Intervention de Jean Leonetti

Séance en hémicycle du 25 avril 2013 à 15h00
Renforcement des droits des patients en fin de vie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Leonetti, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, certains pouvaient se demander à quoi servirait ce débat. Eh bien, nous avons eu un beau débat, au cours duquel chacun a exprimé ses convictions, et surtout ses interrogations.

Je vous remercie, madame la ministre, de vous être souvent interrogée publiquement. Bien sûr, certains d'entre nous savent déjà ce qu'il faut faire et projettent de copier telle ou telle loi, mais la plupart d'entre nous, sur tous ces bancs, se posent des questions car ils savent, comme vous l'avez dit, monsieur Fauré, qu'il s'agit d'un problème complexe, qui ne se résume pas à une opposition binaire entre deux visions de la société.

Si je devais m'excuser d'avoir présenté aujourd'hui cette proposition de loi de manière anticipée, je rappellerais, comme l'a fait Luc Chatel – et du reste vous le savez tous – que pour inscrire une proposition de loi dans une niche parlementaire, il faut s'y prendre longtemps à l'avance. Or je pensais que, à l'heure où nous parlons, le Comité national d'éthique aurait déjà remis son avis – il devait le donner avant la mi-avril – et que nous disposerions peut-être même d'un projet du Gouvernement. Je me réjouis que ni l'un ni l'autre ne soit finalement arrivé, puisque cela nous a permis de franchir une première étape, au cours de laquelle chacun a pu formuler les questions qu'il se pose.

Le premier élément à noter, c'est que Luc Chatel a repris à son compte le titre du rapport Sicard, « Penser solidairement la fin de vie », qui avait été commandé par le Président de la République, un président qui n'avait pas bénéficié de notre soutien : c'est peut-être le premier pas dans le sens d'une tentative de travail commun.

Mme Sonia Lagarde a parlé de devoir d'humanité et de dignité. Vous savez tous qu'il y a deux manières de concevoir la dignité : la dignité qui est inhérente à l'humain, et dont parlent nos textes, et la dignité qui relève davantage de l'appréciation de soi, et de l'appréciation du vulnérable par la société. Sur ce point, il faut être vigilant. Sartre disait que l'on n'a jamais honte tout seul, et que la dignité que nous ressentons, elle est dans le regard de l'autre. C'est parce que l'on nous regarde avec dignité que nous sommes dignes.

Je voudrais dire à mon confrère Éric Alauzet qu'il n'y a pas de cas, dans la jurisprudence, où la loi actuelle aurait été appliquée et des médecins condamnés. En revanche, donner la mort par téléphone, sans que le malade l'ait lui-même demandé, c'est s'exposer à des sanctions pénales. Mais aucun pays au monde n'a accepté l'idée qu'un médecin puisse donner la mort à un malade, sans que celui-ci l'ait demandé.

Ainsi, quelle que soit la loi qui sera votée en France, elle ne laissera pas à la seule appréciation d'un médecin le droit de donner ou non la mort à un malade qui ne l'aura pas réclamé, et c'est uniquement dans de tels cas de figure que des médecins ont été sanctionnés. Tout cela pour dire que les médecins ne sont pas aujourd'hui confrontés à de graves difficultés, lorsqu'il s'agit de soulager les malades.

Jeanine Dubié a rappelé qu'il existe une inégalité de traitement sur le territoire. Au-delà du problème de la répartition des soins palliatifs, c'est, à mes yeux, la différence entre les pratiques médicales des uns et des autres qui est la plus scandaleuse. Le fait que certains refusent d'appliquer la loi, parce qu'il n'y a pas de sanctions lorsqu'on n'applique pas les lois de 2002 et de 2005, est vraiment problématique. C'est la raison pour laquelle, dans la lignée de ce qu'a suggéré le professeur Sicard, je veux vous proposer de rendre opposables les directives anticipées, et de rendre contraignante la demande de la sédation terminale formulée par le malade, pour ne pas la laisser à la seule appréciation du corps médicale.

Jacqueline Fraysse a rappelé à juste titre les mots de Robert Badinter, et je ne l'aurais pas fait moi-même, car je sais que ces mots peuvent choquer. Robert Badinter a toujours dit que la raison pour laquelle il s'opposait à l'exception d'euthanasie était la même – et vous pouvez retrouver son texte – qui l'avait poussé à se battre contre la peine de mort. Il rappelait aussi que ce sont les pays totalitaires, et non les pays démocratiques, qui ont des lois d'exception. Nous avançons ensemble, à tâtons et tremblants, pour faire des lois générales et universelles, et non pour créer des exceptions en fonction des cas, si tant est que les cas puissent être définis dans le cadre de la loi.

Sachez aussi que je n'ai pas d'arrière-pensées. Si quelqu'un souhaite, un jour, détacher mon nom de ce sujet, qu'il le fasse en toute liberté ! S'il est très plaisant d'avoir une certaine notoriété, il est quelquefois déplaisant de constater que notre action de député est toujours associée à la question de la mort. Si quelqu'un veut prendre le relais, en essayant, comme nous l'avons fait à l'époque, d'agir de manière consensuelle, ou au moins en associant largement tous les bancs de cet hémicycle, qu'il en prenne la responsabilité. Car je n'ai pas vocation à inscrire mon nom sur le marbre des pierres tombales, ni sur le marbre des lois ineffaçables de la République.

Au fond, madame la ministre, c'est peut-être parce qu'il y a eu une mission parlementaire que nous avons débattu depuis un an, et c'est peut-être pour cela aussi que le débat d'aujourd'hui, apaisé et tranquille dans sa diversité, a fini par aboutir. Puisque vous demandez du temps, madame la ministre, demandez la création d'une mission parlementaire, avec des députés de droite et de gauche, et nous verrons. Pourquoi penser, a priori, que nous n'arriverons pas à un accord ? J'ai eu l'impression, par instants, que certains étaient prêts à faire un pas pour se rapprocher : c'est peut-être ainsi que nous avancerons à l'avenir.

Je voudrais également remercier Philippe Gosselin, pour avoir dit que le problème est plus large, et qu'il s'agit d'un problème de société. Notre société, comme nous-mêmes, est traversée par deux éthiques qui peuvent paraître contradictoires et qui se sont affrontées tout au long de ce débat : une éthique de la vulnérabilité, qui consiste à se demander comment protéger le plus faible, le plus vulnérable, parfois même contre lui-même ; et une éthique de l'autonomie, qui vise à faire respirer l'autonomie et la liberté des personnes, justement quand elles sont vulnérables et qu'on a l'impression qu'on peut décider à leur place. Cette éthique de la vulnérabilité et cette éthique de l'autonomie ne resteront pas nécessairement en conflit l'une avec l'autre : nous devons essayer de les faire vivre ensemble, même si c'est difficile.

Par ailleurs, il ne me semble pas juste de dire qu'on a le droit de disposer de son corps. (Murmures sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.) Si on avait le droit de disposer de son corps, on pourrait vendre son rein à quelqu'un qui nous proposerait de l'acheter.

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