Je vous remercie de me donner la parole, monsieur le président, alors que je ne suis pas membre de la Commission.
Je me réjouis, comme chacun d'entre vous je l'espère, de la levée de la garde à vue des soixante-sept jeunes, interpellés la nuit dernière dans des conditions pour le moins surprenantes et auxquels certains membres de notre groupe ont pu exprimer leur solidarité.
J'entends certains collègues de gauche s'inquiéter des dérives que pourraient occasionner les manifestations. Mais je crois que le propre du débat parlementaire est d'offrir une alternative à la rue, à la manifestation et à la violence. Il permet, non pas d'atténuer ou d'édulcorer, mais de focaliser, d'ordonner et d'orchestrer les interrogations qui traversent la société civile. En interdisant la discussion parlementaire, vous prenez, chers collègues, le risque de céder la place à un autre débat, moins organisé.
J'ai constaté, en assistant à la Conférence des présidents ce matin, que le président de la commission des Lois n'y participait pas et n'était pas représenté. J'en ai déduit qu'il ne souhaitait peut-être pas, par sa présence, cautionner un procédé qu'il désapprouvait. Mais je sais désormais que mon interprétation n'était pas tout à fait juste, monsieur le président…
Quelles sont les raisons de cette soudaine précipitation dans l'organisation de nos travaux, madame la garde des Sceaux, puisque le Gouvernement en est à l'origine ? Je ne les comprends pas. S'agit-il de ressouder une gauche en voie d'éclatement sur d'autres sujets ? S'agit-il de faire passer au second plan des débats gênants, comme celui sur la moralisation de la vie politique ? S'agit-il d'éviter les sujets économiques qui intéressent les Français ? L'anticipation de cet examen en deuxième lecture, initialement prévu fin mai, est d'autant plus incompréhensible que devait avoir lieu cette semaine un débat sur la sûreté nucléaire, dont M. Coronado conviendra sans doute avec moi qu'il n'aurait pas manqué d'intérêt.
Vous répétez que l'urgence n'a pas été déclarée sur ce texte. Mais comme M. Gosselin, je considère que la conjonction de la précipitation du calendrier et de la pression en faveur du vote conforme est pire !
En outre, la procédure du temps programmé, utilisée jusqu'ici pour de premières lectures et, éventuellement, maintenue pour les suivantes, est, pour la première fois depuis 2008, imposée au stade de la deuxième lecture. De surcroît, il n'a pas été fait droit à la demande d'un allongement exceptionnel de la durée des débats dans le cadre de ce temps programmé, possibilité pourtant offerte aux présidents de groupe par l'article 49, alinéa 10, du Règlement de l'Assemblée nationale. Sous la pression du groupe majoritaire, la fixation de la durée de la discussion à cinquante heures a été refusée. L'UMP disposera donc d'un temps de parole d'un peu moins de onze heures.
Cette durée limitée n'est pas à la mesure des besoins. Alors que onze jours et onze nuits ont été nécessaires à l'examen en première lecture, consacrer cinquante heures à la deuxième lecture ne semblait pas déraisonnable.
Enfin, si le recours à la procédure des ordonnances est possible, le débat sur leur champ d'application ne pourra pas avoir lieu puisque la majorité s'interdit d'amender le texte adopté par le Sénat. Les ordonnances ne concernent pourtant pas des sujets mineurs : ce ne sont pas moins de dix codes, voire l'ensemble des codes à l'exception du code civil, qu'elles devraient modifier.
Le recours aux ordonnances, le refus d'un allongement exceptionnel du temps programmé, ainsi que l'accélération du calendrier sont autant de motifs d'une contestation devant le Conseil constitutionnel de ce projet de loi que le groupe UMP ne manquera pas de faire valoir.
Cette accumulation de procédés allant à l'encontre de la sérénité des débats est une première, qui ne permet certainement pas de prévenir les risques de dérapage que j'évoquais au début de mon propos.