Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la niche parlementaire de l'UMP me semble avoir un air de déjà-vu.
Monsieur Leonetti, vous revenez souvent à la charge sur ce sujet délicat et souvent douloureux de la fin de vie. Vous avez été rapporteur – et en partie l'auteur – de la loi de 2005. Ensuite, vous avez présidé une commission d'évaluation de cette loi en 2008. Puis vous avez été rapporteur de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique en 2011, à propos duquel nous avions à nouveau évoqué le sujet, bien que vous ayez plutôt cherché à l'écarter. Désormais, vous défendez cette proposition de loi.
La loi de 2005, à laquelle on accole souvent votre nom, avait été saluée et votée par l'ensemble de l'Assemblée, tous bords politiques confondus. Il est vrai qu'à l'époque, cette loi marquait un tournant dans les débats relatifs à la fin de vie. À la suite de l'affaire Vincent Humbert, un débat important s'était instauré en France, non seulement dans les médias mais dans la société entière, au sujet de l'euthanasie. Je n'aime pas beaucoup ce terme, ayant un peu étudié le grec ancien de par le passé ; l'idée d'une « mort heureuse » me semble un concept très délicat, à manier avec beaucoup de précautions. On emploie également l'expression de « suicide médicalement assisté », qui n'est pas non plus très heureuse, ou de l'aide active à mourir.
À défaut de légaliser ces pratiques, une première étape a été franchie à l'époque. La loi de 2005 permet d'éviter ce que l'on appelle l'acharnement thérapeutique et a essayé de promouvoir les soins palliatifs. On pourrait d'ailleurs discuter de la réalité des résultats sur l'acharnement thérapeutique, mais une étape avait été franchie. Toutefois, cela n'a pas répondu au problème, grave, soulevé par le cas de Vincent Humbert, à qui les soins palliatifs n'auraient rien apporté.
Mais, pour beaucoup d'autres patients, cela a pu constituer une avancée. Pour autant, doit-on se dire que maintenant que l'on a une législation qui a – un petit peu – évolué, il ne faudrait plus rien y changer ? C'est un peu le sentiment que donnent vos initiatives législatives, monsieur Leonetti.
La loi de 2005 n'aurait pas dû devenir un horizon indépassable. Or, c'est ce que l'on pourrait croire en entendant plusieurs de vos collègues de l'UMP affirmer souvent qu'elle apporte la réponse à la question. En définitive, vous donnez l'impression de prendre aujourd'hui cette initiative législative pour bloquer les débats de fond sur les autres questions liées à la fin de vie.
Cela fait huit ans que la loi qui porte votre nom a été promulguée, et il est logique d'en faire aujourd'hui un bilan et d'étudier les pistes d'évolution.
C'est dans cette optique que le Président de la République a confié une mission sur la fin de vie au professeur Didier Sicard. Évidemment, cette mission ne doit pas empêcher le législateur de prendre des initiatives et d'être force de proposition. Le texte que vous avez déposé est donc tout à fait légitime. On pouvait penser que votre proposition de loi comporterait des idées innovantes ou, du moins, une avancée notable dans le renforcement des droits des patients en fin de vie ; mais elle ne présente finalement, à notre sentiment, qu'un intérêt limité. J'avoue d'ailleurs mal mesurer le progrès qu'elle représente.
Le rapport remis par la commission Sicard en décembre dernier précise que la loi actuelle a besoin d'être plus connue, tant par les patients que par le corps médical, et mieux appliquée. Très bien : prenons-en acte et agissons en ce sens ! Mais cela ne suffira évidemment pas. Le rapport développe d'ailleurs de nombreuses autres pistes. Ainsi, il est expliqué qu'il est impératif que la parole du malade et son autonomie soient respectées. Concrètement, cela devrait se traduire tout d'abord par le développement et la facilitation des directives anticipées, une meilleure information sur elles et une application réelle. Or les implications de ces directives et le cadre juridique strict dans lequel elles doivent s'inscrire sont, aujourd'hui encore, trop méconnus. Votre proposition de loi agit-elle en ce sens ? Non. Met-elle en oeuvre de véritables mesures facilitant cette pratique ? Non plus.
Certes, on peut considérer qu'une proposition de loi ne doit pas forcément être exhaustive, et la vôtre comporte certainement d'autres approches présentes dans le rapport Sicard. En annexe de ce dernier, l'Inspection générale des affaires sociales expose la problématique de la personne de confiance. Censée être l'interlocuteur privilégié du corps médical, la personne de confiance est celle dont la parole a le plus d'importance si le patient n'est pas lui-même en état de s'exprimer. Une fois encore, si ce concept est très intelligent dans la théorie, il n'est pas opératoire dans les faits. Compte tenu de l'impossibilité pour les médecins de déterminer qui est la personne de confiance, du doute quant à la capacité pour cette personne d'agir avec justesse et d'assumer le rôle primordial qui lui incombe, et de la distance qui peut la séparer du patient, ce dispositif peine à exister. Votre proposition de loi apporte-t-elle un élément de réponse à ce problème ? Non. Fait-elle seulement mention de la personne de confiance ? Non.
Je continue d'évoquer les pistes suggérées par le rapport Sicard. Il y est clairement recommandé d'instaurer, pour le corps médical, une formation aux problématiques de la fin de vie. Trop souvent, les patients se trouvent confrontés à des praticiens ne maîtrisant que trop peu cette situation forcément compliquée – d'autant qu'elle n'est jamais la même d'un patient à l'autre. S'il est une piste que nous devrions suivre, c'est donc bien celle-ci. Or votre proposition de loi ne propose rien en la matière. Il n'y est pas même fait allusion.
Dans une autre partie du rapport, il est question de l'ouverture des soins palliatifs dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Il s'agit d'un véritable chantier à ouvrir, car les soins palliatifs en EHPAD sont actuellement organisés par des équipes mobiles rattachées à des établissements hospitaliers ou par le dispositif d'hospitalisation à domicile. La proposition de loi que vous défendez apporte-t-elle une solution à ce problème ? Non. Elle n'y fait même pas allusion non plus. Certes, toute solution qui serait proposée créerait des charges nouvelles, et l'on sait combien il est compliqué d'insérer dans une proposition de loi des articles susceptibles de créer de nouvelles charges publiques. Cela démontre aussi le caractère inopportun de ce véhicule législatif : la procédure que vous avez choisie est inadaptée à un tel sujet.
On ne peut répondre qu'il suffit d'appliquer toutes les bonnes idées du rapport Sicard – on peut d'ailleurs juger que les propositions du rapport ne sont pas toutes bonnes, mais j'y reviendrai. Pourtant, dans l'exposé des motifs de votre proposition de loi, il est écrit : « souhaitant qu'une nouvelle étape à la législation en vigueur soit franchie tout en faisant preuve de continuité, la présente proposition de loi, qui s'inscrit dans les orientations du rapport de la commission Sicard, vise à renforcer les droits des malades et à garantir le respect de leur dignité ». Apparemment, monsieur le rapporteur, vous avez fait de ce rapport votre bible, si vous me permettez l'expression.