Intervention de Laurent Fabius

Séance en hémicycle du 22 avril 2013 à 17h00
Déclaration du gouvernement sur l'autorisation de la prolongation de l'intervention des forces françaises au mali débat et vote sur cette déclaration

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

La France fournira donc ce que nous préférons appeler une force d'appui plutôt qu'une force parallèle – parallèle à quoi, d'ailleurs ? –, qui agira à travers les unités stationnées au Mali même et, le cas échéant, à travers les troupes prépositionnées afin qu'en aucun cas, les groupes terroristes ne puissent revenir.

Le vote interviendra donc ces jours-ci et trouvera à s'appliquer deux mois plus tard. Au début du mois de juillet, si tout se passe comme cela est souhaité et prévu, la substitution pourra donc avoir lieu.

S'agissant du développement, M. Canfin, qui suit ces questions avec beaucoup de compétence et de précision, expliquera ce qui a déjà fait – la reprise de l'aide – et ce qui est prévu dans le cadre de la conférence du 15 mai. L'un d'entre vous – M. Morin, je crois – insistait sur le fait qu'il faudrait une conférence consacrée à l'aide au développement économique du Mali. C'est précisément l'objet de cette conférence qui sera présidée à Bruxelles à la fois par le président Barroso et le Président de la République française.

Il faut assurer la sécurité, il faut prévoir les conditions du développement, mais il faut aussi avancer sur la voie de la démocratie. Cela recouvre au Mali deux éléments : d'abord la commission Dialogue et réconciliation, ensuite les élections.

La commission Dialogue et réconciliation, même si elle a pris un peu de retard, a été constituée : elle compte trente-trois membres, un président, une vice-présidente et un vice-président que Mme Guigou et moi-même avons rencontrés. Leur tâche, comme vous le savez, est d'établir le dialogue, non pas en trois mois seulement même s'il leur faut très vite commencer, mais bien au-delà des élections présidentielles et législatives. D'après ce qui nous a été expliqué, il y aura des déclinaisons locales. Il s'agit non pas seulement d'organiser des discussions entre Bamako et les Touaregs ou le MNLA mais de mettre en place un processus d'ensemble qui n'a pas pu jusqu'à présent voir le jour, ce qui est l'une des causes des difficultés actuelles.

Ce que nous pouvons souhaiter, non pas simplement nous, Français, mais, nous, communauté internationale, c'est que les engagements ayant été pris, la commission mise sur pied se mette effectivement au travail. C'est ce que nous avons demandé aux autorités maliennes.

J'en viens au deuxième élément : les élections. La commission électorale a été constituée, l'Assemblée nationale malienne a adopté une feuille de route à l'unanimité indiquant que les élections présidentielles, et si possibles législatives, devraient avoir lieu au mois de juillet. Lors de mon dernier déplacement à Bamako, j'ai moi-même rencontré les chefs des principaux partis politiques. S'ils ont des avis quelque peu divergents concernant les élections législatives, ils sont tous d'accord pour que l'élection présidentielle ait lieu au mois de juillet. Les dispositions techniques sont prises – nous nous en sommes assurés – pour que cela soit possible.

Il est indispensable que les élections aient lieu à cette période. Car que se passerait-il si elles étaient retardées ? Nous savons que certains le souhaiteraient au Mali, mais nous ne devons pas rentrer dans le jeu de ceux qui voudraient que le processus qui a été initié échoue. S'il y avait un retard, alors, de plus en plus de gens se demanderaient si le président n'est pas un président de transition et si l'assemblée a une légitimité aussi durable que ce l'on dit. Et, de proche en proche, alors que désormais le calendrier et la feuille de route sont clairs, se créeraient des difficultés, dont certains – avec un « s », même si d'aucuns supprimeront peut-être le pluriel – pourraient essayer de profiter. Or, il n'en est pas question !

Par conséquent, il est bon que les principaux partis politiques commencent dès maintenant leur campagne et que certains candidats se soient déjà fait connaître, car il est très important qu'une légitimité nouvelle soit établie au mois de juillet. Non sans humour, le président Traoré, président de transition, nous faisait d'ailleurs remarquer, à Mme Guigou et à moi-même, qu'il n'était pas si fréquent – et donc remarquable – qu'un président de transition souhaite que des élections se tiennent rapidement alors qu'elles signifieront la fin de son mandat. Poursuivons donc dans ce sens, et faisons en sorte que ces élections se déroulent à la date convenue et dans de bonnes conditions.

Troisième élément, sans vouloir être trop long, concernant la question posée par plusieurs d'entre vous au sujet de notre isolement et de notre enlisement supposés.

Isolement : je ne le crois pas, même si je peux regretter, comme vous l'avez fait, que sur tel ou tel point, la politique de défense et de sécurité européenne ne soit pas plus avancée qu'elle ne l'est. Même si cela aurait été souhaitable, il aurait sans doute été un peu miraculeux que cette politique, limitée comme nous le savons, soit tout d'un coup capable d'aller aussi loin que certains l'espèrent concernant le Mali.

Par ailleurs, rappelons-nous que c'est à l'unanimité du Conseil de sécurité que la résolution 2085 a été votée au mois de décembre, tout comme le sera également, très probablement, la nouvelle résolution votée dans quelques jours.

De plus, vous l'avez tous remarqué lors de vos déplacements en Afrique, l'ensemble des pays de l'Union africaine soutiennent de manière unanime l'opération française. De même, lors du sommet du Dialogue « 5+5 » entre le Nord et le Sud de la Méditerranée auquel la France a participé, tous les pays présents ont rendu hommage à l'opération française.

Même si, encore une fois, l'on peut regretter certaines lacunes ou certains retards, cet isolement n'existe pas : politiquement et diplomatiquement, le travail a été fait.

Cela étant, j'ai entendu les suggestions de M. Le Roux et d'autres de ses collègues, souhaitant que l'Europe prenne en considération l'effort spécifique de la France. Cet effort étant, il est vrai, très important, je pense que cette demande n'est pas illégitime.

Concernant la question de l'enlisement, je ne suis pas d'accord : le Président de la République a dit très clairement, dès le début – au risque de heurter certains Maliens –, que nous n'étions pas là pour l'éternité, qu'il était très important que nous fassions le travail que nous avons à faire, mais qu'ensuite il y aurait une décrue progressive et pragmatique de nos troupes ; et c'est ce que nous faisons.

Le relais sera pris par les troupes africaines, puis par les Maliens. L'Europe est d'ailleurs en train de former l'armée malienne dans des conditions très efficaces, sous l'autorité d'un Français, le général Lecointre, formant tous les deux mois et demi un nouveau bataillon.

Si la France fait preuve de ténacité, il n'y a évidemment pas d'enlisement. Il y a un rassemblement à l'initiative de la France, mais pas d'isolement.

Pour terminer, j'aborderai trois sujets. Premier point : pourquoi la communauté internationale apporte-t-elle un tel soutien, et notamment – mais pas seulement – la communauté africaine ? C'est que tous les pays d'Afrique ont compris qu'aucun développement ne serait possible pour ce continent d'avenir si les questions de terrorisme et de narcoterrorisme n'étaient pas maîtrisées. Tous les pays – j'insiste : tous les pays – peuvent être sujets à ce mal terrible.

Dans les grottes des Ifoghas où ont pénétré nos armées, ont été trouvés des documents montrant de la façon la plus claire qu'une grande partie des terroristes de Boko Haram au nord du Nigeria étaient formés au Nord-Mali. Nous constatons malheureusement qu'il existe partout des groupes qui, si l'on ne bloque pas leur expansion, seraient capables d'endiguer totalement le développement de l'Afrique et de mettre en coupe réglée et dramatique les populations.

Si l'action de la France a été soutenue à un tel point, c'est parce que tous ces pays ont compris que si nous n'avions pas agi comme nous l'avons fait, non seulement le Mali serait devenu un État terroriste, mais ce risque aurait également pesé sur les États circonvoisins.

Deuxième point, même si ce n'était absolument pas le but de notre intervention, chacun peut se féliciter que celle-ci ait renforcé d'une façon singulière la puissance d'influence de la France.

Quand désormais nous parlons de ce que nous entendons faire ou de ce que nous sommes capables de faire sur tel ou tel point, je sens – et je ne crois pas me tromper – que la France est entendue d'une façon tout à fait particulière, tant par les États-Unis d'Amérique que par la Turquie, les pays d'Amérique du Sud, les pays d'Afrique ou la Russie. Le fait que la quasi-totalité de l'Assemblée nationale ait soutenu et s'apprête de nouveau à soutenir cette intervention renforce encore cette puissance d'influence.

Enfin, troisième et dernier point, nous avons réalisé en quatre mois, tous ensemble, un travail utile pour le Mali, pour l'Afrique et, d'une façon générale, pour la communauté internationale. La guerre, assurément, est en voie d'être gagnée ; mais, ainsi que le rappelait le Premier ministre au début de son propos, il reste à gagner la paix.

Vous avez posé des questions parfaitement légitimes : nous essayons d'y répondre et, tous ensemble, de gagner la paix. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

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