Intervention de Nicolas Bays

Réunion du 16 avril 2013 à 17h45
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Bays, rapporteur pour avis :

C'est avec plaisir que je vous propose ce soir l'examen de l'un des trois derniers accords de défense liant la France à ses partenaires africains, clôturant ainsi le cycle de rénovation des accords nous liant au Cameroun, aux Comores, à la Côte d'Ivoire, à Djibouti, au Gabon, à la République Centrafricaine, au Sénégal et au Togo.

Ces nouveaux accords, s'ils comportent des différences, parfois notables, en fonction des particularités de chaque pays, ont tous un socle commun fait de partenariat, de respect mutuel et de transparence. Et c'est en vertu de cette transparence que ces traités sont désormais soumis au Parlement qui a exprimé, lors de la loi de programmation militaire 2009-2014, sa volonté d'être associé, toujours plus étroitement, à la politique étrangère et à la politique de défense de la France. L'ère postcoloniale de la « Françafrique » et des clauses secrètes est définitivement révolue. Ces nouveaux accords ont également en commun une caractéristique essentielle : la volonté de les inscrire dans le cadre plus large de la coopération internationale et du processus d'appropriation de sa propre défense par le continent africain selon le concept d'architecture de paix et de sécurité mis en oeuvre par l'Union africaine, ce dont il convient de se réjouir. Élaboré lors du sommet de l'Union africaine à Durban en 2002, le concept d'Architecture africaine de paix et de sécurité a pour objectif de permettre à l'Afrique de gérer elle-même la prévention et la résolution des crises pouvant survenir sur le continent. Plusieurs instruments ont été progressivement mis en place : un comité d'état-major, un fonds pour la paix, un groupe de sages, un système continental de veille et d'alerte précoce, le Conseil de paix et de sécurité, sur le mode du Conseil de sécurité de l'ONU, et la Force Africaine en Attente, destinée à intervenir sur le terrain. Cette Force Africaine en Attente est divisée en cinq brigades régionales d'environ 5 000 hommes, de composantes militaires, policières et civiles, stationnées dans leur pays d'origine et pouvant être déployées rapidement. Chaque brigade est rattachée à une Communauté économique régionale. Cette force doit être opérationnelle en 2015. Djibouti fait partie de la brigade Est, qui compte 14 pays. En conformité avec le préambule du traité réaffirmant l'engagement de la France à soutenir les mécanismes africains de sécurité collective, les forces françaises accompagnent la mise en place, complexe et moins rapide qu'initialement prévu, de la Force Africaine en Attente.

Mais cette appropriation à l'échelle de la région et du continent, commence par la prise en charge autonome de sa propre défense par chaque pays, avec l'appui de ses partenaires. Les forces françaises ne doivent plus se substituer mais soutenir, conseiller, former, entraîner, équiper dans le respect de l'indépendance et la souveraineté de l'État d'accueil. C'est ainsi qu'aucun des traités ne contient ni clause de maintien de l'ordre interne ni, hormis pour Djibouti, de clause de sécurité. Cette clause de sécurité, voulue par les autorités djiboutiennes et par laquelle la France s'engage à contribuer à la défense de l'intégrité territoriale du pays après échanges de vues et consultation des parties, ce qui exclut toute intervention à caractère automatique, est au coeur des raisons de la présence des forces françaises à Djibouti qui constituent la force prépositionnée la plus importante, d'environ 1 900 hommes. En effet, la France, qui a acheté le site en 1862 aux sultans afars d'Obock et de Tadjourah, a immédiatement identifié ce territoire de la Corne de l'Afrique comme une place stratégique de premier plan dont l'intérêt n'a cessé de croître au cours du XXe siècle. Djibouti, dont les côtes bordent le Golfe d'Aden et la Mer Rouge, contrôle, avec le Yémen, le détroit de Bab el Mandeb, à l'embouchure sud de la Mer Rouge ouvrant ensuite sur le Canal de Suez, et voit transiter une partie importante du trafic maritime mondial militaire et commercial, dont les approvisionnements pétroliers.

Mais Djibouti est un petit pays d'environ 850 000 habitants entouré de géants dans un contexte particulièrement instable : le conflit somalien, des relations tendues avec l'Érythrée dont les relations avec l'Éthiopie sont au point mort, le Soudan, le Yémen, dont de nombreux ressortissants sont présents sur le sol djiboutien, la piraterie, la montée de l'islamisme, une terre de passage propice aux trafics, l'afflux des réfugiés, les appétits territoriaux, à peine voilés, de la Somalie et de l'immense Éthiopie dont Djibouti est le seul port depuis l'indépendance de l'Érythrée… En résumé, il s'agit « d'un tableau effrayant » comme a pu le dire l'un de mes interlocuteurs. Seule la présence militaire française dissuasive a protégé ce pays des convoitises régionales et lui a assuré une stabilité durable garante de son développement économique.

L'intérêt géostratégique de cet îlot de stabilité, grâce à la présence continue de la France, je le répète, n'a pas échappé aux nations étrangères. Le Japon a ouvert sa première base à l'étranger lui permettant d'intervenir dans le cadre de la lutte contre la piraterie et les États-Unis, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, ont ouvert en 2011 leur seule base permanente en Afrique. Nos partenaires européens allemands, espagnols sont présents dans le cadre de l'opération Atalante et l'Italie envisage l'installation d'une base permanente. S'il convient de se féliciter de la présence de ces nouveaux acteurs sur place, qui ne sont pas des concurrents et qui poursuivent les objectifs communs de maintien de la paix et de mise en place des structures correspondantes, la France doit cependant se montrer vigilante. Son influence traditionnelle, historique et culturelle, dans le seul pays francophone de l'Afrique de l'Est, pourrait faire face à une forme de logique du plus offrant. J'estime donc nécessaire de mettre en garde contre un possible risque d'éviction, qui n'est pas à l'ordre du jour aujourd'hui, mais qu'il ne faut pas négliger dans les décisions qui seront prises à l'avenir concernant nos forces stationnées à Djibouti.

Nos forces sur place remplissent des missions que l'on peut répartir en deux groupes, celles qui s'articulent autour de la coopération et celles qui incombent traditionnellement aux forces prépositionnées. Dans le cadre de la coopération en matière de défense, et selon les termes du traité, nos forces peuvent contribuer, on l'a vu, à la défense du territoire djiboutien, participent à la surveillance de ses espaces aérien et maritime, apportent leur concours au renforcement de l'armée djiboutienne, soutiennent localement et régionalement la mise en place des structures africaines de maintien de la paix, réalisent des actions civilo-militaires au profit de la population. Dans le cadre du prépositionnement, elles assurent la projection rapide de forces aguerries en cas de crise, sont un point d'appui pour les forces extérieures, pour l'opération Atalante et pour la projection aérienne vers l'océan Indien en complément de la base des Émirats arabes unis, assurent la protection et l'évacuation de nos ressortissants, entretiennent des contacts avec les armées de proximité et contribuent au renseignement, forment des troupes françaises, djiboutiennes et étrangères au combat en zone désertique et, enfin, réalisent des exercices de grande ampleur sur ce type de terrains.

D'aucuns, à l'occasion de l'opération Serval, se sont interrogés sur les performances de l'armée malienne et sur les résultats de la coopération. En ce qui concerne les forces djiboutiennes, si des efforts sont toujours à faire, l'armée djiboutienne, qui comporte une armée de Terre, une armée de l'Air et une marine est à même, selon notre état-major, de défendre les frontières du pays face à une menace faible. Elle a, et c'est un succès à saluer, pu déployer fin 2012 un bataillon d'environ 1 000 hommes en Somalie dans le cadre de l'AMISOM. Outre le manque de moyens et un parc de matériels vieillissants provenant essentiellement de cessions d'armées étrangères, la coopération avec l'armée djiboutienne se heurte parfois à une conception dépassée, peu adaptée à l'évolution du contexte international et des menaces. Mais il semble, toujours selon notre état-major, que les choses évoluent dans le bon sens.

Venons-en au traité lui-même. Basé sur un modèle commun dont il s'écarte peu, hormis la clause de sécurité précitée, il regroupe en un seul texte tous les volets de la coopération et de sa mise en oeuvre. Les points marquants du traité sont : la possibilité, inscrite dans le préambule, d'associer aux activités prévues dans le traité d'autres États africains et des membres de l'Union européenne ; la clause de sécurité, bien sûr, sur laquelle je ne reviens pas ; l'instauration d'un comité de suivi présidé par une personnalité civile de chaque partie, non encore désignée, se réunissant au moins une fois par an pour donner une cohérence aux activités déterminées par le traité. La convention financière et fiscale signée en 2003 entre les deux États prévoyait une évaluation annuelle qui n'aurait jamais eu lieu. Il est donc, à mes yeux, important que ce comité se mette effectivement en place et que ceci fasse, peut-être, l'objet d'un contrôle,

J'en viens pour terminer au soutien médical et à la fermeture programmée de l'emprise de l'hôpital Bouffard en 2015. En écho à la réorganisation des forces françaises à Djibouti en 2011, l'hôpital Bouffard est apparu surdimensionné et coûteux pour le seul soutien des forces françaises et des personnes à leur charge. Son coût, 20 millions d'euros, dont 11,5 au profit de la population djiboutienne a d'ailleurs fait l'objet d'une recommandation de la Cour des comptes en 2010. À terme, les forces françaises disposeront d'un centre médical interarmées assurant les activités de médecine générale et d'un nouveau centre médico-chirurgical interarmées assurant l'activité hospitalière. L'activité de l'hôpital baissera graduellement afin d'assurer la continuité de la prise en charge des patients. L'hôpital Bouffard assure aujourd'hui les soins des personnels stationnés et de leurs familles, des forces armées djiboutiennes et de leurs familles, de militaires étrangers, de civils djiboutiens soignés à titre onéreux ou gracieux dans le cadre de l'aide médicale à la population. Il sera rétrocédé « en l'état », certains matériels restant sur place. Les forces armées djiboutiennes seront prises en charge par le système de santé du pays, dont l'offre de soins publics et privés est relativement abondante et comporte plusieurs hôpitaux publics, des praticiens et des cliniques privées. Le sort de l'hôpital Bouffard, au terme du processus de rétrocession, est toutefois incertain. Sera-t-il repris par les forces armées djiboutiennes, qui semblent le souhaiter, ou deviendra-t-il un établissement privé ?

Pour terminer, considérant l'importance que revêt la présence française dans cette région du monde et le cadre juridique protecteur qu'offre ce traité, je donne un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi et à la ratification de ce traité par le Parlement.

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