Je m'associe aux arguments de forme et de fond développés par mes collègues, mais il n'est pas inutile d'insister sur certains.
Sur la forme, il est étonnant que nos collègues sénateurs, y compris de l'opposition – je le dis avec une certaine déception –, n'aient pas jugé bon de solliciter un scrutin public sur le vote du texte alors même que les scrutins de cette nature avaient été nombreux pendant les débats. Ce choix entretient une ambiguïté fâcheuse, mais il appartient au Sénat de régler ce qui le regarde – et à l'opposition de gérer ses contradictions.
Certes, le Gouvernement est juridiquement et constitutionnellement fondé à avancer la date d'examen du projet de loi mais si, formellement, l'examen de ce texte n'est pas soumis à la procédure accélérée, il l'est de fait. On peut dès lors parler de provocation, mais aussi d'une grande déception, car cette accélération du calendrier nous prive du temps dont nous pensions disposer pour travailler sur un texte qui, à bien des égards, n'est plus celui dont nous avons débattu en première lecture. Je ne vois pas, pour ma part, la nécessité d'accélérer le processus législatif, sauf à vouloir masquer des affaires comme l'affaire Cahuzac – il est si aisé de détourner l'attention !
Plus grave, les droits du Parlement et de l'opposition parlementaire sont bafoués. Sans doute s'agit-il là d'une stratégie du Gouvernement, mais nous ne pouvons pas travailler dans ces conditions de précipitation : nous avons appris du ministre des relations avec le Parlement vendredi à 15 heures 05, alors que le vote à main levée venait d'intervenir au Sénat, que la Conférence des présidents de notre assemblée se réunirait à 9 heures ce lundi. Avant même cette réunion, nous avons reçu une convocation rectifiée de la commission des Lois fixant à 16 heures la présente réunion, les amendements devant être déposés avant 11 heures ce matin. Et le texte adopté par le Sénat n'était même pas disponible ! Il nous a fallu nous débrouiller pour nous le procurer : nous savons faire, monsieur le président, mais ce ne sont pas des conditions de travail acceptables. C'est surtout se moquer du rôle de l'opposition.
Pour accroître le malaise, on nous apprend que la durée des débats a été fixée à vingt-cinq heures en vertu de la procédure de temps programmé, l'opposition devant se contenter d'un temps de parole de dix heures trente. Au surplus, il est devenu clair pendant le week-end que le Gouvernement souhaitait un vote conforme de notre assemblée, ce que le rapporteur vient de nous confirmer, prouvant en cela qu'il n'est pas rancunier puisque son principal amendement a été retoqué par le Sénat !
Votre précipitation attise forcément les déceptions. Je condamne toute forme de violence ; je désapprouve qu'on poursuive un ministre jusqu'à son domicile car je suis attaché à la ferme distinction entre la vie privée et l'action publique. Le Gouvernement porte cependant une part de responsabilité dans les événements récents en refusant d'entendre une opposition qui a pris une ampleur considérable. Le chiffon rouge que vous agitez en précipitant les débats participe ainsi de la stratégie de la violence sur laquelle vous semblez miser pour accentuer les clivages. Le Gouvernement fait en effet preuve de manichéisme sur le sujet. Son intérêt est à une radicalisation qui lui fait gagner du temps, mais cette stratégie est à double tranchant !
J'en viens au fond. Malgré les reproches que nous avons entendus, les cent dix heures de débat en première lecture n'étaient pas superflues, puisque le Sénat a pu, grâce à elles, lever les difficultés posées par les dispositions relatives au patronyme et par l'article 16 bis. Mais, de ce fait, je l'ai dit, c'est un texte nouveau que nous examinons. Les articles 1er et 2, relatifs respectivement au mariage et à l'adoption, ont certes été adoptés définitivement, mais une grande partie du reste est inédite.
Ce texte nouveau, peu assuré, fait peu de cas de l'amendement balai du rapporteur, confirmant qu'il ne s'agissait sans doute que d'un bricolage juridique. Le Gouvernement souhaite revenir à la légistique traditionnelle, consistant à remplacer les quelque cent soixante occurrences identifiées des termes de « père » et « mère » par le terme de « parents ». Le Gouvernement est si peu sûr de son travail sur cette question qu'il ajoute à la précipitation du calendrier le dessaisissement du Parlement en vertu d'une habilitation à légiférer par ordonnances, prévue à l'article 4 bis. C'est la double peine qui s'abat sur le Parlement et sur l'opposition, que l'on cherche à museler ! Ces ordonnances me rappellent les décrets-lois de la IIIe République, un souvenir qui ne m'inspire guère confiance sur un sujet de société aussi sensible.
Ces choix interviennent alors même que l'opinion publique, désormais éclairée par le travail que nous avons mené, commence à se retourner.