Intervention de François de Rugy

Séance en hémicycle du 24 avril 2013 à 21h30
Sécurisation de l'emploi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

…nous prenons acte du fait que ces règles de représentativité ont été changées au cours du précédent mandat, à la suite d'un accord, mais nous avons dit à l'époque que nous regrettions que celui-ci n'ait pas été transposé tel quel dans une loi comme le souhaitaient les partenaires sociaux, et ait été mélangé avec d'autres dispositions qui, elles, n'avaient pas été négociées. Cela avait conduit à un brouillage autour de ce texte de loi et à un vote contre de ma part. Mais je tiens à rappeler qu'à titre personnel – je crois avoir été le seul dans l'opposition de l'époque –, j'ai voté pour la reconnaissance législative de l'accord relatif à la rupture conventionnelle du contrat de travail. C'était déjà un pari ; il a pu y avoir des dérives, mais je ne regrette pas de l'avoir voté. Je pense que nous progresserons ainsi pas à pas sur le chemin du dialogue social – je préfère cette expression à celle de « démocratie sociale » –, avec ses différentes étapes, qui sont des avancées même si nous pouvons avoir des réserves comme c'est le cas sur ce projet de loi.

Il est donc fondamental de rompre avec les accords présumés non représentatifs. Je dois dire qu'en la matière, les résultats récents de mesure de l'audience syndicale ont montré la validité de l'accord national interprofessionnel signé le 11 janvier dernier puisque les syndicats signataires représentent plus de 44 %, et les non-signataires un peu plus de 42 %. La loi sur la sécurisation de l'emploi s'inscrit dans cette logique : elle renforce le dialogue social par le développement des accords majoritaires, incitant ainsi les salariés et les syndicats à développer le syndicalisme dans chaque entreprise. C'est un point important. Quand je rencontre des chefs d'entreprise, je leur tiens un langage clair : il ne peut pas y avoir de dialogue social si l'on ne favorise pas l'existence de syndicats dans l'entreprise.

Par ailleurs, cette loi va créer une nouvelle information-consultation sur l'anticipation des stratégies économiques de l'entreprise Ce deuxième point constitue un des enjeux majeurs du dialogue social pour les prochaines années. Il en est de même pour la représentation des salariés dans les conseils d'administration, même si la mesure en l'occurrence est assez limitée puisqu'elle n'est applicable pour le moment qu'aux très grandes entreprises.

Face aux licenciements boursiers, face à la financiarisation de l'économie, il faut recréer les conditions d'une gouvernance locale de l'entreprise ancrée dans ses réalités. Cette loi ne constituera qu'une étape sur ce chemin ; il faudra en faire le bilan et la renforcer par un calendrier social tout au long de notre législature.

L'autre aspect du projet de loi portait sur la création de nouveaux droits sociaux ; c'est peut-être sur ce point que le projet a été victime d'incompréhensions. Il est dommage que la création de ces nouveaux droits, dans une logique bien compréhensible d'équilibre entre partenaires sociaux, ne se soit pas hissée à la hauteur des contreparties concédées par les salariés, alors même que la logique du dialogue social est celle du compromis, et donc du donnant-donnant entre partenaires ayant, au moins pour partie, des intérêts contradictoires. C'est dommage, disais-je, car dans cette nouvelle étape du dialogue social, il nous faut aussi inventer les conditions de son articulation avec la représentation nationale.

Ces incompréhensions sont tout d'abord formelles : un texte très long, très épais, que peu de Français évidemment ont pu s'approprier. Et c'est sans compter le contexte car, on ne peut que le constater, ce n'est pas un jugement de valeur, le déclenchement de l'intervention au Mali le même jour que la signature de l'ANI, et en parallèle le débat sur le mariage, débat sur lequel l'opposition a tellement voulu se focaliser depuis tant de mois, ont éclipsé les enjeux du texte.

Je note au passage, à l'issue du débat dans nos deux assemblées, qu'on peut saluer l'avancée que constitue le rétablissement, en commission mixte paritaire, de la clause de désignation, au niveau des branches, des organismes gérant la couverture maladie complémentaire. Cette clause, qui permet de prévenir la mainmise des groupes d'assurance privés, soutenus dans leurs démarches par le MEDEF et l'UMP, confortera le système mutualiste non lucratif de complémentaire santé.

Au-delà de cette mesure, qui concernera tout de même plus de quatre millions de salariés pris en charge par l'employeur et pour lesquels ce sera du pouvoir d'achat supplémentaire, ce qu'on n'a sans doute pas assez rappelé au cours du débat, il y a d'autres dispositions que l'on ne peut que soutenir : ainsi la taxation des contrats courts, vieille revendication syndicale. Il y a aussi l'encadrement du temps partiel, jamais mené à un tel niveau. Je constate que certains qui font profession de foi de soutenir le dialogue social s'empressent de demander que l'on revienne par la voie législative sur cette dernière disposition pour une partie des secteurs de l'économie, alors même que ce n'est pas prévu par l'accord, qu'aucun signataire ne l'avait demandé et qu'il y aura bien sûr d'autres négociations pour sa mise en oeuvre. Il y a également le démarrage, même si c'est encore embryonnaire, du droit individuel à la formation tout au long de la vie sans que cela ne soit lié à un employeur plutôt qu'à un autre, ou encore, là aussi ce n'est qu'un début, le droit au chômage rechargeable.

Mais certaines contreparties ont suscité au sein de mon groupe un certain nombre d'interrogations. Vous savez, monsieur le ministre, qu'elles portent principalement sur les accords de maintien dans l'emploi, qui, dans un but par ailleurs compréhensible de simplification et de sécurisation des procédures, sont un pari qui pourrait conduire à l'effet opposé de celui recherché dans le dialogue social. Ainsi, la mise en place de délais de prescription risque, de l'aveu même des promoteurs du dialogue social, de renforcer parfois la logique contentieuse, ce qui est quelque peu l'inverse de la logique de négociation que l'on souhaite impulser dans les entreprises de notre pays. La démocratie sociale repose sur un dialogue long et entretenu entre les partenaires, qui ne peut pas être au coup par coup, avoir lieu uniquement au moment des difficultés. Nous n'en sommes qu'au début. Il y a des exemples encourageants, des accords positifs, mais d'autres aussi qui laissent plus dubitatifs, c'est donc un pari.

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