Ces accords de défense traduisent dans les textes la rénovation complète de nos partenariats avec les pays africains, voulue et annoncée par le Président Sarkozy dans son discours du Cap du 28 février 2008 et inscrite dans le Livre blanc de 2008. Notre Commission a déjà examiné en 2011 les accords de défense avec le Cameroun, la Centrafrique, le Gabon et le Togo et c'était à l'époque la première fois que le Parlement était appelé à se prononcer sur ce type d'accords.
La signature du traité avec la Côte d'Ivoire ouvre une nouvelle page de la relation militaire bilatérale que nous entretenons avec ce pays, probablement le plus francophone d'Afrique, depuis de nombreuses années. Ce partenariat doit permettre à la Côte d'Ivoire de répondre aux nombreux défis inhérents à une sortie de crise : restructuration de son outil de défense, restauration de l'État de droit et réintégration dans l'architecture de paix et de sécurité régionale. Pour la France, l'appui logistique que constitue sa base de Port-Bouët, qui héberge la force Licorne, a montré toute son utilité depuis le déclenchement de l'opération Serval au Mali. La constitution d'un second pôle de stabilité francophone en Afrique de l'Ouest, avec le Sénégal, est d'autant plus importante dans le contexte de crise en région sahélienne.
Selon un de mes interlocuteurs, la Côte d'Ivoire ressemble aujourd'hui à un « pays qui a eu un tremblement de terre et en subit encore les secousses ». Après presque dix années de guerre civile, l'appareil de défense et de sécurité est en effet à reconstruire intégralement. Cela est un réel défi pour un pays qui ne disposait, avant la crise, que d'une petite armée, sa sécurité extérieure étant alors assurée par les accords de défense conclus avec la France.
Aujourd'hui, la Côte d'Ivoire doit s'approprier la réforme de son secteur de la sécurité, et conduire une politique de désarmement-démobilisation-réinsertion, au bénéfice des populations ivoiriennes mais également pour les ressortissants et investisseurs étrangers afin de stimuler la relance économique du pays. L'une des grandes difficultés est de surmonter les antagonismes qui existent au sein des forces armées ivoiriennes. Pendant toute la crise, deux armées ont en effet cohabité : les Forces de défense et de sécurité de Côte d'Ivoire (FDSCI) au Sud, et les Forces armées des Forces nouvelles, au Nord (FAFN). Elles ont été agrégées par le Président Ouattara le 10 mars 2011 dans les Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FCRI). L'amalgame au sein des unités existe en théorie mais la cohabitation reste difficile et le brassage demeure incomplet. Les besoins en matière d'équipement sont par ailleurs très importants, le pays étant sous embargo depuis une dizaine d'années.
Depuis plus de dix ans, la France est fortement présente sur le territoire ivoirien avec la force Licorne, stationnée au camp de Port-Bouët. Engagée initialement pour assurer la sécurité des ressortissants français après la tentative de coup d'État, cette force s'est rapidement transformée en force de contrôle du cessez-le-feu, puis de soutien du déploiement de la mission de la CEDEAO fin 2002, à laquelle a succédé début 2003 la mission de l'ONU. La signature de l'accord politique de Ouagadougou, en 2007 a confié à Licorne le soutien de l'ONUCI pour veiller à la mise en oeuvre de cet accord. Le mandat des Nations unies a été régulièrement prorogé depuis, la résolution 2062 du 26 juillet 2012 ayant reconduit ce mandat pour un an. La normalisation de la situation dans le pays, à partir de l'automne 2011 a cependant conduit la France à réduire considérablement son dispositif militaire, qui est passé de plus de 4 000 hommes au plus fort de la crise à 466 aujourd'hui. Il devait même être réduit à 300 hommes mais cette réduction a été reportée une première fois pour prendre en compte le suivi des élections législatives en décembre 2011, puis une deuxième fois pour tenir une posture de vigilance liée aux événements au Mali.
La mission principale de la force, déployée uniquement à Abidjan, est désormais de défendre les intérêts et ressortissants français. Elle concourt également à des opérations dans la sous-région, comme le soutien de l'opération Serval au Mali. Elle accompagne enfin la reconstruction de l'armée ivoirienne. La Côte d'Ivoire met à disposition des forces françaises le camp de Port-Bouët et l'installation abritant le détachement d'intervention lagunaire à Abidjan. Cette présence, complétée par les nombreuses facilités de transit qui lui sont accordées, offre de nombreux avantages stratégiques et opérationnels. La force Licorne offre tout d'abord une réserve opérationnelle interarmées crédible, réactive et déployable en et hors de la Côte d'Ivoire. Les forces qui y stationnent possèdent l'ensemble de leurs moyens de combat, commandement, appui et soutien. Elles peuvent ainsi de manière autonome, ou avec l'appui de moyens aériens ou maritimes, se déployer dans la sous-région ou venir renforcer d'autres bases pré-positionnées en Afrique (Gabon ou Tchad). L'acclimatation des militaires aux conditions locales constitue également un avantage certain.
Ce hub stratégique garantit ensuite à la France un accès sécurisé et multimodal à la façade occidentale de l'Afrique. L'emprise de Port Bouët est à proximité immédiate de l'aéroport international Houphouët Boigny et du port d'Abidjan. Ces deux plates-formes offrent une porte d'entrée et de sortie pour la projection de force et les flux depuis la métropole tant pour le fret aérien et maritime que pour les personnels. Enfin, c'est une zone adaptée pour réceptionner, reconditionner et intégrer toutes forces et leur équipement avant leur engagement. Aussi, à partir de cette base, les armées sont-elles en mesure de projeter (par voie routière, ferrée, maritime ou aérienne) les forces terrestres, maritimes et aériennes vers leurs différentes zones d'engagement puis de les soutenir, tout en bénéficiant d'un site discret et sécurisé. Ces facilités ont montré toute leur pertinence durant la crise malienne.
Après une suspension de près de dix ans, notre coopération militaire avec les Ivoiriens reprend. La coopération militaire opérationnelle, pilotée par l'état-major des armées, a ainsi recommencé dès la fin de l'année 2011. Son objectif est d'aider la Côte d'Ivoire à construire un outil de défense crédible, au service de sa population, capable d'assurer à terme son rôle de nation cadre de la Force africaine en attente et de contribuer aux opérations de maintien de la paix sur le continent africain, ce qui permettra une présence francophone dans ces opérations de maintien de la paix. Notre coopération s'inscrit à la fois dans le long terme, autour d'une réflexion stratégique qui conduit à l'élaboration d'un Livre orange, sur le modèle du Livre blanc français, et sur les moyens et courts termes, avec des actions concrètes adaptées aux besoins immédiats : nous aidons par exemple en ce moment la montée en puissance d'un bataillon logistique ivoirien de 180 hommes appelé à être projeté prochainement au Mali. La coopération structurelle est assurée par la direction de la coopération de sécurité et de défense du ministère des affaires étrangères. Deux conseillers français sont notamment placés auprès du Président Ouattara et du ministère délégué à la défense pour les aider dans leur réflexion stratégique.
Je vais, pour terminer, dire quelques mots sur le traité lui-même. Initiées en mai 2008, les discussions sur le traité ont été interrompues pour éviter toute instrumentalisation de l'accord par M. Gbagbo en vue de contourner l'embargo sur la coopération militaire avec la Côte d'Ivoire. Elles n'ont pu reprendre qu'avec l'arrivée au pouvoir des nouvelles autorités ivoiriennes. Préparé par la partie française, le projet d'accord, annoncé par le Président Sarkozy lors de sa visite à Abidjan en mai 2011, puis remis au Président ivoirien par le ministre français de la défense début juillet 2011, n'a nécessité que deux sessions de négociations et a été paraphé le 16 novembre 2011 et signé le 26 janvier 2012, à Paris. Le traité comporte 21 articles. Il ne s'écarte pas du modèle d'accord négocié récemment avec les autres pays africains (Gabon, Sénégal, Djibouti, Cameroun, Centrafrique, Togo, Comores). Sur ce point, le traité avec la Côte d'Ivoire se rapproche plus encore des accords conclus avec les quatre premiers États, puisqu'il contient, à l'instar de ces derniers, une annexe relative aux facilités accordées aux forces françaises stationnées ou en transit sur le territoire de République de Côte d'Ivoire.
Compte tenu de tous les avantages que représente cette présence militaire française en Côte d'Ivoire, je donne un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi.