Intervention de Marie Récalde

Réunion du 16 avril 2013 à 17h45
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie Récalde, rapporteure pour avis :

La France entretient, depuis plus de trois siècles de relations denses, une proximité toute particulière avec le Sénégal, qui témoigne de la force du lien qui unit nos deux pays. Ce lien tient évidemment à une histoire partagée, qui a fait dire au Président François Hollande, lors de son discours du 12 octobre 2012 à Dakar, que « la France se souvient qu'en 1914 et 1940, elle a pu compter sur le concours de nombreux Sénégalais enrôlés de gré ou de force sous le drapeau tricolore et dont le courage a permis à la France d'être ce qu'elle est aujourd'hui ». C'est aussi le fruit d'une tradition de coopération dans tous les domaines, d'un courant d'échanges humains et d'un partenariat étroit en matière culturelle et économique, qui fait de la France un partenaire économique de premier plan du Sénégal et de ce dernier le pays d'Afrique subsaharienne qui bénéficie le plus de la contribution de la France. Dès lors, le renforcement d'une coopération militaire bilatérale constructive ne peut bien sûr que constituer une priorité pour la France, d'autant plus que celle-ci est militairement présente de longue date au Sénégal et y développe une coopération étroite dont la forme a récemment évolué.

La coopération en matière de défense a été, jusqu'en 2011, réalisée par des forces pré-positionnées permanentes au Sénégal : les « Forces françaises du point d'appui de Dakar », de 1960 (date de l'indépendance du Sénégal) jusqu'en 1974, puis par les « Forces françaises du Cap Vert » (FFCV), qui ont compté jusqu'à 1 158 hommes, et qui ont été dissoutes le 31 juillet 2011 pour créer les « Éléments français au Sénégal » (EFS). Depuis le 1er août 2011, la coopération militaire relève ainsi des EFS, qui ont été créés un effectif initial de 365 hommes et un objectif de 300 hommes en 2014, et qui constituent ce qu'on appelle un « pôle opérationnel de coopération ». Cette réduction du format des forces françaises basées au Sénégal résulte de la réorganisation des forces de présence, conséquence directe des orientations du Livre blanc de 2008 et de la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP).

À la différence d'une base opérationnelle avancée, un pôle opérationnel de coopération ne dispose pas de troupes pré-positionnées en mesure d'intervenir avec un très bref préavis, notamment en cas de menaces sur nos ressortissants, car sa mission principale est la coopération militaire opérationnelle régionale. Les EFS ne doivent donc pas être considérés comme des troupes pré-positionnées, mais comme un point d'appui, disposant toutefois de capacités d'accueil pour recevoir des renforts via une escale aéronautique et une station navale ainsi que d'un commandement de forces projetées au travers du maintien d'un noyau de poste de commandement interarmées de théâtre.

Les principales missions de ces Éléments français au Sénégal sont :

– de satisfaire au partenariat bilatéral en matière de défense avec le Sénégal ;

– de conduire des actions de coopération opérationnelle bilatérale et régionale dans le cadre de l'appui à l'architecture africaine de paix et de sécurité, notamment en matière de formation des contingents de la Force en attente de la CEDEAO (FAC) et de soutien aux missions de maintien de la paix ;

– d'être en mesure, en cas de crise, de participer à l'autoprotection de nos emprises au Sénégal et d'intervenir, en soutien des forces françaises, dans la zone des pays du Sahel et en Côte d'ivoire.

Au regard de l'étendue des missions que doivent remplir les EFS, j'appelle l'attention sur le fait que l'objectif fixé à 300 hommes en 2014 est certainement sous-dimensionné et qu'un effectif d'environ 400 hommes serait certainement plus adapté.

Si la coopération de l'armée française avec les Forces armées sénégalaises (FAS) s'est immédiatement développée dès l'indépendance du Sénégal, elle a évolué progressivement d'une « coopération de substitution », où les coopérants français occupaient des postes de responsabilité et étaient directement insérés au sein des FAS, vers une réelle « appropriation », dans laquelle les militaires français assument des fonctions de conseillers auprès des autorités militaires sénégalaises. Ce partenariat militaire avec le Sénégal reposait jusqu'ici essentiellement sur un accord de coopération en matière de défense signé le 29 mars 1974 qui apparaît aujourd'hui à bien des égards obsolète. Il était donc nécessaire de donner une nouvelle impulsion à une coopération bilatérale qui présente un intérêt certain pour la France. En effet, le Sénégal, et plus largement l'Afrique subsaharienne, demeure un espace prioritaire pour la France. De plus, l'armée sénégalaise est une puissante force régionale militaire qui n'importe pour l'instant que peu d'équipements militaires français. Par ailleurs, la France encourage fortement la poursuite de l'appropriation par l'Afrique de sa propre sécurité et les forces armées sénégalaises participent de façon croissante aux opérations sur le continent africain. Enfin, la France peut utilement s'appuyer sur le Sénégal dans sa lutte contre le terrorisme islamique, comme vient d'ailleurs de l'illustrer récemment l'opération Serval au Mali.

En effet, les EFS ont, d'une part, été particulièrement sollicités lors du déclenchement de Serval, dans la mesure où ils ont fourni de nombreux détachements de liaison auprès des différents contingents africains et ont formé l'ossature initiale du poste de commandement interarmées de théâtre. Ils ont par ailleurs soutenu les convois terrestres vers la frontière malienne, tandis que la plate-forme aérienne de la base « Senghor militaire » permettait l'accueil et le soutien d'une dizaine d'avions impliqués dans l'opération Serval et que le port réalisait l'accueil et le soutien des transits maritimes et terrestres. Je constate avec fierté que la présence des EFS au Sénégal et leur connaissance directe du milieu ont été déterminantes dans la réussite de l'opération Serval compte tenu de la rapidité de son déclenchement. D'autre part, il faut également se féliciter de constater que si le Sénégal ne participe pas à l'opération Serval en tant que tel, il a cependant immédiatement répondu à son déclenchement par un soutien politique ferme et a su prendre toute sa place au sein de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA), avec une contribution de 647 hommes au mois de mars 2013.

Il faut donc se réjouir de la signature, le 18 avril 2012, lors de la visite à Paris du nouveau président sénégalais Macky Sall, du traité instituant un partenariat en matière de coopération militaire entre la République française et la République du Sénégal qui rénove la relation de défense entre les deux pays, ainsi que du projet de loi autorisant sa ratification qui nous est aujourd'hui proposé. Cette signature intervient à l'issue de négociations entamées dès 2008 qui ont connu des débuts difficiles, notamment sous l'ère de l'ancien Président du Sénégal Abdoulaye Wade, mais de multiples contacts avec les autorités sénégalaises ont permis de lever progressivement ces difficultés initiales. Ce traité s'inscrit pleinement dans l'esprit du Livre blanc de 2008 qui aspire à une nouvelle approche des accords de défense bilatéraux, fondée sur les principes de réciprocité et de transparence. Plusieurs dispositions de ce traité comportant des dispositions relevant du domaine de la loi, notamment celles de l'article 7 qui accordent aux membres du personnel sénégalais des exonérations douanières sur le territoire français, celles de l'article 10 qui stipule que « les membres du personnel appartenant aux forces armées peuvent détenir et porter une arme de dotation sur le territoire de l'État d'accueil », et celles de l'article 15 qui dérogent au principe de territorialité de la loi pénale française, le Parlement doit aujourd'hui, conformément à l'article 53 de notre Constitution, autoriser sa ratification.

À cette occasion, je rappelle que la loi de programmation militaire du 29 juillet 2009 avait prévu que le Parlement serait désormais informé de la conclusion et des orientations des accords de défense. Or, il semble bien que nous n'ayons pas été informés jusqu'à ce jour de ce traité. Au moment où nous nous apprêtons à examiner la prochaine loi de programmation militaire, je souhaiterais insister pour que cette disposition novatrice soit à l'avenir mieux appliquée, dans la mesure où elle contribuerait utilement à une meilleure information du Parlement sur les affaires de défense. Notre commission a décidé, au regard des forts enjeux de ce traité, de se saisir pour avis de ce projet de loi. Je suis en effet intimement convaincu de la nécessité pour les deux pays de faire évoluer leur relation et de renforcer leurs actions de coopération en matière de défense.

Il convient également de mettre à profit la nouvelle dynamique créée par l'entrée en fonction quasi concomitante des deux présidents de la République François Hollande et Macky Sall en 2012, pour renforcer une relation bilatérale déjà très bonne. Le déplacement du président François Hollande au Sénégal le 12 octobre 2012, premier déplacement en Afrique depuis son élection, qui faisait suite à la visite de travail du président Macky Sall à Paris du 6 au 10 juillet 2012, témoigne en effet de façon concrète de l'étroitesse de nos relations.

Cet accord, sans pour autant être un traité de défense, couvre désormais un champ très vaste de coopération. Il énumère ainsi plusieurs grandes formes de coopération militaire (article 4) qui n'étaient pas explicitement évoquées dans l'accord du 29 mars 1974 et qui offrent désormais un large champ de possibilités pour les futures actions de coopération militaire. Le traité met également en place une structure de suivi de la coopération (article 5) et ouvre la possibilité novatrice d'associer d'autres partenaires, qu'il s'agisse de l'Union européenne, de l'Union africaine, de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), ou même de tout autre État, aux activités militaires bilatérales initiées dans le cadre du traité (article 2). D'après les informations que j'ai recueillies, la procédure de ratification n'a pas encore été engagée par le Sénégal, mais le Secrétariat général du gouvernement sénégalais devrait néanmoins être prochainement saisi du projet de loi autorisant la ratification pour transmission au conseil des ministres. Il est donc nécessaire que le Parlement français autorise sans attendre la ratification de ce traité, d'autant plus qu'il offre un cadre juridique protecteur à notre coopération militaire avec le Sénégal. En effet, ce traité, qui énonce de façon détaillée l'ensemble des facilités accordées aux forces françaises et aux forces armées sénégalaises (Annexe I et III), regroupe désormais en un seul instrument les différents volets de notre relation de défense. Par ailleurs, les garanties essentielles de protection des droits des personnels civils et militaires français sont assurées (article 15). Enfin, la protection des informations classifiées sera mieux organisée à l'avenir (article 17).

Compte tenu de ces éléments, je vous propose d'autoriser la ratification d'un traité qui offre un cadre présentant toutes les garanties de sécurité juridique pour le développement de relations profitables aux deux pays et qui confirmera à notre partenaire sénégalais qu'il existe une réelle volonté politique française de développer la coopération militaire entre nos deux pays.

Comme le rappelait François Hollande lors de son discours à Dakar le 12 octobre 2012, c'est en effet « épaule contre épaule », pour reprendre les paroles données par Léopold Sédar Senghor à l'hymne national sénégalais, que la France et l'Afrique avanceront ensemble !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion