Intervention de Bernadette Laclais

Séance en hémicycle du 25 avril 2013 à 15h00
Renforcement des droits des patients en fin de vie — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernadette Laclais :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les échanges que nous avons eus aujourd'hui confirment, s'il en était besoin, l'existence de quelques points qui peuvent nous rassembler, quelles que soient nos opinions politiques, nos convictions religieuses ou nos dispositions dans ce débat.

Premièrement, nous avons conscience d'être face à un enjeu particulier, aux dimensions complexes, douloureuses, parfois confuses, un enjeu qui commande de nous départir de postures simplistes ou dogmatiques. Les différents groupes politiques l'ont du reste compris depuis longtemps, puisqu'ils évitent généralement d'imposer des consignes de vote sur de tels sujets.

Deuxièmement, peu de sujets doivent composer à ce point avec une double dimension : d'une part le droit de la personne elle-même, en tant qu'individu, de garder la maîtrise de son destin et à voir respectés au mieux ses souhaits ; d'autre part, le devoir de la société de garantir la protection des plus fragiles, des plus vulnérables et de prévenir les excès. Et, en la matière, la frontière entre certitude et questionnement se révèle bien fragile.

Troisièmement, il y a dans notre pays une insupportable distorsion entre les textes et la réalité, phénomène que son ampleur rend très concret. Les textes, qu'ils soient législatifs ou réglementaires, ont permis au fil des années une avancée indiscutable. Mais la réalité quotidienne renvoie à un chiffre tout simplement dramatique : aujourd'hui, dans notre pays, une personne sur trois connaît une fin de vie dans la souffrance et ne bénéficie d'aucun traitement sédatif ou antalgique. Vous avez vous-même admis cette réalité, monsieur Leonetti, dans l'évaluation de votre loi, en 2008, laquelle vous a amené à constater que ces textes sont mal connus et mal appliqués. Je ne dirai pas qu'ils ont été mal conçus.

Cette évaluation a conduit à de nouvelles préconisations : mise en place de l'Observatoire national de la fin de vie et des pratiques d'accompagnement, création de l'allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie, élargissement des possibilités de déclencher les procédures pour limiter ou arrêter les traitements. Citons enfin l'introduction de la sédation dans le code de déontologie médicale et son corollaire, le fait d'admettre, sous condition de l'accord explicite de la personne, que le traitement antidouleur efficace administré en fin de vie puisse, par un double effet, provoquer aussi une mort plus rapide.

De 2005 à 2013, le délai peut sembler long mais que de chemin parcouru, si l'on veut bien admettre que notre société n'a pas été préparée à de telles évolutions. Toutefois, un même constat demeure, repris par le rapport Sicard rendu public en décembre dernier : la loi Leonetti est « un chemin mal connu et mal pratiqué, et qui répond pourtant à la majorité des situations ».

Vous avez sans doute été nombreux, chers collègues, à mesurer comme moi cette réalité sur le terrain dans les centres hospitaliers que vous connaissez bien. Vous savez comme il est difficile d'obtenir des réponses claires, voire de simples éléments d'informations sur ces dispositions.

Ce contexte, mais aussi les situations individuelles dramatiques dont la presse se fait régulièrement l'écho, et qui frappent à juste titre l'opinion, ont alimenté le débat sur la fin de vie et plus précisément sur l'opportunité d'aller plus loin dans l'aide active à mourir. Sous la précédente législature, plusieurs propositions de loi ont été déposées à ce propos par des parlementaires de toutes sensibilités politiques, à l'Assemblée nationale comme au Sénat.

Il était dès lors bien légitime que ce sujet soit abordé lors de la campagne pour l'élection présidentielle, et heureux que François Hollande, alors candidat, témoigne de l'attention qu'il lui portait. Une fois élu, il a tenu à donner très vite une suite à sa proposition n° 21, qui prévoyait que « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».

Soulignons le caractère ramassé du calendrier. Dès le mois de juillet, le président Hollande rendait publique la mission de réflexion sur la fin de vie confiée à Didier Sicard, dont les travaux devaient être expressément menés « en prêtant une attention pour tous les points de vue, dans un souci d'écoute et de respect mutuels ». Rendu public le 18 décembre, le rapport Sicard, dont la qualité et la profondeur d'analyse ont été unanimement salués, confirmait l'aspiration de nos concitoyens à une meilleure prise en compte de leurs espérances à l'égard de la fin de vie. Il prenait aussi acte d'un sondage réalisé pour le compte de la mission, d'après lequel 56 % des Français déclarent souhaiter être aidés médicalement pour mourir.

Partant de ces résultats, le rapport propose notamment la possibilité d'administrer aux patients qui l'auraient demandé de façon réitérée une sédation terminale entraînant le coma puis la mort. Il ouvre, sans le recommander explicitement, la réflexion sur le suicide assisté, c'est-à-dire la possibilité pour un malade incurable d'absorber un produit létal, sous la responsabilité de l'État. Dans le même temps, il rejette toute hypothèse d'euthanasie.

Sur la base de ces réflexions, le Président de la République a saisi le Comité consultatif national d'éthique. À cet égard, j'aimerais revenir sur un point que cette instance a soulevé, mais qui n'a pas été beaucoup évoqué cet après-midi, exception faite de Mme Pompili. Je veux parler des conditions dans lesquelles, une fois les traitements interrompus, la prise en charge d'un patient pourrait être améliorée.

Dans le même temps, Mme la ministre Marisol Touraine confirmait ici même, en réponse à l'une de nos collègues, Véronique Massonneau, qu'un projet de loi serait présenté au Parlement, ce qu'elle nous a reconfirmé aujourd'hui.

Quelques semaines plus tard – je tiens à le souligner –, l'Ordre national des médecins faisait connaître une évolution de sa doctrine : il envisageait pour la première fois qu'un collège médical puisse permettre une sédation terminale « dans des cas exceptionnels », au nom d'un « devoir d'humanité ».

Voilà, monsieur le rapporteur, le contexte dans lequel intervient votre proposition la proposition de loi. Vous avez rappelé les deux dispositions qui la composent, je ne les développerai pas ici.

Vous ne serez pas étonné par le fait que notre motion se fonde avant tout sur un critère d'opportunité.

Comme vous l'avez reconnu vous-même en commission et en séance, vous pensiez, au moment où vous rédigiez cette proposition de loi, que le CCNE aurait rendu son avis. Or celui-ci ne sera pas connu avant le mois de juin. Je vous remercie de l'avoir indiqué aussi clairement tout à l'heure.

Par ailleurs, toute personne – a fortiori une personne comme vous, qui maîtrise et saisit toute la dimension de ce sujet – admettra facilement que discuter aujourd'hui de ces deux dispositions ponctuelles ne permet pas d'aborder le débat et les réponses que nos concitoyens attendent tous. Ce texte de loi qui tient en une seule page n'est pas le véhicule législatif le plus approprié.

Si votre objectif est d'améliorer la loi de 2005, il me paraît louable, mais votre initiative me semble un peu précipitée, même si vous vous êtes défendu en commission d'avoir voulu faire un putsch. (Sourires.)

Si votre texte vise à amorcer le débat à venir, on peut se demander s'il ne manque pas d'ambition. Tout se passe comme s'il se contentait d'ajouter une pierre à un mur qui doit être entièrement consolidé. Vouloir en rester à ce qui a été proposé par Didier Sicard parce que cela semble faire consensus me paraît respectable, mais il vous faut accepter que ce ne soit pas forcément ce qu'attendent nos concitoyens.

Pour renforcer un mur, il faut des matériaux solides. À ce titre, nous avons beaucoup de pierres à apporter. Je pense à l'application de la loi existante et à l'information de nos concitoyens qu'elle suppose. Je pense encore à l'évolution à mettre en oeuvre dans les études médicales en faveur d'une meilleure prise en compte de la fin de vie, laquelle implique plus qu'une modification technique, un changement de culture de la part des membres du personnel médical, pour qui la fin d'un traitement reste perçue comme un échec, comme un inadmissible renoncement, et qui trouvent trop souvent dans le surinvestissement technique une réponse à l'impuissance qu'ils éprouvent sur le plan relationnel face à des mourants. Je pense aussi aux modalités de mise en oeuvre, dans un cadre strict, d'une sédation en phase terminale, et plus encore à l'éventuelle évolution vers un suicide assisté. Citons également les spécificités liées aux situations de fin de vie en néonatalogie ou dans les services d'urgence, la diffusion des soins palliatifs au-delà des unités spécialisées et l'abolition des frontières entre les deux approches, la collégialité indispensable à toute décision de sédation terminale.

Pardonnez-moi de ne pas poursuivre cette énumération, elle serait beaucoup trop longue.

Sur toutes ces questions et sur les réponses qu'elles impliquent, il importe que nous prenions le temps d'un débat serein, où chacun a le droit de défendre des points de vue qui ne relèvent plus de clivages politiques traditionnels et où la dialectique se porte sur le champ de la liberté individuelle, du respect de la personne et de la responsabilité collective.

Nous ressentons tous l'aspiration de nos concitoyens à un tel débat, à un débat profond, ouvert, de nature à apporter sinon un apaisement à leurs inquiétudes, du moins des éléments pour y voir clair et des perspectives d'évolution et d'amélioration. Et je crois que, cet après-midi, nous avons été à la hauteur de cet enjeu.

Les sondages d'opinion révèlent qu'une immense majorité des personnes interrogées se dit favorable à une légalisation de l'euthanasie. C'est un élément à prendre en considération, bien entendu, mais, à l'épreuve des faits, nous avons tous constaté combien une opinion établie lorsqu'une personne est en pleine santé est susceptible d'évoluer lorsqu'elle est confrontée à la réalité de la maladie, combien aussi tel refus ou telle détermination tranchée ne sont plus soutenus par la même assurance face à un proche dont on ne supporte plus les souffrances, ou face à une décision à prendre dans un contexte d'émotion extrême, de fatigue, de vulnérabilité, décision qui pourtant nous accompagnera le reste de notre vie.

Nous avons tous conscience de ce qu'un parti pris trop clairement assumé, dans un sens ou dans l'autre, devra s'appliquer à la réalité du moment et à la singularité de chaque situation ; nous devrons en assumer les apports, mais aussi les limites.

Nous savons qu'en la matière les mots, les expressions, les attentes peuvent avoir un sens ambigu et que, quand bien même la douleur serait vaincue, la frontière est ténue entre l'acte provoqué et la conséquence attendue. Tout est question de nuances ; mais ces nuances en disent long sur l'idée que l'on se fait de l'homme, de sa liberté, de sa vie.

Je souhaite que ce futur débat contribue à nous éclairer également sur l'image que notre société véhicule de la mort, le plus souvent en la fuyant, en la cachant.

Si notre société accepte de voir la mort comme un aboutissement naturel, dans une vision plus apaisée et plus sereine, parce que chacun saura qu'il sera accompagné, aidé, respecté dans ses choix d'adultes quels qu'ils soient, aimés – combien nous disent qu'ils souffrent par manque de tendresse dans ces moments ? – ; si nous acceptons tout cela, alors notre société aura franchi un nouveau pas.

Pour toutes ces raisons, nous demandons le renvoi en commission ; je vous invite donc, chers collègues, à voter la motion présentée en ce sens par notre groupe. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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