Intervention de Jean-François Dehecq

Réunion du 16 avril 2013 à 17h15
Commission des affaires économiques

Jean-François Dehecq, vice-président du Conseil national de l'industrie :

Je commencerai par aborder les questions de formation. J'ai commencé à m'y intéresser en 1962 ; j'ai ensuite présidé le CNAM et l'école des arts et métiers. En décidant, en 1968, de créer un collège unique où l'on punit tous les gamins qui ne sont bons ni en maths ni en français en les collant dans des sections techniques, on a tué l'enseignement technique en France : on n'a plus que des brèles à la sortie ! C'est dramatique.

Je suis un pur fruit de la promotion sociale par l'école. J'ai obtenu mon CAP de tourneur au début des années 1950 grâce aux écoles nationales professionnelles créées par les gars de la Résistance pour ouvrir les études à tous ceux qui ne pouvaient pas en faire. On nous a collés dans des classes nouvelles où on nous a obligés à faire du latin pendant trois ans pour nous donner la culture que notre milieu ne nous apportait pas, du dessin d'art deux heures par semaine pour nous permettre de ne pas éternellement rester les « sous-culs » de l'industrie, interdits de promotion, de la musique dont je suis resté fanatique au point d'en écouter plusieurs heures par nuit. Bref, on est allé chercher des élites ailleurs. Nous étions quelques centaines à entrer dans ces écoles situées au milieu des usines – à Montataire, entre les fumées de zinc de la vieille montagne et les bruits de Brissonneau et Lotz, pas à Saint-Germain-en-Laye ! –, dont quatre ou cinq qui intégreraient les arts et métiers sans même savoir qu'il existait d'autres écoles d'ingénieurs ! Dans l'intervalle, on avait passé des CAP, des brevets industriels ; bref, on avait appris à travailler ! Nous avions quarante-quatre heures de cours par semaine – soit deux heures de plus que mes parents, ce que je trouvais très injuste. En somme, l'enseignement technique était quelque chose de sérieux.

Je ne dis pas qu'il faut revenir au passé, mais nous devons nous confronter à ce problème. Dans le secteur du luxe, il n'y a plus un soudeur sur or en France ! Nous faisons souder nos bijoux en Allemagne et, depuis bien longtemps, découper les pierres aux Pays-Bas. Et quand il s'agit de souder une cuve de réacteur nucléaire ? Cela se fait par ordinateur, me dit-on ; mais l'ordinateur ne fait qu'appliquer le modèle construit par des gars qui auraient compris comment bien répartir les tensions s'ils avaient soudé eux-mêmes ! En Allemagne, la majorité des ingénieurs qui travaillent dans les fameuses PME sont issus de la formation par alternance.

Faut-il « sauver l'industrie » ? Lorsque j'ai débuté chez Sanofi, il y a quarante-cinq ans, on nous disait que l'industrie française était foutue, que la pharmacie française avait été vendue aux Allemands – Roussel-Uclaf passant chez Hoechst – et que l'on arrivait trop tard dans un monde trop vieux. Mais si l'on a envie de bâtir une industrie dans son pays, on le fait et on est le premier payeur d'impôts en France pendant des décennies !

Non, notre industrie sidérurgique n'est pas condamnée. Un pays qui n'a plus de sidérurgie n'est plus un pays. Les Allemands en ont gardé une, tout comme les Anglais d'ailleurs qui ont pourtant malmené toute leur industrie. Et les Brésiliens et les Indiens veulent commencer par là. N'étant pas spécialiste du sujet, je ne sais pas dire comment se porte la sidérurgie en ce moment, mais je sais qu'il y a beaucoup à faire en matière de traitement des métaux. D'où l'intérêt du nouveau comité stratégique de filière en train d'être constitué autour des industries extractives et de la première transformation.

Tout au long de mes presque cinquante années de vie professionnelle, j'ai toujours considéré que plutôt que de mettre les gens à la porte, mieux valait les employer à faire autre chose. C'est comme cela que dans une entreprise censée faire d'abord de la pharmacie, on a fait aussi quantité d'autres métiers – je pense aux fleurs, aux pizzas … Et cela n'a pas empêché le groupe de devenir la première capitalisation boursière de la place de Paris. La financiarisation pousse, hélas – c'est dramatique – à se concentrer sur le seul fameux core business, alors que lorsqu'on a une dizaine de métiers, il est possible de rééquilibrer dans un secteur quand cela ne va pas dans un autre.

Ce que nous avons fait à Sanofi est la preuve que tout est possible, à condition d'en avoir la volonté – volonté politique et volonté personnelle des patrons. Mais pour cela il faut avoir de vrais patrons, et pas des gestionnaires.

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