Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mesdames les présidentes, chers collègues, en vertu de l'article 35 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 – présentée à l'époque par François Fillon et que vous n'aviez pas votée, chers collègues de la majorité –, notre assemblée est réunie aujourd'hui pour autoriser la prolongation de l'intervention française au Mali.
Au nom du groupe UMP, je veux dire d'emblée que nous soutiendrons la prolongation de l'intervention française. Cette décision s'assortit cependant d'un grand nombre de questions graves, que ce débat nous donne l'opportunité de poser au Gouvernement, en toute transparence et en toute responsabilité devant les Français. Il est en effet toujours plus facile de décider d'une intervention militaire, d'engager la force armée, que de terminer un conflit et de se retirer dans des conditions honorables, une fois les objectifs accomplis, dans des théâtres d'opérations qui, dans la géopolitique de ce début de XXIe siècle, se révèlent immanquablement d'une extrême complexité.
Mais avant d'en venir à ces interrogations, qui sont autant de réserves essentielles à nos yeux, qu'il me soit permis de revenir brièvement sur au moins trois enseignements de l'intervention française au Mali, à ce stade.
Le premier tient à la décision d'engager nos forces. Cette décision, on le sait, a été soutenue par un vaste consensus politique en France : 6 000 Français et 1 000 Européens résident au Mali, 35 000 Français au bas mot au Sahel et 80 000 en Afrique de l'Ouest. Ce sont autant de raisons qui justifiaient l'intervention française.
En outre, ce qui se produisait au Nord-Mali depuis une bonne décennie et que nos forces ont découvert n'était rien d'autre que la constitution d'une base terroriste, d'un foyer terroriste puissamment armé aux portes de l'Europe, qui menaçait directement l'ensemble de la région sahélienne, mais, à terme, également le continent européen.
De ce point de vue, le premier des trois objectifs fixés par le Président de la République à notre intervention – à savoir l'arrêt de l'agression terroriste – a été atteint.
Le deuxième enseignement à tirer de cette crise tient à la remarquable efficacité de nos forces militaires, qu'au nom du groupe UMP, je tiens à féliciter chaleureusement, tout en ayant une pensée pour les cinq militaires français qui ont donné leur vie au cours de cette intervention, ainsi que pour nos blessés.
Face à un adversaire fanatisé, suréquipé et prêt à mourir, les forces françaises ont montré leur courage, une très grande capacité d'adaptation et un très grand professionnalisme.
Mais Serval a également démontré la persistance de lacunes capacitaires extrêmement préoccupantes dans bon nombre de domaines clés.
La projection et la logistique, d'abord : 75 % des affrètements aériens ont été fournis par nos alliés.
Il en va de même pour le ravitaillement en vol, ainsi que pour le renseignement, compte tenu de l'absence cruelle de drones en France.
Enfin, il est clair que l'intervention sur deux théâtres d'opération en même temps – l'Afghanistan et le Mali – a posé des problèmes majeurs de moyens, qu'il s'agisse d'hélicoptères de combat ou de véhicules blindés.
Dans ces conditions, s'il faut se réjouir que l'opération Serval ait amené le Président de la République à préserver, au moins à court terme, l'effort budgétaire de défense, alors même que des scénarios de coupes drastiques étaient envisagés ces dernières semaines par Bercy, le problème reste entier pour les années à venir.
La France ne doit pas être contrainte de choisir entre le maintien de sa dissuasion nucléaire, d'une part, et celui de ses forces de projection, d'autre part. En ce début de XXIe siècle, ces deux éléments de notre politique de défense sont indispensables et indissociables. Et il faudra que la nation accepte de prendre en charge sa sécurité, faute de quoi nous serions condamnés à l'impuissance, au déclassement et à l'inaction si une nouvelle situation de ce genre, telle que nous l'avons vécue au Mali, devait se reproduire.
Troisième enseignement : c'est ce qu'il faut appeler le constat de décès de la belle idée de défense européenne. La France était déjà intervenue en Libye avec le seul Royaume-Uni en 2011. En 2013, elle s'est trouvée totalement seule au Mali, alors même que cette intervention, on l'a vu, est clairement au service de la sécurité de l'Europe tout entière. Comme souvent, l'Union européenne est meilleure dans la préparation de documents – j'allais dire dans la paperasse – que dans l'action. C'est ainsi qu'en septembre 2011, elle avait rendu publique une « stratégie pour la sécurité du développement au Sahel » centrée sur le Mali, la Mauritanie et le Niger, avec un budget de 167 millions d'euros, et même une clause militaire de lutte contre le terrorisme. On a peine à voir, dans les faits, ce qu'a donné cette fameuse stratégie. La contribution de l'Europe à la formation de la MISMA et des forces maliennes représente à peine 50 millions d'euros, c'est-à-dire moins que ce que nous dépensons chaque mois pour notre intervention au Mali.
Comme mes collègues Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher au Sénat, je m'étonne, moi aussi, qu'il n'y ait pas eu d'opération « EUFOR Mali », alors même que l'Union européenne dispose, il est vrai sur le papier, de groupements multinationaux pour différentes missions, incluant d'ailleurs des missions de lutte contre le terrorisme.
À tout le moins il conviendrait que le Gouvernement français interroge ses partenaires – j'ai entendu avec intérêt M. Le Roux – sur ce qu'il faut bien appeler un véritable vide stratégique européen, et un manque de solidarité. Au minimum, on pourrait espérer qu'à défaut d'intervenir physiquement sur le terrain en soutien de cet État, en l'occurrence la France, nos partenaires acceptent au moins de partager l'effort financier.
Monsieur Le Roux, je défendrai ici même, demain soir, une résolution, présentée au nom du groupe UMP, avec mes collègues Poniatowski et Mariani. Après vous avoir entendu cet après-midi, j'ose imaginer que vous allez la voter, ce qui aidera puissamment le Gouvernement à faire valoir ses arguments à Bruxelles.
J'en viens maintenant aux questions qu'il me paraît important de poser quant à l'avenir de l'intervention française au Mali.
Car une chose est de voter la prolongation de notre intervention, une autre serait de voter un chèque en blanc au Gouvernement dans les mois et les années qui viennent, ce que nous ne ferons pas. On touche là aux deux autres objectifs fixés par le Président de la République en janvier dernier, à savoir la sécurisation du Mali et la préservation de son intégrité territoriale. Ces objectifs-là, il faut en avoir conscience, ne peuvent pas être atteints uniquement par des moyens militaires et par la seule action de soldats, aussi brillante soit-elle. Comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer à M. Le Drian lors d'une réunion de commission, ce que nous avons fait au Mali, c'est nous livrer à une grande opération de nettoyage, mais la question qui se pose aujourd'hui est la suivante : à qui allons-nous rendre les clés ?
On touche là à la première et principale difficulté qui nous attend, à savoir l'extrême faiblesse de l'État malien, dont mon collègue François Loncle et moi-même avons pu nous rendre compte lors d'une mission à Bamako, en décembre dernier, dans le cadre du groupe Sahel que je préside à la commission des affaires étrangères de notre assemblée. Sans entrer dans les multiples épisodes de l'histoire du Mali, ou même de la crise malienne depuis février et mars 2012 et le coup d'État, force est de constater que le Mali n'a jamais su créer une unité véritablement nationale, entre la partie sud du pays appelée « le Mali utile », dominé par l'ethnie bambara, et la partie nord, désertique, dominée par les Touaregs.
L'absence de réconciliation nationale entre les ethnies, l'inexistence de l'État et des services publics dans les territoires du nord, l'échec des politiques de décentralisation menées après les quatre insurrections touaregs depuis l'indépendance, tout cela constitue autant de symptômes du mal profond qui ronge le Mali. S'y ajoute l'extrême faiblesse de la classe politique malienne. Aujourd'hui, le Mali est encore gouverné par des autorités transitoires, aux termes d'un accord signé pour un an le 6 avril 2012. Un capitaine putschiste, curieusement promu, le 13 février dernier, c'est-à-dire un mois après l'intervention française, président du « comité militaire du suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité », et ce, excusez du peu, par décret présidentiel, avec une solde de 6 000 euros par mois, continue de régner officieusement sur Bamako. Quant à l'armée malienne, inexistante, elle n'a pas pris part aux combats de libération dans le nord du pays. Et j'allais dire, heureusement, car, si elle l'avait fait, son action aurait sans doute davantage été déployée contre les Touaregs que contre les combattants d'AQMI.
Bref, une question centrale obère la suite de notre intervention, monsieur le Premier ministre, celle de la reconstruction d'un État malien viable. C'est cette question majeure qui conditionnera le retrait définitif de nos forces le jour venu, et qui se décompose en une série de défis aujourd'hui sans réponse.
D'abord, la réconciliation avec les Touaregs, sujet extrêmement épineux puisque, comme vous le savez, nous les Français sommes accusés à Bamako de jouer le MNLA contre les autorités locales. On notera que la commission de dialogue et de réconciliation, que vous connaissez bien, monsieur Fabius, annoncée le 29 janvier dernier, n'a toujours pas commencé à fonctionner. À ce jour, la composition de cette commission ne fait toujours pas de place à ceux avec lesquels il faudrait essayer de se réconcilier.
La deuxième interrogation porte sur le dérapage en cours du calendrier électoral. Vous avez l'air de croire, monsieur le Premier ministre, que cette élection va se tenir. La feuille de route adoptée par le Parlement malien le 29 janvier dernier prévoit en effet de nouvelles élections au mois de juillet. La date butoir du mois de juillet avait été adoptée, avant que la saison des pluies ne rende toute opération électorale impossible pendant de nombreux mois. Un calendrier électoral a même été publié par le ministre de l'administration territoriale, le colonel Coulibaly, prévoyant des élections présidentielle les 7 et 21 juillet et législatives les 21 juillet et 11 août. Le décret annonçant la date des deux tours doit être pris en conseil des ministres deux mois auparavant, c'est-à-dire le 8 mai. Or, à ce stade, tout indique que ce calendrier ne pourra pas être tenu – mais peut-être allez-vous, monsieur le Premier ministre, me détromper tout à l'heure. La sécurisation préalable des 25 000 bureaux de votes n'est pas encore acquise, les maires et les préfets ne sont pas de retour sur le territoire, le fichier électoral n'est pas réuni, le financement de l'opération pas davantage.