Intervention de Gilles Compagnat

Réunion du 28 février 2013 à 8h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gilles Compagnat, pilote du groupe de travail sur les évaluations complémentaires de sureté, ECS, HCTISN :

J'ai piloté le groupe de travail ECS, que nous avons appelé dès le début « groupe de travail audit ».. Je rappelle que nous avons été, en mars 2011, sollicités par les deux ministres en charge de la sûreté nucléaire. Très rapidement, le Haut comité a décidé de créer un groupe de travail dédié qui a travaillé près d'un an et demi, en trois grandes phases.

Dans la première phase, nous avons travaillé avec l'Autorité de sûreté nucléaire, notamment MM. André-Claude Lacoste et Nielle ainsi que la direction de l'ASN, sur le cahier des charges en cours de constitution pour lancer ces audits. Nous avons adopté, dans un premier temps, l'avis n°4 du 3 mai 2011, dans lequel nous formulions un certain nombre de demandes, qui ont été prises en compte par l'Autorité de sûreté nucléaire. Nous avons demandé que l'on ait un regard attentif sur les facteurs organisationnels et humains, parce qu'il nous a semblé que dans la sûreté il y avait bien entendu le matériel, qu'il faut toujours essayer d'améliorer et de rendre plus fiable, mais également les hommes et les femmes qui travaillent dans le secteur nucléaire. Nous avons été entendus sur ce point. Nous avons fait une deuxième demande à l'Autorité de sûreté nucléaire : aller au-delà des seules centrales nucléaires, ce qui était, il me semble, dans la lettre de mission du Premier ministre. Ont donc été intégrés les usines d'AREVA, du CEA, et l'Institut Laue-Langevin de Grenoble.

Dans la deuxième phase de nos travaux, entre juin et décembre 2011, nous avons pu auditionner un certain nombre d'experts du domaine qui touchaient les ECS, à savoir des inondations, des tremblements de terre, etc., et également des experts en facteurs socio-organisationnels et humains. À l'issue de cette deuxième phase, nous avons proposé au Haut comité, en réunion plénière, l'avis n° 6, transmis à l'Autorité de sûreté nucléaire et adopté le 8 décembre 2011.

Enfin, nous avons consacré la troisième phase, menée jusqu'à décembre 2012, à approfondir les questions liées aux facteurs organisationnels et humains, ainsi qu'à la sous-traitance. Pour ce faire, et c'est là que nous avons été un peu originaux, nous avons, d'une part, auditionné les trois grands exploitants nucléaires, qui nous ont exposé leur politique industrielle et de sous-traitance, et, d'autre part organisé des tables rondes sur plusieurs sites nucléaires : trois sites d'EDF, un d'AREVA et un du CEA. Ces tables rondes, nous les avons voulues les plus larges possible, et c'est en cela que nous répondons à votre demande d'aujourd'hui. Nous avons fait l'exercice d'équilibriste de rassembler dans une même réunion, qui peut durer jusqu'à cinq ou six heures, les exploitants nucléaires, les donneurs d'ordre, les représentants des industries sous-traitantes, leurs personnels, les organisations syndicales, les médecins du travail, les inspecteurs du travail, l'Autorité de sûreté nucléaire, et j'en passe… Nous avons vu beaucoup de monde sur les sites que nous avons visités. Je ne voudrais pas oublier les directions de ces sites, et profiter de cette tribune pour les remercier, car nous avons été très bien reçus. Nous avons pu voir ce que nous avions envie de voir, même si nous avons parfois dérogé à la règle que nous nous étions fixée, c'est-à-dire que nous avons pu changer les thèmes des discussions prévues, et ainsi examiner des éléments initialement non prévus.

Une synthèse rapide de nos travaux tiendrait en une vingtaine de points.

Je passe assez vite sur le fait que le processus des ECS est long et continue encore dans un autre organisme.

Nous avons noté la bonne information du public concernant aussi bien de grandes instances - IRSN, ASN et autres -, que des exploitants nucléaires. Ces derniers ont fait un gros travail d'information à la fois de leurs salariés, mais également des salariés sous-traitants.

Nous avons relevé que si la mise en ligne quasi-instantanée des informations venant de Fukushima était une bonne chose, il fallait, autant que faire se peut, non pas les filtrer, mais les hiérarchiser, afin de les rendre assimilables par le public. Nous avons également pu constater l'implication très forte des commissions locales d'information, comme par exemple celles de Manche-Mer du nord, de Paluel-Penly, de Flamanville ou de Golfech. J'ai eu l'occasion de représenter le Haut comité à une réunion de la CLI de Cadarache où il y a eu également un débat, pendant toute une journée, sur la sous-traitance, ce qui tend à prouver que nous avons débloqué ce débat, ce qui n'était pas forcément évident à faire.

Nous nous sommes engouffrés dans la proposition que nous a faite l'ASN de participer aux comités d'orientation sur les facteurs socio-organisationnels et humains. M. Chevet est là, je pense qu'il pourra peut-être en dire un mot, mais nous participons activement à ce comité d'orientation qui nous semble être le relais de ce que nous avons pu engager comme discussions, ou faire engager comme débats, aussi bien sur tout ce qui est lié à l'humain, au centre de la sûreté nucléaire, souvent décrit comme étant le maillon faible, mais nous pensons, et nous sommes nombreux à le penser au sein du Haut comité, qu'au contraire, l'humain constitue un atout important dans la conduite des installations, notamment en cas de crise majeure. Nous nous sommes lancés très rapidement dans les travaux du comité d'orientation sur les facteurs socio-organisationnels et humains, et j'ai l'honneur de piloter un groupe de travail qui est encore plus pluraliste que celui que j'ai mené au sein du Haut comité puisque ce dernier n'avait « que » sept collèges.

Le comité d'orientation de l'ASN est encore plus large en termes de représentation, ce qui veut dire que les numéros d'équilibriste que nous devrons faire seront peut-être encore plus périlleux, mais je suis persuadé que nous y arriverons parce que plus on parle de sûreté nucléaire, plus on parle de l'homme, plus on parle également de sous-traitance, et mieux cela vaut. La problématique de la sous-traitance est pour nous une question majeure. Je crois que tout le monde l'a bien compris. Les exploitants nucléaires ne rechignent plus à nous présenter leur politique industrielle avec laquelle on peut être d'accord ou pas. Mais nous avons toujours tenté d'évaluer si les exploitants avaient encore la maîtrise de leur outil de production.

Un point important, sur lequel nous allons travailler d'arrache-pied avec les exploitants et l'ASN, dans le cadre du comité d'orientation sur les facteurs socio-organisationnels et humains, concerne les modalités d'intégration des sous-traitants durant des situations de crise. Jusqu'à présent, les exploitants nucléaires, quand ils nous présentent leur plan d'urgence interne, affirment pouvoir faire avec les moyens propres de leur organisation. Or, lorsque la sous-traitance avoisine les 60 à 70 % de l'effectif, il est loisible d'estimer qu'en cas de crise majeure, les sous-traitants seront de toute manière impliqués et insérés dans les organisations de crise.

Je pense que vous attendez aussi un retour d'expérience. Encore une fois le travail que nous avons mené est un exercice d'équilibriste. Faire en sorte de trouver un accord entre Greenpeace, France nature environnement, la CGT, la CFDT, les exploitants, les parlementaires et d'autres, n'est pas toujours évident. Nous avons toujours tenté le maximum pour trouver des termes qui conviennent à tous, bien que quelques fois, moi le premier, nous en sortons un peu frustrés.

Nous aurions, en effet, bien voulu aller plus loin sur ces questions, car plusieurs sont en suspens, notamment celle qui demande que les lettres des exploitants, suite aux inspections nucléaires de l'ASN, soient rendues publiques. Mais les exploitants soutiennent que ce n'est pas possible car elles sont trop techniques, et que personne ne les comprendrait. Néanmoins, je pense que nous avons lancé le débat, et nous ne souhaitons pas qu'il soit enterré. Il faudra qu'il revienne sans arrêt, sous forme d'échanges, pour trouver un compromis de manière à ce que la transparence de l'information soit le plus largement possible assurée pour le public. C'est d'ailleurs le titre de la loi TSN de 2006 qui, pour nous, semble une très bonne loi, puisqu'elle a donné un droit à l'information du public. Et ce droit à l'information, en tant que Haut comité, fait partie de nos missions premières.

La confrontation lors des débats pluralistes se tient très souvent, j'en ai fait l'expérience, entre, d'une part, les exploitants et d'autre part, en quelque sorte, la société civile : les associations et les syndicats. Il faut toujours avoir en tête qu'existe une confrontation et un clivage permanents entre des intérêts souvent contradictoires mais pour lesquels on essaie de toujours trouver un compromis, et je pense qu'on y arrive.

Une difficulté sur laquelle nous avons buté, lorsque nous sommes allés sur les sites de Flamanville, La Hague, Golfech et Cadarache, c'est de faire s'exprimer les salariés, particulièrement ceux des sous-traitants. Un salarié qui a en face de lui son donneur d'ordre, et à côté de lui son patron, a du mal à exprimer ce qu'il ressent. Nous avons tenté de contourner la difficulté, notamment à Golfech, où nous avons profité d'un grand arrêt de tranche, une « décennale », pour rencontrer les personnels. Nous avons pu discuter avec des salariés, malheureusement sur un laps de temps réduit, et donc ce que nous avons entendu et vu n'est pas exhaustif, mais nous avons quand même mesuré les choses : une très grande différence de traitement entre les salariés des grands groupes industriels qui sont là en tant qu'ensembliers et qui ont tout ce qu'il faut, primes de déplacement, etc., et les autres, ceux qui font partie des petites entreprises ou ceux qui arrivent en fin d'arrêt, et qui n'ont pas une perspective assez large. Donc ceux-là n'ont rien. Ils ont donc de grosses difficultés. C'est donc sur ceux-là qu'il faudra que nous travaillions.

J'ai trouvé les médecins du travail très réservés, notamment les médecins du travail sous-traitants et même ceux d'EDF. Je sais qu'on ne peut inférer dans la médecine, mais quand on demande aux médecins comment ils voient la population en face d'eux, ils ont des propos que j'ai trouvés, non pas lénifiants, mais très réservés. Nous n'avons pas pu aller plus loin dans ces discussions.

Les inspecteurs du travail, en dehors de ceux de l'ASN qui disposent d'une liberté d'accès et de parole importante, ressentent une grande frustration, car souvent il y a des freins quand ils veulent intervenir chez des exploitants, parce qu'ils n'arrivent pas sur un chantier à brûle-pourpoint. Nous avons bien senti qu'ils tiraient une sonnette d'alarme.

Un point a fait beaucoup débat au sein de notre groupe de travail. L'ASN avait proposé au Haut comité d'intervenir en tant qu'observateur dans les inspections ciblées qu'elle organisait en parallèle des ECS, ce que le CEA et AREVA ont refusé. Nous n'avons donc pu participer qu'aux inspections ciblées d'EDF et de l'Institut Laue-Langevin de Grenoble. Nous avons exprimé notre désaccord. Les exploitants ont trouvé un argument qui peut s'entendre. Mais nous avons été très frustrés par ce refus. De la même façon, le fait qu'AREVA et le CEA ne veuillent pas participer au Comité d'orientation de l'ASN, sinon en tant qu'observateurs, va poser un problème, car plus la discussion est large, plus facilement nous pourrons trouver des solutions et des orientations.

Notre rapport a été adopté à l'unanimité du haut comité : c'est peut-être en contradiction avec ce que je disais tout à l'heure mais nous avons toujours essayé, et je pense que le président Revol y est pour beaucoup par sa manière d'écouter tout le monde et de prendre en compte toutes les expressions, de trouver un compromis.

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