Intervention de Jean Leonetti

Séance en hémicycle du 25 avril 2013 à 15h00
Renforcement des droits des patients en fin de vie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Leonetti, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Je voudrais enfin attirer l'attention de chacun sur les dangers d'une société qui prône toujours plus d'individualisme, de performance, de rentabilité, et quelquefois, en médecine, d'efficacité ou d'efficience, aux dépens de la qualité.

Comme l'a dit M. Fauré, autour des lits, en fin de vie, planent le sublime et le sordide. La loi que nous allons élaborer doit faire émerger le sublime et ne pas favoriser le sordide.

Il est des vies que l'on voudrait voir partir. Et chacun d'entre nous, au chevet du lit de celui qu'il aimait et qui était en train de mourir, a été partagé, comme le mourant lui-même, entre ses désirs de mort et ses désirs de vie. Ces désirs fluctuent, et cette fluctuation tient parfois à peu de chose : une douleur mal assumée, une visite qui ne s'est pas produite, un mépris ou une distance du corps médical envers ceux qu'il ne peut pas sauver et qui apparaissent comme un échec de sa médecine.

Il faudra donc que nous soyons extrêmement prudents, à l'avenir, pour ne pas considérer qu'en fin de vie l'autonomie de la personne est le seul critère. Il faut que nous ayons cette double vision, car l'éthique n'est pas l'opposition du bien et du mal, de la morale et de la science, de la religion et des laïcs ; c'est simplement un bien face à un autre bien. L'autonomie de la personne est un bien. La vulnérabilité de la personne protégée est également un bien. Acceptons d'être obligés de prendre en compte, non pas cette ambiguïté, mais cette ambivalence dans la façon que nous aurons d'avancer.

Les deux mesures qui figurent dans la proposition de loi proviennent du rapport Sicard. Ce sont les deux seules qui y soient clairement préconisées. Bien sûr, le rapport ouvre des perspectives sur le suicide assisté en expliquant que si le législateur en prenait la responsabilité, il faudrait alors être extrêmement prudent. Donc, des trois propositions dont le Comité d'éthique a été saisi, les deux premières sont dans ce texte. Elles ne sont pas parfaites et peuvent être modifiées, mais peut-être quelqu'un voudra-t-il bien les reprendre et se poser la question de l'opposabilité des directives anticipées et de l'obligation de la sédation terminale lorsqu'elle est réclamée par le malade qui ne veut pas souffrir, qui ne veut pas agoniser dans la souffrance, et qui impose sa volonté de dormir pour ne pas souffrir avant de mourir.

Enfin, prenez garde à distinguer deux situations très particulières et très différentes. Celui à qui il reste dix ans à vivre et qui ne supporte pas la situation dans laquelle il est plongé et dont on peut comprendre la souffrance irréductible demande souvent un suicide assisté, alors que celui qui se trouve à quelques heures de la mort ne la réclame qu'exceptionnellement. Le paradoxe est qu'en extrême fin de vie, nous devons faire preuve d'une forte solidarité, et ne nous poser la question de l'autonomie que lorsque la personne est autonome. Lorsque l'autonomie est affaiblie par une forme de vulnérabilité telle que la personne est juste dans une vie finissante et l'exercice de son autonomie peut n'être qu'un appel au secours pour que l'on apaise ses souffrances, sans nécessairement abréger sa vie.

Voilà quelles sont mes réflexions. Non, je n'ai pas d'arrière-pensées. Je me suis trompé de timing, madame la ministre, et je vous prie de bien vouloir m'en excuser. Mais, grâce à cette erreur, j'ai vu la possibilité de ne pas reproduire les affrontements un peu brutaux que nous avons connus, et que je regrette à titre personnel. Nous ne sommes pas toujours obligés de faire des lois consensuelles, mais il est possible de trouver des voies qui permettent de se parler et de se respecter. C'est peut-être cela une démocratie moderne et apaisée. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

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