Intervention de Thibaut Labalette

Réunion du 28 février 2013 à 8h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Thibaut Labalette, directeur des programmes, Andra :

Je vais essayer d'être le plus synthétique possible. L'année 2013 va être très importante pour l'Andra puisque c'est l'année du débat public pour le projet Cigéo, qui signifie Centre industriel de stockage géologique pour les déchets les plus radioactifs. Ce débat va être organisé par la Commission nationale du débat public, qui prévoit une quinzaine de réunions publiques à la fois au niveau local et au niveau national sur la période du 15 mai au 15 octobre de l'année 2013.

Ce débat public est très important pour l'Andra, puisqu'il va être l'occasion de bien réexpliquer pourquoi, en France et dans d'autres pays, la solution du stockage en couche géologique profonde est étudiée pour assurer la sûreté, à très long terme, des déchets les plus radioactifs. Il va être également pour nous l'occasion de présenter tous les travaux que nous avons réalisés, depuis la loi de 2006, en particulier notre vision de ce que pourrait être le projet industriel Cigéo : les emplois associés, son implantation sur le territoire, toutes les activités qu'il faut anticiper pour permettre sa mise en oeuvre... Enfin, ce débat sera également l'opportunité d'ouvrir un certain nombre de questions et de présenter nos propositions en matière de réversibilité, car vous savez qu'une future loi devra définir quelles seront les conditions de réversibilité du stockage.

J'ai structuré ma présentation autour de ces trois axes : en liminaire, je vais vous présenter l'inventaire des déchets radioactifs qui a été retenu pour dimensionner Cigéo. Nous en avons parlé ce matin, c'est une question vraiment fondamentale, puisque c'est à partir des déchets que le centre de stockage est conçu. Ensuite, je vous présenterai, en quelques images, ce à quoi pourrait ressembler le centre de stockage, et où il serait implanté. Enfin j'aborderai la question de la réversibilité et des enjeux législatifs associés.

Pour concevoir le centre de stockage, il faut définir un certain nombre d'hypothèses en termes de nature des déchets à stocker. Les déchets dont nous parlons sont des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue, qui sont extrêmement radioactifs et, pour des raisons de sûreté nucléaire, ne peuvent être stockés en surface ou à faible profondeur. C'est pour cela que nous étudions un stockage dans une couche d'argile qui a de très bonnes propriétés de confinement à très long terme, à cinq cents mètres de profondeur. Cette couche est étudiée au moyen de notre laboratoire souterrain à Bure. Bien entendu, Cigéo est destiné à stocker les déchets qui existent déjà, mais nous nous projetons également dans le futur, en essayant de prévoir les déchets qui, de manière prévisible, pourraient être produits dans les années à venir.

Pour définir les grandes hypothèses que nous retenons pour dimensionner Cigéo, nous nous fondons sur une durée d'exploitation des installations nucléaires actuelles de cinquante ans, conformément aux indications des industriels. Nous considérons tous les déchets qui seraient produits, sur cette période, par le parc en exploitation et en démantèlement. Évidemment, cela ne préjuge aucunement des décisions d'exploitation du parc, données réacteur par réacteur. Dans notre inventaire de référence, nous ne prenons pas en compte les combustibles usés, considérés comme des matières valorisables, à l'exception d'un volume très limité pour Brennilis, dont le potentiel de valorisation est limité, et nous faisons l'hypothèse que ces matières seront, à terme, recyclées dans un nouveau parc.

Cet inventaire de déchets correspond à peu près à 10 000 mètres cubes de déchets à haute activité et 70 000 mètres cubes de déchets de moyenne activité à vie longue. Pour donner un ordre de grandeur, il existe aujourd'hui en France plus d'un million de mètres cubes de déchets radioactifs déjà produits. Nous constatons donc que nous sommes dans un volume limité par rapport à tous ces déchets, mais bien entendu, nous parlons des déchets les plus radioactifs qui concentrent plus de 99 % de la radioactivité. D'où l'importance du sujet que nous traitons aujourd'hui. Un autre chiffre qu'il faut retenir, c'est qu'aujourd'hui, 60% de l'inventaire de ces déchets de moyenne activité existent d'ores et déjà, et 30% des déchets de haute activité existent également.

Donc, un paramètre qu'il faut vraiment avoir en tête quand on parle de Cigéo, ce sont les échelles de temps dont nous allons parler, échelles de temps industrielles, à savoir que pour stocker tous les déchets que je vous présente aujourd'hui, il faudra plus d'une centaine d'années de travail dans le centre industriel.

L'Etat nous demande également de concevoir une installation industrielle flexible, qui puisse s'adapter dans le futur à des évolutions potentielles de la politique énergétique française.

A titre d'illustration, les réflexions que nous menons, notamment dans le cadre du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs, consistent à évaluer l'impact qu'aurait un autre scénario énergétique sur Cigéo. Dans l'inventaire national, il y a deux scénarios, l'un de poursuite du nucléaire, l'autre dans lequel la production nucléaire ne serait pas renouvelée, ce qui voudrait dire que les combustibles usés existant aujourd'hui deviendraient des déchets radioactifs à stocker. Déjà dans les études de 2005, nous examinions la possibilité de prendre en charge de tels déchets dans le centre de stockage, et cette faisabilité avait été montrée.

L'État nous demande aussi de vérifier, en concevant Cigéo, qu'il soit suffisamment flexible pour rester compatible avec un éventuel stockage de combustible usé, si les politiques énergétiques changeaient. Il est très important de noter qu'un tel changement n'aurait un impact sur Cigéo qu'à l'horizon 2070, puisque les combustibles usés sont des déchets chauds qui doivent refroidir avant d'être stockés. Or, les déchets existant aujourd'hui correspondent à plusieurs dizaines d'années d'exploitation de Cigéo.

Le troisième point sur lequel nous travaillons aujourd'hui avec les producteurs de déchets, c'est la question des modalités de transport de ces déchets radioactifs, depuis leur site actuel d'entreposage, que ce soit La Hague, Marcoule ou Cadarache, et le futur site de stockage. Un travail important a été mené par AREVA, le CEA et EDF depuis 2006 pour étudier les modalités de transport associées. Aujourd'hui, les grandes orientations retenues sont de privilégier un transport ferroviaire permettant de limiter les flux à destination de Cigéo, à hauteur d'au maximum une centaine de trains par an, avec des moyens techniques déjà utilisés pour les transferts de substances radioactives entre les installations nucléaires et le site de La Hague par exemple.

Ces bases étant posées, je vais maintenant présenter ce à quoi pourrait ressembler le centre industriel de stockage. L'Andra a lancé en 2011, en se fondant sur vingt années de recherche et développement, la phase de conception industrielle du centre de stockage. Pour cela, nous nous appuyons sur des ingénieries industrielles spécialisées dans les travaux souterrains, dans le génie nucléaire. Nous avons également mis en place, suite notamment à la recommandation de l'Office parlementaire dans le cadre du précédent plan, une convention de coopération avec les autres exploitants nucléaires : AREVA, le CEA et EDF, qui permet de bénéficier de leur retour d'expérience, tout en définissant bien les responsabilités de chaque acteur, puisque, in fine, c'est l'Andra qui en tant que maître d'ouvrage et futur exploitant, est responsable des choix techniques.

Cette image de synthèse me permet de présenter ce à quoi peut ressembler le centre de stockage. C'est une image du stockage dans une centaine d'années, quand toutes les alvéoles auront été construites et exploitées. C'est donc un projet industriel de grande envergure, entre 1.000 et 2.000 emplois pendant la phase de construction initiale, ensuite entre 500 et 1.000 emplois de manière pérenne, sur plus de 100 ans. Il est composé de bâtiments de surface, à la fois pour réceptionner, contrôler et préparer les colis de stockage avant leur transfert vers la station souterraine. Une deuxième installation de surface est destinée à tout ce qui est support aux travaux souterrains. Ensuite, la partie de stockage proprement dite se trouve dans la couche d'argile, à 500 mètres de profondeur. Pour relier la surface et le souterrain, il y a, soit des descenderies, qui sont des tunnels inclinés, soit des puits, comme c'est actuellement le cas dans notre laboratoire.

La particularité de Cigéo, sur le plan technique, est qu'il s'agit d'une installation nucléaire qui sera construite en souterrain, pendant plus de cent ans. C'est-à-dire que nous allons avoir un développement très progressif de cette installation.

Nous avons ainsi une vision de ce à quoi pourrait ressembler l'installation souterraine à l'horizon 2030. Nous retrouvons les descenderies, les puits et, par exemple, une première zone de stockage destinée à recueillir les premiers colis de moyenne activité à vie longue, avec une partie en exploitation nucléaire en bleu, et une partie en travaux en rose. Au niveau technique, il est important de séparer complètement, sur le plan physique, la partie nucléaire de la partie travaux.

Nous voyons également une zone pilote de déchets de haute activité moyennement exothermique. C'est une zone très intéressante parce qu'elle veut dire que, dès 2025, nous allons commencer à stocker, en volumes très limités, quelques premiers colis de déchets de haute activité et que nous allons acquérir un retour d'expérience sur le comportement de cette zone pendant plus de cinquante ans, avant de démarrer le stockage de la majorité des déchets de haute activité, ceci à l'horizon 2070-2080.

Nous voyons également, sur ce schéma, un certain nombre d'optimisations apportées par rapport à la conception de 2009, avec notamment la possibilité d'utiliser un tunnelier pour construire certaines galeries, l'allongement de certaines alvéoles, la séparation plus nette entre les travaux et la partie nucléaire. Tout cela représente des résultats techniques importants, suite à l'esquisse menée en 2012.

Tous ces travaux s'appuient beaucoup sur les travaux du laboratoire souterrain. Nous entrons aujourd'hui dans une phase d'essai préindustriel. En 2013, nous allons qualifier le creusement au tunnelier dans notre laboratoire souterrain. Nous avons réussi, en 2012, à creuser des alvéoles pour les déchets de haute activité de grande longueur, d'une centaine de mètres, et nous travaillons également sur notre capacité industrielle à construire des ouvrages de fermeture, des scellements de grande taille, au moyen d'un démonstrateur en construction à Saint-Dizier.

Pour ce qui concerne les installations de surface, une première est destinée à l'accueil, à la préparation et au contrôle des colis de déchets avant leur stockage. Cette installation sera à l'aplomb de la descenderie, dans la zone interdépartementale contigüe à la Meuse, conformément à la demande faite par les acteurs du territoire dans le cadre du Comité de haut niveau. Très concrètement, cette zone est située à proximité du laboratoire souterrain et présente l'avantage de pouvoir être desservie par une voie ferroviaire d'une quinzaine de kilomètres, à créer, si cette option était retenue. Sur le plan technique, c'est envisageable.

La deuxième installation de surface, qui va être le support aux travaux souterrains, est implantée en Meuse, à l'aplomb de la zone d'intérêt, validée par le Gouvernement en 2010 pour étudier l'implantation de l'installation souterraine du stockage. Le choix entre les deux scénarios possibles d'implantation, discutés et approfondis localement, sera effectué à la suite du débat public.

Pour conclure ma présentation, je voudrais aborder l'avancement des réflexions de l'Andra sur la réversibilité. M. Birraux rappelait souvent que pour lui la question de la réversibilité était une question ouverte, et qu'il attendait de l'Andra de dire ce qui était possible, quelles étaient les limites éventuelles à la réversibilité, pour qu'il puisse y avoir un débat autour de cette question et qu'in fine ce soit le Parlement qui tranche, au travers de la future loi sur les conditions de réversibilité.

Nous avons mené depuis 2006 un très gros travail d'écoute et de dialogue, à la fois au niveau local, en s'appuyant notamment sur le comité local d'information et de suivi du laboratoire souterrain, mais également au niveau national et au niveau international, sur cette question de la réversibilité. Ce travail est intéressant car il nous a permis de collecter les attentes derrière le mot « réversibilité », que je peux résumer au travers des éléments suivants.

Premièrement, tout le monde nous dit que la sûreté est l'objectif fondamental du stockage. Il faut absolument que le stockage soit sûr, c'est un point très important. Mais il faut également pouvoir, techniquement, récupérer les colis de déchets et, politiquement, revenir sur des décisions prises en 2015. Le public nous pose des questions précises : par exemple comment sera réévalué l'inventaire des déchets stockés dans Cigéo, les hypothèses d'aujourd'hui pouvant évoluer dans le futur ? A quelle date commencerait le stockage de nouveaux types de déchets, quand le stockage sera fermé ? Ces questions seront instruites pendant la centaine d'années d'exploitation du centre de stockage.

Le deuxième point technique sur lequel il faut être bien clair, c'est que la récupérabilité des colis sera de plus en plus complexe, au cours du temps et après la fermeture du stockage. En effet, il est plus facile d'aller rechercher un colis dans un entreposage en surface que dans une alvéole à cinq cents mètres de profondeur. Il sera aussi plus compliqué d'aller rechercher un colis qui se trouvera dans une alvéole fermée, qu'avant fermeture de celle-ci. Il y a eu, sur ce sujet, un travail au niveau international, avec plus d'une dizaine de pays, pour proposer une échelle de récupérabilité, décrivant les différents niveaux de vie du stockage, la progression, à chaque niveau, vers une sûreté de plus en plus passive et, corollairement, l'augmentation de la complexité du retrait éventuel d'un colis. Ce qui veut dire que, dans la vie du stockage, il y aura des décisions importantes à prendre à chaque franchissement d'une étape : en 2015 pour le début de la construction du stockage, à l'horizon 2040 pour la fermeture d'une première alvéole, dans plus de cent ans pour le rebouchage de la descenderie et des puits. Toutes ces réflexions nous amènent à faire des propositions répondant aux attentes que nous avons perçues, à travers ce dialogue, sans compromettre la sûreté du stockage, objectif fondamental, et qui soit réaliste sur le plan industriel. Nous aurons l'occasion de les présenter pendant le débat.

Le tout dernier point concerne les enjeux législatifs. Ceux-ci concernent, d'une part quelques adaptations de la fiscalité de Cigéo, de son financement, de l'articulation entre les fonds de construction et de recherche ainsi que des ressources en personnels de l'Andra, et, d'autre part, les ajustements nécessaires entre les deux lois de 2006 : celle du 28 juin, décrivant les modalités spécifiques d'autorisation de Cigéo, et celle du 13 juin, traitant du régime général des installations nucléaires de base.

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