acheteurs de l'obligation de ne pas jeter les D3E avec les déchets ménagers ainsi que des systèmes de collecte mis à leur disposition.
En outre, les distributeurs à distance sont des producteurs au sens de la réglementation D3E, pour les produits qu'ils importent ou introduisent sur le marché national, et il leur incombe donc à ce titre de pourvoir financièrement et opérationnellement à la collecte et au traitement des D3E mis sur le marché ; d'afficher, pour chaque équipement mis en vente et dans les conditions prévues par la loi, le coût correspondant à son élimination – dispositif de l'éco-participation visible ; de s'inscrire au registre national des producteurs d'équipements électriques et électroniques tenu par l'ADEME ; enfin d'y déclarer les quantités annuelles mises sur le marché.
Les contrôles de la DGCCRF et l'observation des acteurs, qu'il s'agisse des entreprises ou des éco-organismes, ont conduit au constat de diverses présomptions d'infractions au regard des textes applicables. La plus fréquente concerne l'absence de solutions de « reprise 1 pour 1 », tout en admettant qu'il faille probablement faire la différence entre d'une part, les « click and mortar », qui disposent de certaines facilités pour se conformer à cette obligation, du fait qu'ils peuvent mutualiser les circuits logistiques avec l'enseigne dont ils sont la filiale ; d'autre part, ceux qu'on appelle les « pure players », qui ignorent purement et simplement l'obligation de reprise ou l'appliquent au minimum en proposant des solutions peu visibles ou difficilement accessibles, voire payantes.
D'autres infractions ont été constatées sur des sites en ligne, y compris sur celui d'une très grande enseigne américaine connue de tous, comme l'absence d'éco-participation visible. Des cas ont été rapportés de sites qui affichent et perçoivent l'éco-participation, alors qu'ils ne semblent adhérer à aucun des éco-organismes agréés.
Dans ce contexte, mes questions sont très simples : que faire pour garantir chez tous les acteurs le respect des obligations fixées par la réglementation D3E ? Faut-il durcir l'arsenal répressif et, dans ce cas, auriez-vous des propositions en ce sens à nous présenter ? Faut-il mieux sensibiliser les distributeurs à distance à leurs obligations et, dans ce cas, envisagez-vous d'ores et déjà de telles actions de sensibilisation ou des formes d'aide à la mise en place de plans d'action par les intéressés ? Faut-il plus généralement revoir le cadre réglementaire applicable aux D3E ?
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les auditions que j'ai organisées m'ont convaincu de l'opportunité de proroger un dispositif qui apporte une réponse pragmatique, qui présente un certain nombre de vertus pédagogiques et économiques et se voit soutenu tant par les pouvoirs publics que par l'ensemble des acteurs, notamment les éco-organismes.
Pour toutes ces raisons, je recommande que cette proposition de loi soit définitivement adoptée ce soir par notre assemblée, afin de permettre une mise en oeuvre aussi rapide que possible, dans un geste de responsabilité élargie du parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)