Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l'examen de la proposition de loi de notre collègue Jean Leonetti, tous l'ont dit avant moi, a le mérite de nous permettre de poursuivre le débat sur la fin de vie.
Elle vise à renforcer les droits des patients dans le droit fil de la loi du 22 avril 2005 du nom du rapporteur, une loi qui est insuffisamment appliquée aujourd'hui parce que largement méconnue.
Dans l'attente de l'avis du Comité consultatif national d'éthique, je ne crois pas que cette proposition de loi réponde à la seule question qui vaille et qui interroge notre intimité autant que la société : la place de la mort, qui nourrit bien des doutes et bien des peurs.
Je vous invite à réfléchir à un curieux constat : en 2010, 3,5 millions de Français avaient rédigé un testament afin de régler leur succession patrimoniale ; ces mêmes personnes évitent ou occultent la question fondamentale que nous nous posons. Le testament est-il finalement pour chacun une manière détournée d'aborder la question de sa propre mort sans la provoquer, en d'autres termes sans la défier, peut-être parce que ce défi est de ceux qui sont perdus d'avance ?
Une réponse législative – de type notarial, si j'ose dire – a été introduite avec la notion de directives anticipées, auxquelles notre rapporteur propose de donner une valeur contraignante alors qu'on sait qu'aujourd'hui elles ne sont mises en pratique qu'exceptionnellement.
Peut-on parler de la mort de façon apaisée au-delà de l'utilisation de « subterfuges sémantiques » tels que « fin de vie » ? Et si nous parlons d'une mort, d'une fin de vie « dans la dignité », cela implique de réfléchir à ce que serait la fin de vie ou la mort dans des conditions indignes.
Nous ne pourrons pas non plus nous cantonner à un débat simpliste qui poserait une question unique : pour ou contre l'euthanasie.
J'ai parcouru comme vous les différents sondages commandés par le magazine Pèlerin ou par l'ADMD, l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, qui tous deux concluent à l'adhésion majoritaire des Français à la légalisation de l'euthanasie. Jusqu'à l'âge de soixante-quatre ans, les personnes interrogées donnent des réponses indifférenciées quels que soient leur sexe, leur profession ou leur région d'origine – j'exclus volontairement les réponses liées à l'appartenance politique ou religieuse. En outre, d'après le sondage réalisé pour le Conseil national de l'Ordre des médecins, 60 % des médecins interrogés seraient plutôt favorables ou tout à fait favorables à l'euthanasie dite « active ».
Les questions que nous nous poserons seront à n'en pas douter plus complexes. Comment trouver l'équilibre entre la volonté de libre choix du malade, le désir individuel et légitime de liberté et les exigences des proches, de l'entourage ou de la société ? Comment traiter le cas des patients inconscients ? Comment assurer la formation des personnels soignants sur ce sujet, qui pose de très nombreuses questions éthiques ?
Le texte de la proposition de loi reprend la terminologie de la loi de 2005, à savoir l'administration d'un traitement sédatif qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger la vie. À mes yeux, la mort ne peut être considérée comme un effet secondaire particulier – je l'ai dit en commission – et le législateur a le devoir d'apporter une réponse claire au couple formé par un soigné et son soignant.
La proposition de loi ne répond pas davantage à la situation du patient incurable victime d'un cancer ou d'une maladie neurodégénérative ou vasculaire invalidante et grave. Ce dernier a-t-il le droit d'exiger d'être médicalement assisté pour mettre un terme à une vie devenue insupportable ? À cette question essentielle, à laquelle personnellement je réponds oui, il nous faudra répondre.
Toutes ces questions nous obligent à prolonger notre réflexion et nous invitent à ne pas donner de réponse trop millimétrée alors que le champ est immense.
Je conclurai mon propos par trois citations. Les deux premières sont empruntées à deux immenses écrivains du XVIe siècle que chacun connaît, qui sont presque contemporains, et qui dépeignent simplement la mort : Shakespeare parle de la mort comme du « pays inconnu d'où nul voyageur ne revient », tandis que Michel de Montaigne nous rappelle que « tous les jours vont à la mort, le dernier y arrive. » La troisième, plus proche de nous, nous la devons à Michel Lee Landa, fondateur de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité, qui a publié un article retentissant dans Le Monde du 19 novembre 1979 : « À qui veut bien réfléchir, la liberté – et donc le droit – de mourir dignement, à son heure, selon son style, apparaîtra évident et en parfait accord avec notre sensibilité moderne. Un jour, une telle liberté sera reconnue comme une exigence morale imprescriptible et aussi impérieuse que la liberté de parler et de s'informer. […] Le droit de mourir s'accompagnera d'une modification profonde et bénéfique des moeurs et des valeurs. »
Mes chers collègues, il convient de poursuivre les réformes socio-économiques et les réformes sociétales de concert. Ces dernières ne sont jamais les plus simples et ne sont pas toujours consensuelles ; nous venons d'en faire l'expérience avec un débat qui a été tendu. Sur le sujet fondamental abordé aujourd'hui, chacun, j'en suis sûr, aspire à un débat digne et respectueux et je ne doute pas que nous l'aurons très vite. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)