Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, le 11 janvier dernier, en réponse à la demande du président malien par intérim, le Président de la République française annonçait le déploiement de nos forces au Mali, dans le cadre de l'opération Serval. Aujourd'hui, conformément à l'article 35 de notre Constitution, le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale sa proposition de prolongation de l'intervention. Il s'agit donc, pour nous parlementaires, de dresser un premier bilan de ces quatre mois d'intervention.
Lors du débat au Parlement le 16 janvier dernier, le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a rappelé les trois objectifs de l'intervention française au Mali : endiguer la dynamique de conquête territoriale des groupes terroristes ; restaurer l'intégrité et la souveraineté du Mali sur l'ensemble de son territoire ; protéger les ressortissants français et ceux de nos partenaires européens.
À chaque temps de l'intervention, ces objectifs ont été rappelés, et nous n'avons jamais dévié de la trajectoire qui avait été fixée. Dans le langage militaire, pour évoquer la capacité d'une armée à atteindre ses objectifs, on parle souvent de « contrat opérationnel ». Je crois que nous pouvons dire aujourd'hui que ce contrat est en passe d'être rempli. Malheureusement, cela s'est fait au prix de victimes, car la guerre « zéro mort », comme on dit parfois, n'existe évidemment pas.
Nos pensées vont à toutes les familles des victimes au Mali, ainsi qu'aux familles des soldats français qui ont payé de leur vie l'engagement militaire de la France. Je veux citer à nouveau les noms du chef de bataillon Damien Boiteux, tombé le 11 janvier 2013, de l'adjudant Harold Vormezeele, tombé le 19 février, du caporal-chef Cédric Charenton, tombé le 2 mars, du maréchal des logis Wilfried Pingaud, tombé le 6 mars, et du caporal-chef Alexandre Van Dooren, tombé le 16 mars.
Au cours des quatre premières semaines d'intervention, nos forces et celle de la Mission internationale de soutien au Mali – la MISMA –, sous conduite africaine, ont successivement repris toutes les villes du Nord-Mali : Douentza, Gao, Diabali, Tombouctou, ou encore Kidal, ont ainsi été libérées du joug des groupes djihadistes.
Depuis la cinquième semaine de combats, les armées française et africaine sont entrées dans une seconde séquence de ce conflit, moins intense, plus localisée, une séquence qui porte toutes les marques d'une guerre asymétrique. Ce second temps de l'intervention doit permettre, d'une part, de déloger les groupes armés de leur bastion – le massif de l'Adrar des Ifoghas – et, d'autre part, de consolider nos positions dans les villes où des éléments terroristes dissimulés au sein de la population continuent à mener des actions violentes, notamment à Gao et à Tombouctou. Dans les semaines qui viennent, le dispositif français sera allégé et les principales zones d'action – le nord et le centre – passeront sous responsabilité africaine, puis onusienne.
Aujourd'hui, l'État malien reprend peu à peu le contrôle de son territoire, de ses administrations et de ses services. De nombreuses populations déplacées commencent à envisager un retour dans leur ville ou dans leur village d'origine. Et si certaines zones restent exposées à l'insécurité, le rapport de forces n'est plus le même. Les groupes djihadistes ayant été lourdement affaiblis, le passage de témoin entre les forces françaises et africaines d'une part, et les forces onusiennes d'autre part, a toutes les raisons de se dérouler sous les meilleurs auspices.
En effet, l'armée française n'a pas vocation à s'éterniser au Mali, comme vous l'avez souvent dit vous-même, monsieur le ministre de la défense. Le retrait des premiers éléments avait été annoncé pour le mois d'avril. Les délais seront respectés : plusieurs dizaines de soldats ont déjà regagné le territoire national, de même que six avions de notre dispositif. Les députés écologistes saluent ce retrait progressif qui traduit une volonté jamais altérée de prêter main-forte à l'État malien sans entraver l'exercice de son autorité, ni se substituer à lui.
Nous avions dit à l'époque que nous ne souhaitions pas que la France entre dans une logique d'administration militaire du Mali. Il n'en a jamais été question, il n'en est toujours pas question aujourd'hui, et c'est tant mieux. Ce début de retrait apporte d'ailleurs le meilleur démenti qui soit à ceux qui craignaient, voire prédisaient un enlisement.
Dans les semaines qui viennent, le conflit devrait laisser place à une gestion de crise internationalisée. Une délégation onusienne s'est récemment rendue au Mali pour réaliser les premières évaluations nécessaires au déploiement d'une mission de type « Casques bleus ». Cela renforce notre confiance dans la stratégie du Gouvernement et nous conforte dans le sentiment que nous avons en commun une certaine vision des opérations extérieures. Elles ne sont pas – elles ne sont plus, ai-je envie de dire – des opérations de police internationale au service d'intérêts français privés ou d'intérêts politiques plus ou moins avouables.
En ce qui concerne l'évolution de la situation politique, le bilan est également positif. Le 29 janvier dernier, à peine deux semaines après le début du conflit, l'assemblée malienne a voté une feuille de route pour la transition. Celle-ci prévoit notamment la tenue d'élections législatives et présidentielle transparentes et crédibles, ainsi que la création d'une commission « dialogue et réconciliation », qui devra identifier les forces politiques et sociales concernées par le processus, recenser tous les cas d'injustice et de discrimination ethnique, et travailler à la restauration de la cohésion sociale et de l'unité nationale.
À n'en pas douter, le chemin de l'apaisement sera sinueux et difficile, et certaines voix s'élèvent déjà pour dénoncer les écueils de cette feuille de route. Si la tenue de l'élection présidentielle en juillet semble confirmée, le calendrier des législatives n'est pas encore arrêté. De même, le choix des interlocuteurs de la commission « dialogue et réconciliation » ne fait pas consensus, notamment en ce qui concerne la participation du MNLA, l'un des principaux mouvements touaregs. Dans ce difficile cheminement vers la sortie de crise, la France doit être un partenaire dynamique, une force de proposition, un interlocuteur disponible, et je sais qu'elle l'est.
Enfin, le troisième volet de notre stratégie, un volet fondamental à nos yeux, concerne l'aide au développement. En la matière, à la demande du Président de la République et du Premier ministre, le ministre du développement, Pascal Canfin, a élaboré une politique ambitieuse et solidement planifiée. Cette politique a pour objectif d'organiser le retour des populations déplacées, dans un climat de dignité ; de mettre en place une aide humanitaire adaptée aux besoins des communautés ; de restaurer les services de base tels que l'eau et l'électricité ; de garantir la sécurité alimentaire ; d'insuffler une dynamique de développement durable, économique et social, dans un souci d'équité entre les territoires ; d'appuyer la décentralisation.
Mobiliser pour cela les acteurs locaux, mais aussi les Maliens de France, est une bonne chose. Cet accompagnement dans la durée bénéficie d'une assise européenne. La reprise de l'aide française a d'ailleurs été décidée dans ce cadre, consécutivement aux Conseils des affaires étrangères des 17 et 31 janvier dernier. Le Fonds européen de développement s'est engagé à débloquer une enveloppe de 300 millions d'euros. La contribution française s'élève, quant à elle, à 150 millions d'euros. La stratégie choisie par les États européens est celle d'un versement échelonné de l'aide, en fonction de la progression de la feuille de route vers la transition politique. Nous soutenons cette démarche. La coordination des principaux bailleurs sera garantie par la présence à Bamako d'une délégation européenne. Enfin, une conférence internationale pour le soutien et le développement du Mali sera organisée à Bruxelles le 15 mai prochain. Elle permettra d'étendre l'aide à l'ensemble de la communauté internationale et d'associer tous les acteurs à l'élaboration et à la concrétisation du processus.
Comme certains de mes collègues l'ont fait avant moi, je veux dire un mot sur l'Europe. Certaines voix, provenant notamment de l'opposition, ont déploré à un certain moment le manque d'engagement des pays de l'Union européenne, évoquant même « l'isolement » de la France. La vérité commande de dire que la France est le seul pays à même de pouvoir intervenir rapidement dans cette région du monde. La vérité, et c'est un triste constat, c'est que l'Europe de la défense n'existe pas. Voir celles et ceux qui n'ont rien fait pour renforcer l'Europe politique ces dernières années – ou ont même tout fait pour l'affaiblir – s'en plaindre aujourd'hui a quelque chose d'assez indécent.
L'aide au développement sera, à n'en pas douter, un pilier de notre action au Mali. Car s'il ne peut y avoir de développement sans sécurité, il ne peut pas non plus y avoir de sécurité sans développement durable. Soutenir nos partenaires sans jamais basculer dans l'ingérence, étendre notre vision stratégique au-delà du cadre court-termiste de l'intervention, et poser les bases d'un dialogue pleinement coopératif, tels sont les fondements de cette intervention, et les raisons de notre soutien à sa poursuite.
Lorsque le pouvoir exécutif décide d'intervenir militairement, conformément à ses prérogatives, la responsabilité du Parlement est d'analyser cette intervention avec vigilance. Pour notre part, tout en étant fermes dans notre soutien, nous avons également été fermes dans l'exigence et la vigilance car, à nos yeux, les deux vont de pair.
Ce principe, le groupe écologiste se l'est appliqué, en ne taisant aucune question sur les conditions de l'intervention française et la situation au Mali, notamment la question des Touaregs. Mais lorsque la trajectoire d'une opération remplit les objectifs qui lui ont été assignés, respecte le cadre de la légalité internationale et se donne les moyens d'instaurer une coopération durable, alors il convient de saluer le travail accompli, et de témoigner d'un soutien renouvelé. C'est ce que je fais aujourd'hui au nom du groupe écologiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et du groupe SRC.)