Intervention de Didier Migaud

Réunion du 16 avril 2013 à 16h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Président du Haut Conseil des Finances publiques :

Merci Mme la Présidente. Monsieur le Rapporteur général, Mesdames et Messieurs les députés, je suis heureux d'intervenir devant vous, pour la première fois en tant que Président du Haut Conseil des Finances publiques. Comme vous l'avez rappelé, Mme la Présidente, cet organisme crée par la loi organique du 17 décembre 2012 et placé auprès de la Cour des comptes, a vocation à éclairer les décideurs publics, en particulier le législateur, sur les décisions qui engagent nos finances publiques. Le Haut Conseil est un organisme consultatif composé d'experts en macroéconomie et en finances publiques, et s'exprime par des avis qui laissent naturellement toute leur marge de décision aux représentants du suffrage universel que vous êtes. La mise en place du Haut Conseil des Finances publiques s'est faite dans un délai très court. 4 mois seulement se sont écoulés entre la promulgation de la loi organique et la parution du premier avis. Ces délais ont pu être tenus grâce à l'appui de la Cour des comptes, et je signale que le Haut Conseil sera bientôt doté d'un site internet dédié. Avant de répondre à vos questions, je souhaiterais apporter quelques précisions sur ce nouvel organisme et sur les méthodes qu'il emploie pour élaborer ses avis.

La nomination des dix membres qui forment, avec son président, le Haut Conseil est intervenue après un tirage au sort prévu par la loi, permettant d'assurer le respect de la parité. Ces formalités sont l'application du décret du 18 février. Le Haut Conseil des Finances publiques a tenu sa première réunion le 21 mars au cours de laquelle il a élaboré et adopté son règlement intérieur. Celui-ci comporte un volet déontologique, prévoyant la publication des déclarations d'intérêts des membres du Conseil, et formule de strictes règles de confidentialité, permettant de travailler en toute confiance avec l'Administration. Le Haut Conseil repose sur une réflexion collégiale et s'appuie sur un secrétariat composé d'un économiste en chef – Jean-Philippe Cotis, conseiller maître à la Cour des comptes, ancien directeur général de l'INSEE et ancien économiste en chef de l'OCDE –, assisté deux magistrats, MM. Philippe Ravalet et Boris Melmoux-Eude, ainsi que M. Simon Bertoux. Cette équipe sera prochainement élargie avec l'arrivée de nouvelles compétences issues d'horizons divers. Je précise que les dépenses de fonctionnement du Haut Conseil sont prélevées sur le budget de la Cour des comptes. La création de cette structure ne pèse donc pas sur les finances publiques.

Le 8 avril, le Haut Conseil a été saisi de sa première demande d'avis par le Gouvernement. J'insiste sur le champ couvert par cet avis : il ne porte que sur les prévisions marco-économiques, sur lesquelles repose le projet de programme de stabilité. Il ne porte pas, conformément à la loi organique, sur la trajectoire des finances publiques. En revanche, à l'occasion des avis sur projet de loi de Règlement en mai, et sur le projet de loi de finances en septembre, le Haut Conseil des Finances publiques se prononcera sur le respect de la trajectoire de solde structurel. Bien que complété par des réponses écrites et orales, obtenues lors d'auditions des représentants des administrations, le Haut Conseil a estimé, lors de sa séance du 10 avril, que les informations dont il disposait étaient incomplètes. En particulier, l'absence de données suffisantes sur la trajectoire des finances publiques retenue par le Gouvernement ne permet pas d'apprécier la contribution des finances publiques à l'évolution de la croissance. Des éléments succincts ont été fournis par la suite, mais nous souhaiterions qu'à l'avenir, les délais dont nous disposons soient élargis, et que des informations complètes nous soient délivrées au plus vite.

Le Haut Conseil n'est pas un organisme de prévisions. Il fonde ses analyses sur les statistiques disponibles, sur les travaux des organismes français et internationaux d'études et de prévisions économiques, ainsi que sur les informations transmises par le Gouvernement. Pour élaborer son avis, il a procédé à l'audition des responsables des administrations compétentes – Trésor, Direction du budget, mais également d'organismes externes de prévisions et d'études économiques – la Banque de France, l'OCDE et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Il ne revient pas au Haut Conseil de valider ou d'invalider les prévisions du Gouvernement. Selon la loi organique, le Haut Conseil rend un avis, indépendant, qui doit permettre d'apprécier le réalisme du scénario présenté, et les risques qui l'entourent.

J'en viens maintenant au contenu de cet avis. À court terme, le Gouvernement retient une hypothèse de croissance de 0,1 % en 2013. Cette prévision repose principalement sur un scénario d'amélioration progressive de l'environnement international, hors zone euro. Pour 2014, un ralentissement de la consolidation budgétaire en zone euro, et une accélération de la demande mondiale adressée à la France, conduisent le Gouvernement à retenir une hypothèse à 1,2 % de croissance. Le Haut Conseil des Finances publiques a identifié les principaux facteurs de risque qui viendraient nuancer à la baisse ce scénario. Je citerai les trois principaux, mais d'autres sont rappelés dans l'avis.

L'environnement international pourrait être globalement moins porteur. En effet, les tensions pourraient persister au sein de la zone euro ; et la reprise des exportations françaises est conditionnée par le redémarrage de ces économies, notamment celles du Sud.

En dépit des mesures récemment adoptées, comme le CICE, la compétitivité des entreprises françaises pourrait se rétablir moins rapidement qu'annoncé.

La consommation des ménages et l'investissement des entreprises pourraient être plus faibles qu'anticipé, compte tenu d'un contexte d'incertitude persistant. La baisse attendue du taux d'épargne pourrait être contrariée par des facteurs jouant en sens inverse, comme les craintes liées à l'augmentation du chômage et la perspective de nouvelles hausses des prélèvements obligatoires en 2014.

Au total, le Haut Conseil n'exclut pas un léger recul du PIB en 2013, et une croissance sensiblement inférieure à 1,2 % en 2014.

Vous aurez certainement remarqué que le Gouvernement a retenu des taux de croissance identiques à ceux publiés par la Commission européenne fin février 2013. Mais cette similitude n'est qu'apparente et masque en réalité des scénarios très différents. Pour le Gouvernement, les effets de l'ajustement budgétaire sur la croissance seraient contrebalancés par des mesures nouvelles en faveur de la compétitivité des entreprises. Un tel enchaînement paraît optimiste.

J'en viens à présent aux prévisions de moyen terme annoncées par le Gouvernement. Celles-ci sont bâties sur deux hypothèses. La première concerne la croissance potentielle, c'est-à-dire la mesure de la capacité de l'économie française à croître de manière soutenable sans tension sur les prix. Le Gouvernement l'estime à 1,5 point de PIB. La seconde hypothèse revient à situer la croissance effective par rapport à ce potentiel, et le Gouvernement suppose que, dès 2015, la croissance deviendra supérieure à ce potentiel. Il la situe à 2 %. Cette prévision est pour le Haut Conseil incertaine. Sur le rythme de la croissance potentielle tout d'abord, les nombreuses disparitions d'entreprises et le maintien à un niveau élevé d'un chômage de longue durée pourraient freiner le retour de la croissance potentielle. Sur la seconde hypothèse, le Haut Conseil identifie plusieurs facteurs pouvant retarder le redressement de la croissance : un rétablissement plus tardif de la compétitivité des entreprises et un comportement plus prudent des ménages épargnants. C'est pourquoi le Haut Conseil estime que la croissance pourrait ne pas dépasser son rythme potentiel aussi rapidement qu'envisagé, sans toutefois que cette perspective de 2 % de croissance ne soit irréaliste au-delà de 2015.

En conclusion, le Haut Conseil des Finances publiques constate que les nouvelles règles européennes adoptées en 2011 n'ont pas substantiellement modifié les conditions dans lesquelles le Gouvernement prépare et présente le programme de stabilité. Il note également que, dans les plans précédents, les prévisions de croissance à court ou moyen terme, ont été systématiquement affectées d'un biais optimiste. Le Haut Conseil estime enfin que les développements macroéconomiques gagneraient à être enrichis afin d'améliorer l'information du Parlement et la qualité du débat public. Si vous le souhaitez, je pourrai revenir sur ces questions.

Voilà Mme la Présidente, M. le Rapporteur général, Mesdames et Messieurs les députés, les quelques observations que je souhaitais formuler à partir de cet avis écrit, qui seul nous engage bien sûr.

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