Si donc des actes condamnables sont commis, ils le sont par l'administration fiscale. Mais il n'y a pas d'actes condamnables : l'administration fiscale est irréprochable et la conduite du ministre l'a également été. De tels glissements sont très dangereux pour le débat public. La procédure d'entraide administrative consiste en des échanges entre administrations, où les contrôles sont réalisés par ces dernières.
En second lieu, je rappelle que, ministre de tutelle de Jérôme Cahuzac pendant dix mois, j'avais à coeur de travailler avec lui au redressement des finances publiques. On conçoit que se créent, dans ces conditions, une relation de travail et une relation personnelle tout à fait convenables. Il était donc logique – et aucun d'entre vous ne pourra me le reprocher – que j'aie confiance dans mon ministre, que j'aie envie de croire sa parole. Lui ai-je posé une seule fois la question de savoir s'il avait un compte bancaire à l'étranger ? Ce n'est pas une seule fois qu'il m'a répondu ; c'est cinquante fois ! Entre le 4 décembre et le 19 mars, nous n'avons pas été une seule fois en contact qu'il ne proteste, d'une manière véhémente et parfois émouvante, de son innocence. À vous aussi, dans l'hémicycle silencieux, il a dit une parole que tous vous avez crue.
En même temps, j'éprouvais ce doute méthodique, ce doute de principe. En tant que chef d'une administration travaillant sous mon autorité, je devais mettre en oeuvre toutes les procédures nécessaires pour contribuer à l'établissement de la vérité, sans quoi vous me reprocheriez aujourd'hui de n'avoir pas agi. Si j'ai recouru à l'entraide fiscale, c'était dans le souci d'aider à l'établissement de la vérité, puisque cette procédure existe. Si je ne l'avais pas fait, la Commission des finances me le reprocherait aujourd'hui. Nous ne serions pas en train de nous demander quelle est l'interprétation de la lettre de 2010 ; vous me reprocheriez de n'avoir pas utilisé un moyen à ma disposition.
Je suis donc à la fois naturellement dans une relation de confiance qui existe entre collègues – du moins entre gens bien nés et au sein d'un gouvernement où l'on essaie de s'entendre plutôt que de se glisser des peaux de banane sous les pieds – et le chef d'une administration qui met en place avec diligence toutes les procédures dont elle dispose.
Cela dit, madame Dalloz, il semble que vous n'ayez pas envie d'entendre les réponses que j'ai déjà données plusieurs fois sur tous les points. Pourquoi UBS ? J'ai fait une réponse détaillée et incontestable. Pourquoi 2006 ? J'ai là aussi répondu d'une manière détaillée et incontestable, et le président Carrez a même déclaré que nous avions été plus loin que la convention et aussi loin qu'il était possible. Cette question n'est plus pendante pour M. Carrez. Quant à Singapour, il ne s'agissait pas d'aller à la pêche aux informations partout sur la planète ; il s'agissait de vérifier une information qui était sur la place publique : Jérôme Cahuzac avait-il possédé, en janvier 2010, un compte à l'UBS en Suisse, compte ensuite transféré à Singapour ? Les questions que notre administration pose à la Suisse permettent de répondre à l'intégralité de ces questions. C'est un bloc, mais vous refusez de le voir.
Quant à savoir si nous pouvions interroger d'autres banques, je rappelle le contexte, tel que le traduit la lettre de 2010 : la Suisse refusait de ratifier la convention signée en 2009, dont elle a voulu resserrer au maximum l'interprétation. On ne peut pas à la fois dire qu'il est extraordinairement difficile d'obtenir des informations des autorités suisses et imaginer que, subitement, ce pays souhaiterait étendre l'interprétation de la convention. Le gouvernement de l'époque a consenti à la demande de la Suisse que l'ouverture d'une procédure soit appuyée par des éléments précis. Ainsi, notre demande pouvait concerner plusieurs banques, dès lors que nous pouvions fournir des informations précises – ce qui n'était le cas que pour l'UBS. Ne réécrivez pas l'histoire ! Sur Reyl, il existait des informations, mais il en manquait une : que le compte ait pu être transféré avant le mois de février. Même après février, Mediapart continue d'évoquer un compte à l'UBS.
Vous cherchez à salir l'administration, dont il est pourtant clair qu'elle a fait ce qu'elle pouvait avec les outils qu'elle avait et qu'elle a utilisés jusqu'aux limites de leurs possibilités. Incriminer l'administration, et avec elle le ministre, est un jeu dangereux. Je vous ai connus plus honnêtes.
L'administration, sous mon autorité, a fait tout ce qu'elle pouvait, mais la vraie question – qu'abordera, je l'espère, la commission d'enquête – est de savoir ce qui s'est passé et d'en tirer les leçons. Il est au moins clair que les outils dont nous disposions ne nous ont pas permis d'établir la vérité. Deux thèses sont possibles. La première est que nous serions de mauvaise foi et manipulateurs : il y aurait une affaire Moscovici. Bien entendu, il n'en est rien : pourquoi aurais-je couvert quiconque ? La deuxième est que nous n'avons pas les bons outils. La convention ne permettait pas d'aboutir. La vraie leçon est qu'il faut passer d'un échange d'informations à la demande à un échange d'informations automatique. Le FATCA européen que je propose doit s'appliquer aussi aux échanges avec la Suisse. Ce n'est pas gagné, mais c'est absolument indispensable. Ce qui est en cause, c'est le secret bancaire et les relations entre États.
Madame Dalloz, je précise que la demande se fonde bien sur l'article L. 10 du Livre des procédures fiscales.
Je rappelle par ailleurs la chronologie : le 14 décembre, l'administration – qui n'est pas tenue de le faire – demande à Jérôme Cahuzac s'il a des comptes à l'étranger et lance un compte à rebours de trente jours. Il est en effet impossible de faire jouer la convention d'entraide internationale avant d'avoir épuisé les procédures nationales. Une semaine après, en l'absence de réponse, j'ai appellé Mme Widmer-Schlumpf pour lui demander l'application de la procédure d'entraide et, une semaine plus tard, nous recevions la réponse. Jamais personne n'est allé aussi vite.
Quant à l'examen de la situation fiscale des ministres, évoqué par Mme Pécresse, il porte sur les dossiers : il s'agit d'un contrôle sur pièces qui, par construction, ne voit pas les comptes à l'étranger – d'où l'utilité de la demande du 14 décembre. À cela s'ajoute le secret fiscal, mais celui-ci n'existe pas pour les autorités auxquelles il n'est pas opposable, comme la police judiciaire. La DGFiP a transmis les éléments dont elle disposait à la police judiciaire. Nous avons été totalement transparents. Le jour où le secret fiscal sera levé, les informations seront disponibles, mais elles ne le sont pas dans le contexte actuel.
Monsieur Blanc, le recours à la procédure pénale n'était pas du ressort du ministre des finances. Du reste, je vous rappelle la chronologie : une enquête préliminaire était alors menée sous l'autorité du parquet. Aurait-il fallu donner des instructions au parquet ? Nous l'avons refusé, car l'indépendance de la justice devait être respectée.
Pour ce qui est, enfin, de l'information publiée par le Journal du dimanche et, avant lui, par le Nouvel Observateur, permettez que nous respections l'indépendance des médias. Voudriez-vous que nous fassions une enquête sur leurs sources ? Je puis en tout cas vous dire où se trouvaient les réponses de l'administration suisse : dans le coffre du directeur général des finances publiques et entre les mains de la police judiciaire. Aucune fuite n'est venue de l'administration fiscale. En revanche, les conseils juridiques de Jérôme Cahuzac, conformément au droit suisse, avaient été informés du déclenchement de la procédure. Les autorités suisses nous ont ensuite demandé si nous les autorisions à transmettre ces informations aux conseils de M. Cahuzac, qui en disposaient donc. L'article du Journal du dimanche indique d'ailleurs qu' « avant toute recherche, l'UBS, dans un courrier daté du 25 janvier, écrit à l'avocat suisse de Jérôme Cahuzac, Me Edmond Tavernier, pour le prévenir des informations réclamées sur son client ». Ce qui suit ne me regarde pas : c'est la liberté de la presse dans notre pays.
Cette séance n'a pas été inutile. Nous aurons bientôt un débat devant la commission d'enquête.