Intervention de Jean-François Dehecq

Réunion du 16 avril 2013 à 17h15
Commission des affaires économiques

Jean-François Dehecq, vice-président du Conseil national de l'industrie :

M. Lelièvre fera le point mieux que moi sur chaque comité stratégique de filière, et donc sur les contrats de programme.

Les états généraux de 2010 sont nés de la volonté des partenaires sociaux et des pouvoirs publics de faire le point sur la situation industrielle de la France. Ceux qui, comme moi, ont commencé à travailler en 1962, ont connu sous de Gaulle et Pompidou une période faste pour la politique industrielle, qui a été suivie d'un passage à vide. Nous avons beaucoup espéré pendant la période où le ministère de la recherche et l'industrie a été confié à M. Chevènement, apparemment convaincu de la nécessité de mener une politique industrielle. Nous avons été déçus. Ceux qui voulaient bâtir de grandes industries pour notre pays, comme je l'ai fait quand j'ai créé Sanofi, ont toujours eu du mal à se faire entendre, comme si les mots « politique industrielle » étaient tabous.

En 2008, nous avons essayé de dresser un état des lieux. Les états généraux visaient non à prendre des décisions pour l'avenir, mais à réunir tous les partenaires : les syndicats, qui bénéficieraient d'un droit de parole égal à celui de leurs interlocuteurs ; les représentants patronaux, moins à travers les grandes institutions jacobines que les syndicats professionnels en prise avec les problèmes concrets rencontrés dans les usines ; le ministère, autrement dit l'administration, ainsi qu'un député, un sénateur et un député européen, dont je dois dire qu'ils n'ont été ni très efficaces ni très assidus. Deux ans plus tard, auditionnés à l'Assemblée nationale ou au Sénat, nous avons en effet dû rappeler en quoi consistaient les états généraux. Autant dire que la situation n'avait pas progressé, même si notre démarche avait rencontré un succès d'estime. La décision de poursuivre a été prise à l'avis général. Si aucun consensus ne se dégageait, tous convenaient de l'importance de parler de filières plutôt que de secteurs.

Le Conseil national de l'industrie tente de sauver le trilogue propre aux CSF car, de l'avis même des participants, il existe peu d'endroits où la liberté de discussion est aussi grande – on présente souvent à tort l'Allemagne comme un modèle à cet égard.

Les états généraux ont mobilisé 5 000 personnes en France, tant à Paris qu'en province. La Franche-Comté, comme le Limousin, a créé sept comités, parallèlement aux comités nationaux ; d'autres régions sont allées jusqu'à dix. Ces comités se sont réunis une à deux fois par mois pendant un an, rassemblant des gens qui acceptaient de parler de l'industrie à titre bénévole, ce qui n'est pas rien.

Le CNI doit sauver cet état d'esprit qui vise à trouver des convergences, à défaut d'un consensus. Sous l'impulsion du ministre du redressement productif, il existe une vraie volonté de faire fonctionner les CSF. En octobre 2011, par conséquent sous la précédente majorité, nous avions intitulé notre rapport annuel : « Ensemble, réindustrialiser la France pour la croissance et l'emploi ». Comment mieux dire que la droite comme la gauche n'ont pas d'autre choix que de s'occuper sérieusement de l'industrie si elles tiennent à l'unité sociale du pays ? Que l'industrie disparaisse, en effet, et les services disparaîtront aussi, et tous les emplois avec eux.

Une autre priorité sera de rendre l'implantation des CSF plus territoriale. Même dans l'automobile ou l'aviation, filières pourtant structurées depuis longtemps, les problèmes industriels se posent dans chaque région de manière spécifique. Il faut donc que le terrain s'exprime.

Trois grands problèmes se posent encore.

Quoi qu'en disent les financiers, le financement de l'industrie est loin d'être satisfaisant. Certains parmi vous ont voté, en 2010, la loi imposant le paiement des sous-traitants à soixante jours. Avec la crise, ce délai s'est allongé à trois mois et demi. On évalue à 40 milliards les sommes déplacées entre les sous-traitants et les donneurs d'ordre. Assainir la situation améliorerait la trésorerie des PME et des PMI. Par ailleurs, même si les aides doivent être centrées sur ce qui peut créer de l'emploi, il faut aussi s'intéresser aux filières qui ne sont pas novatrices, dans lesquelles travaillent beaucoup de Français, si l'on veut sauver un maximum d'emplois.

Un autre problème tient à la mauvaise adéquation entre l'emploi et la formation. Alors qu'il faudrait délivrer des CAP de tourneur ou de soudeur, en un mot former aux métiers de l'industrie, on crée, en guise d'élite, des têtes d'oeuf qui ne feront jamais tourner les usines et qui ignorent tout du travail manuel. Sur ce dossier, voilà trois ans que nous piétinons.

Le dernier problème est celui de l'exportation. Si les industriels d'aujourd'hui disposaient des aides qui m'ont permis de bâtir Sanofi il y a trente-cinq ans et d'être présent dans 140 pays, nous serions plus efficaces. Arrêtons de nous faire plaisir en répétant que les grandes entreprises vont emmener les PME-PMI à l'étranger ! Nous avons tenté l'expérience au début des années 80. Très vite, quand ils se retrouvent au siège social d'une grande entreprise à Tokyo, Shanghai ou Singapour, les dirigeants des PME sont perdus. Il faut donc les aider à se mutualiser pour aller sur place traiter les problèmes.

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