Madame la présidente, monsieur le rapporteur, monsieur le vice-président de la commission, mesdames et messieurs les députés, la fin de vie, les conditions dans lesquelles elle survient ou est susceptible de survenir nous concernent tous.
Le débat sur la fin de vie est difficile, car il renvoie à la finitude de l'homme. Il porte sur un moment où la vie s'achève, tout en étant encore la vie. Ce moment souvent redouté, parfois espéré ou attendu, est aussi celui de la solidarité, de la proximité et de l'amour. Il est celui où la solitude est absolue et où, paradoxalement, peuvent s'exprimer les sentiments qui ont dominé une vie tout entière.
La fin de vie nous concerne tous, parce qu'elle concerne chacun de nous, et ceux que nous aimons.
Cependant, il ne s'agit pas seulement d'un rendez-vous, fût-il ultime, avec son propre destin ou avec ses proches. Notre société, comme toute autre, porte un regard sur la mort, elle pose – c'est nécessaire – des interdits, des limites. Elle sait prononcer des mots d'apaisement, proposer les voies de l'apaisement, mais elle peut aussi ignorer la souffrance. Par son rapport aux malades et aux souffrants, la société se définit elle-même, construit un cadre dans lequel les destins individuels et l'aspiration à l'autonomie doivent s'inscrire.
Les débats sur la fin de vie renvoient donc à deux questionnements différents : celui de la dignité, d'abord, qui porte sur le degré de souffrance, de douleur, d'angoisse que l'on peut tolérer pour soi-même ou pour celui qui affronte ses derniers moments ; celui de l'autonomie, ensuite, qui renvoie à la liberté de la personne comme sujet, à la maîtrise de sa vie, au moment même où celle-ci semble échapper.
Je parle bien de la maîtrise de sa propre vie, car des sociétés ont fait de l'effacement des plus âgés ou des malades une norme collective. Ce n'est pas la nôtre, nous ne pouvons le souhaiter. Il s'agit bien ici de se demander comment répondre à l'aspiration individuelle à l'autonomie et à la maîtrise de soi lorsqu'elle renvoie à l'intimité de la personne et à sa liberté.
Comment concilier cette aspiration avec les règles que fixe la société ?
Comment accompagner avec humanité, jusque dans les derniers instants de l'existence ? Comment préserver la dignité de la personne humaine, dont chacun est le dépositaire ? Comment enfin permettre l'expression de la liberté, lorsque la vie semble s'éteindre ?
Les progrès de la médecine ont permis, comme jamais dans l'histoire de l'humanité, d'allonger la vie. Le rapport de nos concitoyens avec la mort s'est donc profondément modifié.
J'ai eu l'occasion, au cours des derniers mois, de rencontrer beaucoup de professionnels de santé et d'évoquer avec eux la relation qui les lie à leurs patients ou à d'autres malades, au moment où, précisément, ils sont confrontés à la fin de la vie.
Les associations sont, elles aussi, impliquées, tout comme les patients, et de nombreuses enquêtes montrent que, quels que soient leur sensibilité politique, leur appartenance sociale ou leur âge, 85 % de nos concitoyens sont favorables à une aide active à mourir, sans que les termes en soient davantage précisés.
Les Français veulent exercer leur liberté et pouvoir choisir. Choisir si leur vie peut encore être vécue avec dignité. Choisir, lorsque la maladie condamne, si chaque jour a encore une valeur ou si chaque geste est devenu trop douloureux. Choisir s'il faut abréger les souffrances, parce que l'on est confronté à la dégradation inexorable du corps.
Choisir les conditions de sa fin de vie, c'est là peut-être notre ultime liberté. Chaque cas est singulier et porte le poids d'un destin, d'une expérience, d'une aspiration.
Dans ce domaine, la loi de 2005, qui porte votre nom, monsieur le rapporteur, a incontestablement constitué une avancée importante, votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Elle a été une étape décisive pour les droits des patients. En ce sens, elle s'est inscrite dans le prolongement du mouvement engagé par la loi de 2002 sur les droits des malades. Ce texte a permis de marquer une avancée considérable dans la reconnaissance des droits des patients par les pouvoirs publics : droit de disposer d'une information transparente, droit au consentement, droit d'accès au dossier, droit au traitement de la douleur. C'est toute la relation entre le soignant et le soigné qui s'en est trouvée transformée, grâce à la consécration du libre-arbitre de chacun. Les médecins n'ont plus, seuls, le monopole des soins. Les patients, leur famille, leurs proches sont étroitement associés – doivent l'être, en tout cas – à la prise en charge de la maladie.
Votre loi, monsieur Leonetti, devenue loi de la République, s'est inscrite dans ce mouvement. En proscrivant l'acharnement thérapeutique, elle a conféré à toute personne le droit de refuser un traitement dont elle estime qu'il est déraisonnable. Elle permet aussi au médecin d'interrompre ou de ne pas initier les traitements qu'il juge inutiles. Enfin, elle a encouragé le développement d'unités de soins palliatifs : le nombre de lits a été multiplié par vingt en dix ans.
De réels progrès ont donc été réalisés pour la dignité des personnes en phase terminale ou avancée d'une affection médicale grave et incurable. Ces progrès ne sont d'ailleurs nullement contestés.
Mais sur une question aussi sensible, nous devions disposer d'un état des lieux le plus exhaustif possible, huit ans après l'adoption de cette loi. Pour ce faire, il fallait entendre l'ensemble des points de vue : celui de personnalités du monde médical comme celui des associations de patients. Ce fut le cas dans le cadre des auditions qu'a conduites la commission animée par le professeur Sicard.
Reste qu'il faut aller plus loin sur ce sujet douloureux et difficile, et je veux ici saluer la méthode suivie par le professeur Sicard pendant les trois mois de sa mission. Elle a permis en effet de garantir la libre expression de nos concitoyens dans un cadre dépassionné. Dix débats publics ont été organisés partout sur le territoire national, pour donner simplement la parole aux Français, en les confrontant à des cas concrets et à des situations réelles, car là est bien l'enjeu : passer des principes à la réalité, aux souffrances réelles et aux demandes concrètes.
Le rapport Sicard, intitulé « Penser solidairement la fin de vie », est le fruit de cette consultation sans précédent. Il a été remis au Président de la République en décembre dernier, et je souhaiterais revenir ici brièvement sur trois aspects qu'il met en lumière.
Le premier, formulé en des termes assez durs par le professeur Sicard lui-même et qui constitue une réalité difficile à entendre, c'est que l'on meurt mal en France. Deux tiers des Français qui meurent aujourd'hui de maladie auraient besoin de soins palliatifs. Or, nous n'offrons à ce jour que cinq mille lits pour ce type de prise en charge et, surtout, la grande majorité de ceux qui décèdent à l'hôpital auraient aimé terminer leur vie chez eux. Notre système ne répond donc pas aux attentes exprimées par nos concitoyens.
Dans le même temps, il apparaît que la relation entre le soignant et le soigné, y compris au moment où le soin n'est plus dispensé pour une amélioration médicale, reste trop exclusivement dominée par les professionnels de santé, trop exclusivement médicale.
Ce constat transparaît dans la formation des professionnels de santé. En 2008, sur un panel de cent cinquante cancérologues d'Île-de-France, seuls trois étaient formés aux soins palliatifs – même si nous pouvons faire l'hypothèse que, depuis, ce chiffre a progressé. Près de deux tiers des médecins déclarent n'avoir jamais reçu de formation sur les limitations de traitement. La prise en charge de la fin de vie ne s'improvise pas et le maniement concret des traitements contre la douleur est peu enseigné.
À ces défauts de formation s'ajoute une réglementation parfois inadaptée aux situations particulières. Ainsi, les soignants infirmiers n'ont pas le droit de prescrire eux-mêmes, en urgence, des médications antalgiques pour soulager la souffrance d'un patient.
Enfin, il arrive que, dans certains cas, les aspirations des malades soient en contradiction avec les convictions personnelles des soignants. Ces situations conduisent à ce que, dans certains services, le traitement adéquat ne puisse être prodigué au bon moment. La médecine elle-même est parfois désarmée : elle ne parvient pas toujours à soulager la douleur physique et à prendre en charge la souffrance psychique des malades en fin de vie.
Le deuxième point mis en lumière par le rapport Sicard, c'est que la législation en vigueur est mal connue. Près de la moitié des Français ignorent ainsi que la loi de 2005 autorise les patients à demander aux médecins l'arrêt des traitements qui les maintiennent en vie, et seuls 2,5 % d'entre eux ont rédigé des directives anticipées, ce qui n'est d'ailleurs pas une chose facile à faire. Au-delà même de l'ignorance de la loi, celle-ci est mal comprise par nos concitoyens. Elle est perçue comme un texte qui prend le parti des médecins et les protège.
Cette méconnaissance des droits montre que la prise en charge de la fin de vie reste un sujet difficile à aborder dans notre pays. Il se heurte à la prégnance de la culture curative autour de laquelle s'est construite notre médecine. Ce constat est d'autant plus alarmant que la première volonté qu'expriment les Français face à la mort, c'est de pouvoir rester maîtres de leur choix. Il ressort ainsi très nettement des débats conduits par la commission Sicard que nos concitoyens refusent que l'on puisse décider à leur place et que des médecins décident à la place des malades.
Dans le même temps, j'entends les réticences des soignants, formés à sauver des vies. Faut-il d'ailleurs chercher à dépasser ces réticences ? Est-ce aux soignants de décider et d'agir ?
Mal connue, peu appliquée, la législation en vigueur – et c'est le troisième élément qui ressort de ce rapport – ne permet pas de répondre à toutes les situations auxquelles sont confrontés les malades et leur famille. Je pense, par exemple, aux personnes dont les traitements ne parviennent pas à apaiser la souffrance physique.
Mais, comme je l'indiquais au début de mon propos, la question de la fin de vie ne se limite pas aux derniers jours, aux dernières semaines, ni au seul degré de douleur du patient. Elle est intimement liée à celle de l'autonomie et de la dimension existentielle de la maladie.
C'est le cas pour les patients qui luttent contre une maladie qu'ils savent incurable : ils ne souhaitent pas bénéficier, jusqu'au dernier jour, d'une prise en charge en soins palliatifs et expriment le souhait de mourir. C'est encore le cas pour une personne qui perd ses capacités cognitives et qui, alors même qu'elle est encore en pleine possession de ses moyens, souhaite s'éteindre plus rapidement.
Mesdames et messieurs les députés, le cadre actuel n'est pas suffisant. Il ne permet pas d'apporter de réponse aux souhaits de certains patients. Le silence de la loi les livre à eux-mêmes et à la conscience des médecins qui les accompagnent jusqu'au bout. Ce silence, aucun responsable politique ne peut s'en satisfaire.