Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 10 avril 2013 à 10h00
Commission des affaires économiques

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

Certes, il est quelquefois nécessaire de rappeler aux opérateurs la dure réalité des règles du jeu. Et de ce point de vue, l'Autorité de la concurrence n'hésite pas à faire preuve de fermeté.

Quant à la turbulence des échanges entre les opérateurs, je la trouve préférable à la période de calme antérieure – au cours de laquelle ceux-ci s'étaient entendus entre eux pour se partager le marché. Il est néanmoins vrai que ce n'est pas à coup de procès antitrust que l'on règlera les problèmes de la France.

S'agissant de la mutualisation et du contrat d'itinérance d'Orange et de Free Mobile, l'Autorité de la concurrence a rendu un avis important le mois dernier à la demande du Gouvernement. Dans le domaine mobile, la concurrence par les infrastructures nous paraît le modèle le plus durable et le plus favorable non seulement à l'innovation et à la différenciation des offres, mais également à l'emploi et à l'investissement. C'est pourquoi nous devons veiller à ce que les opérateurs respectent les engagements de déploiement du réseau qu'ils ont pris dans le cadre de la licence qu'ils ont obtenue.

Si nous croyons à cette concurrence par les infrastructures, celle-ci pose cependant deux interrogations.

La première est la suivante : étant donné l'importance des investissements nécessaires au développement de la 4G, est-il possible de les mutualiser ? Notre réponse à cette question se fonde sur trois critères. Tout d'abord, en fonction de l'intensité de la coopération, la réponse n'est pas la même selon qu'on met en commun des infrastructures passives telles que les pylônes, les réseaux et les points hauts, des infrastructures actives ou des fréquences – point le plus poussé de la coopération entre opérateurs. Le deuxième critère réside dans le pouvoir de marché obtenu par les opérateurs concluant des accords et la capacité des concurrents à y réagir. Le troisième critère est celui de la zone dans laquelle s'effectue cette mutualisation : autant nous encourageons celle-ci dans les zones peu denses où l'investissement doit être partagé, autant elle pose problème en zone très dense, où le partage d'informations et la définition commune d'une manière de densifier la couverture peut entraîner une collusion ou une restriction de la concurrence sur le marché du détail. Si la coopération est possible en amont, le processus concurrentiel doit être préservé en aval. Quoi qu'il en soit, nous sommes favorables à la mutualisation sur le réseau mobile français.

La seconde interrogation concerne l'itinérance : nous considérons que celle-ci était nécessaire pour permettre à Free de concurrencer efficacement les trois opérateurs mobiles déjà en place mais qu'elle ne peut constituer qu'un instrument temporaire, transitoire, le temps que Free déploie son réseau dans le respect des engagements qu'il a pris aux termes de sa licence. Il nous faut donc annoncer clairement dès maintenant la règle du jeu : à savoir que cette itinérance nationale doit prendre fin dans un délai à la fois raisonnable et proportionné et que d'ici là, le régulateur sectoriel vérifiera que Free se trouve sur une trajectoire d'investissements conforme à ses engagements – soit un taux de couverture de 75 % de la population en 2016 et de 90 % en 2018. Enfin, nous avons d'ores et déjà annoncé les conditions dans lesquelles cette itinérance nationale doit prendre fin. Le maintien de l'itinérance locale pourra demeurer utile dans les zones peu denses où la mise en commun des infrastructures permet au réseau de se développer plus rapidement que par le seul jeu du marché et constitue un moyen de pallier l'inadaptation du patrimoine de fréquences d'un opérateur aux exigences de couverture du territoire.

Il me semble essentiel d'évoquer la situation des opérateurs de réseau mobile virtuels (MVNO) – qui se sont sensiblement développés et représentent désormais 13 % du marché. Leur présence sur le marché dynamise la concurrence pour deux raisons : non seulement ils ont la capacité d'explorer la demande et de satisfaire des segments de clientèle peu pris en compte par les opérateurs, mais ils jouent également un rôle majeur en innovant et en proposant une offre adaptée à des clients spécifiques tels que les jeunes et les publics « communautaires ». Nos propositions visent à faire en sorte que ces opérateurs virtuels continuent à animer le marché au profit de l'ensemble de la filière des télécoms.

Pour conclure, les débats très violents auxquels se sont livrés les opérateurs, de même que la contestation dont ont fait l'objet les décisions des régulateurs, ne doivent pas nous faire oublier deux éléments capitaux. D'une part, la bataille du mobile sera gagnée si l'offre des opérateurs est suffisamment attrayante non seulement sur le créneau low cost adressé au grand public, mais également dans le haut de gamme, et si les opérateurs sont en mesure d'être présents sur ces deux segments en même temps. D'autre part, ce combat se joue à l'échelle mondiale et ce sont les applications qui constitueront demain le nerf de la guerre. Les opérateurs européens doivent être présents dans ce combat afin de créer de la valeur. L'Autorité de la concurrence fut la première autorité dans le monde à lancer une étude sectorielle sur la publicité en ligne et à contraindre Google à adopter une politique de contenu plus objective, plus transparente et non discriminatoire sur adwords. Nous souhaitons poursuivre ces enquêtes aux côtés de la Commission européenne afin de vérifier que le consommateur n'est ni captif d'un écosystème ni dépendant des seules applications pré-installées – qu'il s'agisse d'Android, d'Apple ou d'Amazon – et de permettre aux opérateurs européens de développer leurs propres applications. Il nous faudra donc vérifier que l'intégration en aval de ces géants de l'internet n'emprisonne pas le consommateur et n'empêche pas les concurrents de créer et d'animer leurs propres applications. L'Autorité de la concurrence est convaincue qu'elle investira toute son énergie afin de garantir les bonnes conditions de la concurrence au profit des consommateurs et de l'ensemble de la filière.

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