Intervention de Jean Leonetti

Réunion du 17 avril 2013 à 16h45
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Leonetti, rapporteur :

La mort concerne toujours l'autre, puisque le jour où l'on en fait soi-même l'expérience, on ne peut plus la raconter. Sur cette question, le désaccord ne procède pas des clivages entre la droite et la gauche, ni entre ceux qui croient au ciel et ceux qui n'y croient pas, mais de notre vécu. La façon dont s'est déroulée la mort d'un être aimé nous amène quelquefois à des certitudes quant à la manière de faire face à ce type de situations. En 2005 – la période de mi-mandat favorisant sans doute la sérénité du débat –, nous avons pourtant réussi à passer des certitudes individuelles à des doutes collectifs, la loi qui porte abusivement mon nom – puisqu'elle a été écrite par 32 députés – résultant de cette progression commune.

En présentant – de manière précipitée, dites-vous – ce texte, je ne souhaite opérer aucun putsch ; le Président de la République ayant chargé Didier Sicard de consulter les Français dans le cadre de la préparation d'un projet de loi sur cet enjeu, j'ai attendu ses conclusions sans critiquer sa démarche. Le rapport Sicard s'articule autour de trois thématiques fortes : les directives anticipées, la sédation en phase terminale et les démarches concernant le suicide assisté, la possibilité de franchir cette dernière étape faisant débat.

La fin de vie cristallise le conflit entre l'éthique de vulnérabilité et celle d'autonomie, la revendication de liberté de la personne s'opposant à la nécessité de protection de la vie humaine, quelquefois malgré l'individu. Il ne s'agit pas d'une opposition entre le bien et le mal, la droite et la gauche, la science et la morale, mais d'un conflit de valeurs, qui peut être résolu très différemment. Une décision du Conseil d'État stipule ainsi qu'en cas d'hémorragie grave, le médecin a raison de procéder à une transfusion sanguine s'il s'agit d'une jeune femme, témoin de Jéhovah ; mais s'il s'agit d'une personne âgée en fin de vie qui refuse cette solution, l'imposer ne ferait qu'ajouter à sa souffrance une violence psychologique. Le sujet est donc particulièrement complexe.

Si j'ai souhaité avancer aussi vite, c'est d'abord parce que je pensais qu'à l'heure actuelle, le Comité national consultatif d'éthique aurait déjà rendu son avis. Celui-ci ayant été reporté au mois de juin, et parce que je respecte l'avis du Comité, j'ai demandé à M. Régis Aubry, qui avait commencé ses travaux, de m'exposer sa position. Au fond, ma proposition retient les deux points consensuels du rapport Sicard – directives anticipées et sédation terminale – qui se situent du côté de la solidarité, laissant de côté le suicide assisté qui penche vers l'autonomie. Estimant que la recherche du dialogue constructif et du consensus imposait de procéder par étapes, j'ai souhaité aborder ce sujet, quitte à ce qu'il soit repris ultérieurement par la majorité.

Alors que dans les pays qui l'ont autorisée, l'euthanasie ne concerne que 1 à 2 % des patients en fin de vie – 1,8 % en Belgique –, les gens qui meurent mal – privés de sédation en dépit des directives anticipées, violés dans leur conscience et leur liberté – en représentent 30 %. Certes, le nombre ne constitue pas le seul critère pertinent, mais il est urgent d'avancer sur le thème de la solidarité et de réfléchir sur celui de l'autonomie. Je suis, pour ma part, opposé à la légalisation de l'euthanasie, car en France, contrairement à la Belgique ou aux Pays-Bas, les soins palliatifs ont largement précédé le débat sur l'euthanasie. Celle-ci apparaît donc contraire à notre culture médicale, et comme le suggère le rapport Sicard, s'il fallait envisager des solutions, c'est plutôt du côté du suicide assisté – donc de l'autonomie – qu'il faudrait les rechercher.

Au total, il me semblait possible d'avancer ensemble sur ces deux points. Même si cette proposition de loi est rejetée, lancer le débat et chercher collectivement des solutions m'apparaît bénéfique. Certains pays ont ainsi rendu opposables les directives anticipées ; quant à la sédation terminale, cette pratique ne va pas systématiquement de pair avec la légalisation de l'euthanasie.

Depuis 2005, la Suède, l'Argentine, le Mexique et l'Espagne ont adopté exactement la même loi que la France. Didier Sicard rappelle d'ailleurs que même si elle reste perfectible, la démarche française – qui incarne le consensus – est copiée dans le monde entier, le Benelux, avec ses 50 millions d'habitants, faisant plutôt exception au sein des 500 millions d'Européens. Les membres de la majorité devraient faire confiance aux constats d'un expert nommé par le Président de la République !

Monsieur Perrut, les patients non conscients – le nouveau-né ou le sujet dans le coma – sont incapables d'exprimer leur volonté ; mais la modification du code de déontologie de 2008 interdit de les laisser souffrir en cas d'arrêt des traitements. En effet, si l'on pensait jadis que les prématurés et les personnes plongées dans le coma n'éprouvaient pas de douleur, les IRM dynamiques ont battu cette idée en brèche. La sédation profonde garantit que le patient ne souffre pas, cette assurance rassérénant ses proches.

Gérard Sebaoun estime que l'enjeu fondamental relève du suicide assisté. En effet, si l'on suit Albert Camus : « Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide », et répondre positivement à la question de savoir si « la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue » exige d'agir en conséquence. Mais les problèmes certes essentiels du sens de la vie et de la mort ne doivent pas nous faire oublier que beaucoup de malades meurent mal dans notre pays ; le dispositif conçu à leur intention reste trop léger et doit être renforcé.

Monsieur Véran, l'ambivalence est toujours présente en fin de vie, marquée par la tension entre désir de mort et désir de vie, qu'évoquait Laurent Marcangeli. Selon les convictions de chacun, ce dispositif peut représenter une étape ou un aboutissement ; la proposition de loi n'a d'ailleurs pas été signée de tous les membres du groupe l'UMP, certains considérant qu'elle va trop loin. Peut-être aurons-nous réussi, dans le débat, à convaincre de nouvelles personnes de part et d'autre de l'hémicycle, afin que, même si le texte n'est pas voté, un débat apaisé vienne remplacer nos certitudes individuelles. Commencée en 2004 avec des convictions subjectives retirées de la mort d'un proche, notre mission a débouché sur un consensus parce que chacun a su dépasser son expérience personnelle pour poser la question en termes de norme universelle applicable à l'ensemble de la population.

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