Proposée par la sénatrice Isabelle Debré et adoptée par le Sénat le 31 janvier dernier, cette proposition de loi vise à permettre le cumul du minimum vieillesse avec des revenus professionnels. En effet, le cumul d'une pension avec un emploi étant aujourd'hui autorisé pour tous les retraités, sauf pour ceux qui bénéficient du minimum vieillesse, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a recommandé de mettre fin à cette iniquité dans son rapport sur le cumul emploi-retraite de 2012.
Créé en 1956, le dispositif du minimum vieillesse permet de garantir un revenu minimal aux personnes n'ayant pas du tout, ou pas suffisamment pu, cotiser aux régimes de retraite au cours de leur carrière. Depuis 2007, les bénéficiaires du minimum vieillesse regroupent les titulaires de l'une des deux allocations permettant d'atteindre le plafond du minimum vieillesse – soit l'ancienne allocation supplémentaire vieillesse (ASV), soit la nouvelle allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). L'ASV concerne environ les trois quarts des personnes allocataires du minimum vieillesse dont le nombre était estimé à quelque 570 000 à la fin de l'année 2010. Servie par vingt et une caisses de retraites, cette allocation minimum vient compléter les droits acquis à un avantage de base. À la fin de l'année 2011, 70 % des allocataires dépendaient de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) – cela représente 3,2 % des retraités du régime général. Le financement de cette allocation est assuré par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), dont elle représente en 2011 près de 13,6 % des dépenses, soit environ 3 milliards d'euros
Si le minimum vieillesse est une ressource minimum pour les personnes âgées, l'ASPA constitue une allocation différentielle, attribuée sous conditions de ressources. L'estimation des ressources exclut la valeur de la résidence principale, les prestations familiales et l'allocation de logement aux personnes âgées. L'allocation garantit un niveau de ressources minimales aux personnes âgées de 65 ans ou plus – cette condition d'âge étant ramenée à l'âge légal, de 60 à 62 ans, pour les personnes reconnues invalides ou inaptes au travail ainsi que pour d'autres catégories mentionnées à l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale. Le minimum vieillesse n'est attribué que lorsque les intéressés ne disposent pas de ressources supérieures à un plafond fixé par décret. L'ASPA a été fixée au 1er avril 2013 à 787,26 euros par mois pour une personne seule et à 1 222,27 euros pour un couple – sachant que le seuil de pauvreté s'élève actuellement à 964 euros pour une personne seule. Je ferais d'ailleurs observer que son plafond, pour une personne seule, a été revalorisé de 25 % entre 2009 et 2012. L'ASPA étant une allocation subsidiaire, il faut d'abord avoir fait valoir tous ses droits dans les différents régimes de retraite pour pouvoir en bénéficier.
Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), l'âge moyen des allocataires s'élève à 75 ans : 72 ans pour les hommes et 76 ans pour les femmes. Les allocataires de 65 à 75 ans en représentent environ un tiers. De plus, 71 % sont des personnes seules, contre 41 % pour l'ensemble de la population âgée de 65 ans et plus. Enfin, les femmes représentent plus des trois quarts des allocataires.
C'est actuellement le caractère différentiel de l'allocation qui empêche son cumul avec des revenus du travail. Il n'est pas interdit à un allocataire du minimum vieillesse de percevoir des revenus d'activité, mais ceux-ci sont intégrés dans ses ressources et viennent donc en diminution du montant de l'allocation versée, ce qui annule le bénéfice de la reprise d'une activité.
Pour les autres retraités, le cumul emploi-retraite, institué par la loi du 21 août 2003, est ouvert à tout retraité, quels que soient la date de liquidation de sa pension et son régime de retraite. Il permet de percevoir simultanément une pension de retraite et des revenus d'activité. Il a été déplafonné par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Les cotisations versées ne sont pas créatrices de droits supplémentaires. La mesure n'est donc pas négative pour nos finances publiques. Le dispositif connaît un succès croissant à en juger par les statistiques. C'est pour de nombreux retraités le moyen de s'offrir une transition progressive vers, non pas l'inactivité, mais le « moins d'activité ». L'augmentation constatée concerne particulièrement les retraités du Régime social des indépendants.
Au total, l'IGAS estime le nombre de retraités cumulant un emploi et une retraite à 500 000 personnes sur 15 millions de pensionnés. À la fin de l'année 2010, plus de 281 000 retraités de droit direct étaient concernés par le cumul emploi-retraite au régime général.
Dans ce contexte, pourquoi autoriser le cumul du minimum vieillesse avec une activité ? Tout d'abord, compte tenu de la modicité du montant du minimum vieillesse et de la baisse du pouvoir d'achat, certaines personnes peuvent souhaiter compléter leurs revenus en exerçant une petite activité lorsqu'elles en ont encore la capacité. En outre, l'allongement de l'espérance de vie crée de nouveaux besoins, notamment en matière de santé. Or, il semblerait que faute de moyens, des bénéficiaires du minimum vieillesse renoncent à une complémentaire santé, au moment même où ils en auraient le plus besoin. De surcroît, le fait d'exercer une petite activité représente pour certaines personnes un moyen de conserver une vie sociale, de ne pas sombrer dans la solitude, voire de garder des liens avec d'autres générations. Enfin, ce sont souvent des femmes qui perçoivent le minimum vieillesse, car elles mènent plus souvent que les hommes des carrières incomplètes et pourraient avoir envie d'exercer une activité pendant quelques mois ou années supplémentaires.
Il va de soi que la reprise d'une activité à la retraite décroît à mesure que l'on avance en âge : un peu plus de 3 000 personnes du régime général exercent encore une activité à 75 ans, et un millier en dehors de celui-ci.
Quelles activités ce cumul pourrait-il concerner ? Des activités plutôt à temps partiel : services à la personne pour assurer la sortie d'école des élèves, emplois proposés par les mairies à raison d'un nombre d'heures très faible, notamment pour la mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires, dans les centres de loisirs par exemple. En zone rurale, il sera en effet difficile de recruter des étudiants pour assurer ces activités, ceux-ci suivant leurs cours dans les grandes villes pendant la semaine. Les retraités pourraient également assurer de petits remplacements dans des commerces tels que les bars et les bureaux de tabac, ou encore travailler dans le secteur agricole.
L'autorisation de cumuler le minimum vieillesse avec des revenus d'activité constituerait donc véritablement une mesure d'équité pour l'ensemble des retraités – une mesure de « justice », pour reprendre un terme qui vous est cher – sans alourdir nos finances sociales puisque le minimum vieillesse aurait été payé de toute façon. Elle créerait au contraire un gain financier pour le régime, puisque le complément d'activité exercé ferait l'objet de cotisations de retraite.
Actuellement, 0,8 % des allocataires du minimum vieillesse au régime général déclarent des revenus du travail, ce qui représente 3 300 personnes : celles-ci pourraient ainsi bénéficier d'allocations plus élevées. La plupart des cas concerneraient des allocataires qui ne travaillent pas actuellement ou qui ne déclarent pas leur activité. Ces quelques milliers de personnes, tout au plus – même si le chiffre est difficile à évaluer –, pourraient donc, si elles le souhaitent, améliorer leur pouvoir d'achat. Dans les faits, cette possibilité intéressera les allocataires du minimum vieillesse les plus jeunes, et en particulier les femmes.
La proposition de loi comprend deux articles modifiant le code de la sécurité sociale. L'article 1er permet de ne pas prendre en compte les revenus d'activité dans le calcul du montant de l'ASPA, jusqu'à un plafond de cumul fixé à 1,2 SMIC lorsque l'ASPA est versée à une personne seule, soit 1 346 euros actuellement – ce qui permettra à l'allocataire de compléter ses ressources jusqu'à 559 euros. La commission des affaires sociales du Sénat a ajouté un plafond spécifique pour les couples, à un 1,8 SMIC, soit un peu plus de 2 000 euros, qui permettra aux couples allocataires de bénéficier de revenus d'activité jusqu'à 790 euros. Quant à l'article 1er bis, il étend aux allocataires du minimum vieillesse la possibilité de cumuler les allocations de ce dispositif avec des revenus d'activité.