Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Réunion du 15 avril 2013 à 16h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson :

L'article 1er et l'article 2 du projet de loi ayant été adoptés par le Sénat dans le texte de l'Assemblée nationale, nous n'avons plus à en débattre. Mais cette convergence de vue ne justifie pas pour autant les choix qu'a dénoncés avec force et raison Georges Fenech il y a un instant.

Monsieur le président, je proteste tout d'abord énergiquement contre nos conditions de travail pour préparer cette deuxième lecture en Commission. Nous avons appris vendredi après-midi que les amendements devaient être déposés avant 11 heures ce lundi matin, sans même connaître les modalités d'organisation du débat qui seraient choisies par la Conférence des présidents. Son choix est pourtant déterminant, vous en conviendrez, pour nous permettre d'ajuster notre stratégie en matière d'amendements, ce qui fait partie des droits des parlementaires.

La question n'est pas de savoir si nous avons un problème d'agenda, nous n'en avons pas – à l'exception peut-être de Mme la garde des Sceaux – ; nous avons en revanche un problème avec la façon dont nous travaillons. Combien de fois vous avons-nous entendu, monsieur le président, expliquer lors de la précédente législature que la procédure accélérée ne devait plus être utilisée ? Certes, nous nous souvenons tous de textes dont nous avons dû débattre en urgence – ce fut le cas de celui qui était consacré au sauvetage des banques en 2008 –, mais, sur un sujet de société de cette importance, et compte tenu des circonstances de ce débat dans les assemblées et dans l'opinion publique, je prétends que nous travaillons dans des conditions qui portent atteinte aux droits des parlementaires, tels qu'ils sont définis à l'article 44 de la Constitution.

Ensuite, le Sénat a modifié substantiellement le texte adopté par l'Assemblée nationale, ce qui aurait justifié que l'on consacre à cette deuxième lecture bien plus que les vingt-cinq heures accordées par la Conférence des présidents dans sa royale mansuétude. Le seul article 4 bis justifierait un très long débat sur l'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance sur un sujet sensible. Le choix de cette procédure démontre en effet que personne n'a mesuré à ce jour les conséquences de votre projet de loi sur la rédaction de nos différents codes. L'articulation des articles 4 et 4 bis tels qu'ils nous viennent du Sénat, m'incite d'autre part à penser que la formulation de l'article balai choisie par notre rapporteur était plus sûre sur le plan juridique, et plus acceptable pour le Parlement, que la rédaction issue des travaux du Sénat… Je constate que M. Roman rit ; il est vrai que j'ai été très critique sur les propositions de M. Binet, en première lecture, mais entre une solution qui nous permet de voter la loi et notre dessaisissement, je choisis « la moins pire » !

D'autre part, la nouvelle rédaction de l'article 16 bis – sur lequel nous avions passé beaucoup de temps en séance en première lecture – relève de la plus pure poésie législative ! L'article dispose désormais que tout salarié, quel qu'il soit, c'est-à-dire pour quelque motif que ce soit, pourra refuser une mutation professionnelle dans un État incriminant l'homosexualité. Dans la version adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, il était précisé que ledit salarié devait être marié ou lié par un PACS à une personne de même sexe. Or cette réserve a été supprimée par le Sénat. On ouvre là une brèche très importante dans le droit du travail, qui va fragiliser les contrats signés entre employeurs et salariés.

Certes, le Sénat a adopté les articles 1er et 2 de façon conforme, mais il a également modifié plusieurs dispositions importantes – outre celles que j'ai citées, celles relatives au nom patronymique et à l'adoption. Cela justifierait que nous consacrions davantage de temps à ce texte. Nous avons encore dix-sept articles à examiner : tous les projets de loi n'en contiennent pas autant !

Enfin, monsieur Roman, notre Assemblée a, dans le passé, consacré beaucoup de temps à d'autres sujets : le débat sur la privatisation d'EDF-GDF a duré plus de cent heures ; le projet de loi portant réforme des retraites a donné lieu au dépôt de plusieurs milliers d'amendements. Cessons dès lors, je vous prie, de nous invectiver avec ce type d'arguments ! Comme l'a très bien rappelé le président Urvoas dans son Manuel de survie à l'Assemblée nationale, le seul moyen institutionnel dont dispose l'opposition pour faire émerger un débat dans l'opinion publique est de passer du temps sur un texte dans l'hémicycle. Ce, bien sûr, dans le respect de la Constitution et de notre Règlement.

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