Quel salarié, électeur de l'année dernière, pouvait imaginer qu'après le traumatisme provoqué par les suicides chez France Télécom et ailleurs, un gouvernement de gauche proposerait de limiter à une expertise unique, déconnectée des réalités du terrain, l'évaluation des risques psychosociaux liés aux réorganisations qui bouleversent quotidiennement les conditions de travail et de vie de centaines de milliers de personnes ?
Il en est de même de la mobilité externe. Là aussi, assez de faux-semblant, soyons clairs : il s'agit ni plus ni moins de sécuriser le prêt de main-d'oeuvre entre entreprises, une revendication du patronat bien connue.
Voilà pour les prétendues avancées et concessions patronales dont on est tellement certain qu'elles produiront des effets bénéfiques que l'on se reverra dans un an ou deux ans pour faire le point !
Quant à la facture présentée au monde du travail en termes de flexibilité, elle est bien réelle et immédiate. Vous promettiez de lutter contre les licenciements boursiers et vous affirmez aujourd'hui renchérir ces licenciements. Mais ce n'est pas la vérité. En effet, aucun article de ce projet de loi ne vient réévaluer l'indemnité versée au salarié victime d'un licenciement abusif, une indemnité de surcroît demeurée inchangée depuis 1973 !
Avec les accords de maintien dans l'emploi, vous permettez aux employeurs, au terme d'une négociation d'entreprise menée sous la menace de la fermeture, de jouer sur la seule variable d'ajustement qu'ils connaissent : les salaires.
Certes, il est fait état d'un effort proportionné demandé aux dirigeants. Nous avions demandé, qu'au moins pendant la durée de l'accord, le versement des dividendes soit suspendu. Vous avez catégoriquement refusé, au motif que le texte prévoit déjà un effort similaire demandé aux actionnaires. Encore un faux-semblant, puisque l'accord en question sera conclu « dans le respect des compétences des organes d'administration et de surveillance » !
Qu'en sera-t-il en cas de rachat de l'entreprise par un repreneur en cours d'exécution de l'accord ? Le repreneur ne sera nullement tenu par l'engagement de ne pas procéder à des licenciements économiques, mais la baisse de salaire consentie par les salariés sera quant à elle acquise et de manière irréversible.
La réforme en profondeur du droit des licenciements économiques collectifs se caractérise par deux obsessions patronales : éviter le juge et aller le plus vite possible aux licenciements.
Il suffit pour s'en convaincre, de lire le texte : aucun contrôle en amont sur le motif économique ; une tentative d'associer les représentants salariés au licenciement de leurs collègues ; des délais dérisoires accordés à l'administration pour effectuer les contrôles nécessaires ; la dérogation à tous les étages avec la décision implicite d'acceptation et un juge administratif potentiellement dessaisi parce qu'il ne statue pas assez vite.
En fait de retour des salariés et de l'État, une seule phrase montre ce qu'il en est en réalité, le texte que vous proposez pour l'article L. 1233-57-7 du code du travail : « En cas de décision de refus de validation ou d'homologation, l'employeur, s'il souhaite reprendre son projet, présente une nouvelle demande après y avoir apporté les modifications nécessaires et consulté le comité d'entreprise. »
Évoquant à la fois la validation et l'homologation, cette phrase envisage notamment de la situation où un accord collectif portant le plan de sauvegarde de l'emploi ne serait pas validé par l'administration.
Que se passerait-il alors, selon les termes même du texte : « L'employeur, et lui seul, serait habilité à reprendre son projet et à y apporter des modifications. » Cette précision s'appelle une gaffe, mais elle a le mérite d'être révélatrice : c'est donc bien le chef d'entreprise qui, en cas de désaccord et in fine, décide seul de son projet retravaillé.
Enfin, si nous ne devions retenir que deux mesures symptomatiques du caractère à la fois nocif et profondément injustifiable de ce texte, il s'agirait d'abord des accords de mobilité interne qui vont devenir le moyen de procéder à des licenciements collectifs en dehors de toute difficulté économique et dans le cadre de procédures individuelles, sans même avoir à recourir au plan de sauvegarde de l'emploi.
En refusant obstinément de rattacher le motif économique de ces licenciements à la définition qui figure actuellement dans le code du travail, vous créez un motif spécifique qui ne pourra être, et vous le savez bien, que le seul refus du salarié d'accepter une mobilité, c'est-à-dire un motif personnel que vous prétendez avoir fait sortir par la porte et que vous faites finalement revenir par la fenêtre.
C'est cela, la différence avec la situation actuelle où, en pareil cas, l'employeur est obligé de donner la justification économique de la mobilité qu'il prétend imposer au salarié. Et si le juge considère que cette mobilité ne repose pas sur un motif économique au sens de l'article L. 1233-3 du code du travail, le licenciement résultant du refus du salarié sera jugé abusif.
Nous reposons donc solennellement la question et nous attendons une réponse précise, monsieur le ministre : quel est ce motif économique ?
Enfin, quelle justification pouvez-vous donner à la réduction à trois ou deux ans de la prescription de l'action des salariés devant les prud'hommes ? Quel est le rapport avec la sécurisation de l'emploi ? En quoi cette mesure va-t-elle faciliter les embauches ? Comment pouvez-vous ignorer qu'il est très difficile, lorsque l'on est encore dans l'entreprise, d'agir en justice contre son employeur sans s'exposer à des représailles ? Pourquoi introduire, encore et surtout sur le dos des salariés, cette dérogation au régime de droit commun d'une prescription de cinq ans ?
Cela s'appelle l'impunité garantie pour les employeurs qui ne respectent pas le code du travail.
Pour toutes ces raisons, notre groupe s'estime en phase avec le monde du travail, avec nos engagements mais également, faut-il le rappeler, avec les vôtres en s'opposant avec fermeté à ce texte de régression sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)