Intervention de Nicolas Sansu

Séance en hémicycle du 23 avril 2013 à 15h00
Déclaration du gouvernement en application de l'article 50-1 de la constitution sur le programme de stabilité de la france pour 2013-2017 débat et vote sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Sansu :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat qui nous réunit en cette fin d'après-midi doit se comprendre à l'aune de la situation économique, sociale et politique de notre pays. Près de dix millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté, nous avons un record en matière de chômage, un pouvoir d'achat qui a reculé en 2012, un sentiment ou une peur du déclassement qui touchent une majorité des Français.

La réalité, c'est aussi une prégnance de l'argent qui régit toute notre société, qui régit et qui pourrit, avec des fortunes indécentes et des mécanismes de fraude et d'optimisations fiscales qui n'ont jamais autant infusé en France, en Europe et dans le monde.

La réalité, ce sont encore ces 570 salariés de Pétroplus aujourd'hui sur le carreau, ces 4 000 postes menacés chez GDF-Suez, ces milliers et milliers de salariés qui subissent les accords de flexibilité et qui perdent du pouvoir d'achat, des droits, sous la menace du chômage.

La réalité, c'est que les marqueurs essentiels de la politique économique et sociale, budgétaires ou monétaires, n'ont guère changé depuis plusieurs décennies, avec des appels incessants à l'austérité. L'ancien Premier ministre britannique, Margaret Thatcher, l'avait si bien résumé dans une phrase célèbre : « There is no alternative. » Voilà le dogme qui continue manifestement de dicter la marche à suivre aux principaux dirigeants européens, et malheureusement à notre pays.

Bien sûr, chacun pourrait ergoter sur l'évolution du PlB – plus 0,1 % ou moins 0,1 % –, sur le retour des déficits à moins de 3 % dès 2013, 2014 ou 2015, ou sur des niveaux de dettes soutenables, notamment les fameux 90 % du PIB. Ces débats ont leur intérêt académique : chacune et chacun d'entre nous peut ainsi faire valoir ses talents de macro-économiste avisé ! Mais au final, pour nos concitoyens, particulièrement pour celles et ceux qui peinent à joindre les deux bouts, qu'en est-il ? Leur seule certitude, c'est que le capitalisme financier est non seulement en contradiction flagrante avec nos valeurs républicaines d'égalité et de fraternité, mais que sa seule efficacité est de concentrer les richesses dans les mains de quelques-uns.

Messieurs les ministres, les deux textes programmatiques que vous nous avez détaillés auraient pu être l'occasion d'une véritable rupture avec ce dogme de la compétition mortifère, là où la coopération et l'échange provoqueraient tellement moins de gâchis, rupture avec ce culte de la finance qui divise et qui corrompt, qui détruit des hommes, des territoires et nos ressources naturelles. Je ne vais pas citer à nouveau les propos du Président de la République il y a quinze mois au Bourget ; non, je vais vous citer celui qui représente le patrimoine commun de celles et ceux qui veulent la transformation sociale, le grand Jean Jaurès, qui, à l'occasion du scandale de Panama, s'écriait : « Au moment où l'on voit qu'un État nouveau, l'État financier, a surgi dans l'État démocratique, avec sa puissance à lui, ses ressorts à lui, ses organes à lui, ses fonds secrets à lui, c'est une contradiction lamentable que de ne pas entreprendre la lutte contre cette puissance […]. »

La lutte contre cette gangrène financière doit être impitoyable, monsieur le ministre. La recherche d'accommodement pour ne pas froisser les marchés financiers finit par engloutir vos bonnes intentions – dont je ne doute pas. Quoique vous en disiez, vous êtes tombé dans les politiques de restriction budgétaire et de course folle à la compétitivité. Même si vous affirmez qu'il ne s'agit pas d'une politique d'austérité mais d'une gestion rigoureuse et sérieuse, permettez que nous pensions que cela ressemble furieusement à de l'austérité. C'est si vrai que les réformes présentées ne sont pas reniées par le MEDEF et l'UMP : assouplissement des procédures de licenciement à travers l'accord national interprofessionnel, avec une insécurité accrue pour les salariés du fait de la flexibilité ; désindexation des retraites ; gel des salaires des fonctionnaires et absence de coup de pouce du SMIC ; ouverture encore plus grande à la concurrence de services publics structurants comme le réseau ferroviaire ; réduction des investissements de l'État, avec un volet croissance du traité européen pour le moins évanescent.

Il y a également l'accroissement d'une fiscalité injuste : l'augmentation de la TVA qui frappe d'abord les ménages modestes, alors que nous l'avions combattue ensemble en juillet dernier, avant que vous ne changiez de pied ! Cette TVA additionnelle, ne l'oublions pas, vient compenser un cadeau fiscal de 20 milliards d'euros aux entreprises, sans aucune distinction ni contrepartie. Les banques, les assurances, la grande distribution, les cliniques privées, pour ne citer que les secteurs les plus emblématiques, vont ainsi se voir attribuer un crédit d'impôt injuste.

Nombreux sont pourtant les économistes, les instituts et les institutions qui alertent la France et l'Union européenne sur l'impasse dans laquelle elles se sont engagées. L'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, a estimé la semaine dernière que le programme de stabilité que vous nous proposez risque d'entretenir la crise et d'aggraver encore le chômage dans les prochaines années. Xavier Timbeau, directeur du département analyse de l'Observatoire, souligne que « le programme de stabilité, c'est un point par an de restrictions budgétaires jusqu'en 2017 ». Vous pourrez toujours contester ces analyses et les juger trop pessimistes. Elles concordent malheureusement avec celles du FMI et avec l'avis du Haut conseil des finances publiques, qui se montre lui aussi pour le moins dubitatif sur les perspectives de croissance. D'ailleurs, les dernières prises de position de ces institutions laissent penser que même le FMI et le G 20 ne voteraient pas ce texte.

La réduction de 7,5 milliards d'euros des dépenses de l'État, la réduction de 1,5 milliard d'euros, deux ans de suite, des dépenses des collectivités locales et la réduction de 5 milliards d'euros sur les régimes sociaux ne sont pas soutenables : ce sont 14 milliards de dépenses publiques en moins, qui s'ajoutent aux 6 milliards supplémentaires de TVA, alors même que les fraudeurs et les évadés fiscaux en cachent et en croquent plus du double : c'est insupportable, et cela fait courir de graves dangers à la cohésion nationale.

Monsieur le ministre, il faut rouvrir le débat sur la relance de l'investissement productif et sur l'augmentation du pouvoir d'achat. Il faut sortir de cette politique de l'offre, qui plombe notre économie. D'autres solutions existent que les tours de vis dans une vis sans fin ; vous les avez esquissées au début de ce quinquennat, il y a un an, en proposant notamment des mesures de rééquilibrage fiscal.

Il faut aller plus loin dans ce sens, afin de rétablir un impôt à la fois plus juste et plus efficace. Nous préconisons, pour notre part, une refonte globale de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés, afin de rendre le premier plus progressif, au bénéfice des ménages modestes et moyens, et le second plus favorable à l'investissement et à l'emploi, par la modulation du taux d'imposition en fonction de son utilisation. Il s'agira également de relancer le pouvoir d'achat, en dégelant le point d'indice des fonctionnaires et en accroissant réellement le SMIC, pour le porter à un niveau qui permette de vivre dignement.

Nous sommes également favorables à une augmentation de la dotation de la Banque publique d'investissement, pour en faire un véritable pôle financier public, et à un autre fléchage de l'argent accordé aux entreprises. Accorder des crédits bonifiés aux entreprises qui investissent et créent des emplois et pénaliser celles qui consacrent la plus grande part de leurs bénéfices au versement de dividendes, tel est le nouveau chemin.

Dans ce cadre, un grand effort national et européen de transition écologique doit être porté par l'État français, ici et auprès de l'Union européenne, en matière de recherche, d'innovation et de développement.

Par ailleurs, nous devrons impérativement nous attaquer aux niches fiscales, et d'abord à celles qui bénéficient aux grandes entreprises et aux ménages les plus riches, car elles mitent l'impôt progressif de notre pays.

S'agissant des paradis fiscaux et de la lutte contre l'évasion fiscale, l'effort annoncé est très insuffisant. Selon le rapport sénatorial désormais bien connu, le coût de l'évasion fiscale pour l'État français serait au minimum de 30 à 36 milliards d'euros – ce chiffre pourrait en réalité atteindre 50 milliards d'euros. Il est nécessaire d'engager une politique plus volontariste, en renforçant les moyens de l'administration fiscale, qui a perdu 25 000 agents en dix ans, en interdisant aux banques et aux grandes entreprises les opérations avec les paradis fiscaux et en harmonisant la fiscalité à l'échelle européenne pour mettre fin au dumping social et salarial.

Or il n'y a rien de concret dans les textes que vous nous présentez aujourd'hui, car les paradis fiscaux européens bloquent ce projet. La France doit faire entendre sa voix pour que les choses bougent et pour que se produise une inflexion sensible de la politique monétaire. Car l'euro fort, c'est l'euro cher, et l'euro cher, c'est l'anti-croissance.

Les marges de manoeuvre existent, et nous, députés du Front de gauche, nous allons oeuvrer, dans les prochains mois, texte après texte, à vous convaincre de la nécessité d'engager ce changement de cap salutaire. C'est la tâche historique de la gauche, monsieur le ministre, de sortir la France et l'Europe de l'impasse du tout marché, du culte de la croissance illimitée, de la destruction méthodique des ressources naturelles, des territoires et des solidarités.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, il existe une majorité politique en France pour conduire le changement nécessaire, celui qui consiste à reprendre la main sur les forces de l'argent. C'est un impératif économique et social, mais aussi un impératif en matière de cohésion sociale et de respect du pacte républicain : sans cela, nous placerions notre pays sur un chemin dangereux pour l'avenir. La gauche doit se ressaisir et refuser ce programme de stabilité et de réforme qui nous enfonce dans l'austérité. Vous pouvez compter sur le Front de gauche pour ouvrir cette nouvelle voie avec vous, si vous le décidez.

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