Je remercie mon collègue Didier Quentin, dont j'ai apprécié l'assiduité et avec qui j'ai travaillé dans des conditions optimales. Après plusieurs mois de travail, je souhaiterais vous présenter les principales conclusions de ce rapport réalisé en commun. Je vous invite d'ores et déjà à lire les contributions de M. Didier Quentin et de M. Philippe Goujon, qui y sont annexées.
Je souhaiterais tout d'abord vous faire part du constat réaliste, mais sévère, que nous avons pu tirer des nombreuses auditions que nous avons menées – la mission a entendu une centaine de personnes : policiers, gendarmes, magistrats, greffiers, personnels pénitentiaires, responsables politiques, chercheurs, sociologues, statisticiens, démographes, etc. –, mais également des déplacements que nous avons faits.
Le premier constat que la mission a pu tirer est que l'état 4001, qui est la principale source de données statistiques utilisée pour mesurer les délinquances, est un instrument totalement obsolète et, par nature, imparfait.
Cet outil ne mesure nullement les délinquances : il mesure l'activité des services de police et de gendarmerie, et encore ne le fait-il que très imparfaitement. L'état 4001, alors que nous sommes entrés dans l'ère des nouvelles technologies depuis une décennie, ne peut être considéré comme fiable. Il ne donne pas, en lui-même, un éclairage sur l'évolution des délinquances, pas plus qu'il n'est un outil pertinent de mesure de l'activité des services.
L'état 4001 ne comptabilise pas, par exemple, la délinquance routière ; le dernier de ses 107 index est un véritable « fourre-tout », qui recense notamment les dernières évolutions législatives ; l'état 4001 ignore également les nouvelles pratiques criminelles, dont certaines ne peuvent être isolées à partir de ses index ; il n'éclaire pas le fameux « chiffre noir » de la délinquance, ces infractions qui ne sont pas portées à la connaissance des services de police et de gendarmerie et qui pèsent pourtant sur la vie de nos concitoyens ; il ne permet pas non plus de faire état des facteurs exogènes qui président à l'évolution des chiffres de la délinquance.
Il serait trop long de passer en revue toutes les failles de cet outil. Pour l'essentiel, nous pouvons insister sur le fait que son champ est partiel : les infractions routières, comme les contraventions de la 5e classe, ne sont pas comptabilisées par l'état 4001. Par ailleurs, cet outil laisse une place trop grande à l'humain, et est donc susceptible de faire l'objet d'erreurs de comptabilisation, d'erreurs techniques voire, dans de nombreux cas, de manipulations.
Mais le problème réside aussi dans le fait que l'état 4001 sert de base à la mesure de la performance des services. De fait, il est très facile de lui faire dire ce que l'on veut : en prenant une main courante plutôt qu'une plainte, en comptant une contravention plutôt qu'un délit, en omettant d'intégrer certains procès-verbaux, en les comptabilisant sous un mauvais index, en augmentant sensiblement les infractions révélées par l'activité des services, qui assurent un bon taux d'élucidation, etc. Il existe mille façons de rendre imparfaite et inexacte la compilation des données.
Je n'ignore pas que M. Didier Quentin, vice-président et co-rapporteur, a une opinion plus nuancée en ce qui concerne ces possibles manipulations. Mais il ne peut contester que le rapport traduit ce qui nous a été dit par la majorité des personnes entendues. À tout le moins nous accordons-nous sur le fait que cet outil, qui peut être manipulé, n'est pas un outil satisfaisant. Or, l'absence d'un contrôle interne solide – en ce qui concerne la police nationale – ne permet pas de remédier à ces biais.
Les statistiques judiciaires, sur lesquelles porte également le présent rapport, soulèvent des problèmes quelque peu différents, mais tout aussi réels.
En lieu et place d'un outil unique, on trouve ici plusieurs outils : les cadres du parquet remplis par les juridictions, le casier judiciaire national, les données issues des logiciels de l'administration pénitentiaire – APPI pour le milieu ouvert, GIDE pour le milieu fermé.
Ces différentes sources ne communiquent pas, si bien qu'il est difficile d'en tirer autre chose que des informations isolées. Par ailleurs, ces statistiques éclairent surtout les processus à l'oeuvre au sein de l'institution judiciaire, c'est-à-dire les différentes étapes de la procédure judiciaire. De fait, elles ne fournissent que des indications limitées sur les individus eux-mêmes, parce qu'elles n'ont pas été conçues pour cela.
Au-delà, le problème se situe également dans l'absence d'appréhension de la chaîne pénale dans son ensemble. Les statistiques policières et judiciaires ne parlent pas le même langage, si bien qu'il est difficile de comprendre les trajectoires individuelles, et donc les délinquances, par ce biais.
Pour remédier aux problèmes identifiés au cours de leurs travaux, vos rapporteurs ont formulé plusieurs recommandations. La plus forte est sans nul doute celle qui concerne la mise en place d'un service statistique dédié aux politiques de sécurité au sein du ministère de l'Intérieur. Quoique l'on en dise, l'ONDRP ne joue pas le rôle d'un service statistique ministériel, même après les évolutions notables dont il a fait l'objet au cours des deux dernières années : il n'a aucun accès aux données brutes, ni aucune possibilité de les contrôler. Pour fiabiliser les données issues des forces de l'ordre, un service répondant aux critères établis par le code européen de bonnes pratiques – que vous trouverez en annexe au rapport –, un service statistique ministériel est absolument nécessaire. Cela permettra aussi de replacer l'ONDRP dans le rôle qui doit être le sien : l'analyse de la chaîne pénale dans son ensemble, et de couper définitivement le lien qui existe entre cet observatoire et le ministère de l'Intérieur.
Ensuite, vos rapporteurs ont proposé la rénovation de l'état 4001, qui a perdu sa pertinence. En effet, s'il est clair que les nouveaux logiciels de la police et de la gendarmerie offrent des perspectives intéressantes dans ce domaine, ils montent en charge laborieusement. Il faut prendre garde à ne pas « casser le thermomètre » : même si, à terme, la police et la gendarmerie devront nécessairement se doter d'un outil commun plus complet et plus directement opérationnel, l'état 4001 doit être conservé, pour assurer la continuité statistique. Vos rapporteurs proposent ainsi un certain nombre de modifications de l'état 4001 qui, sans jamais nuire à la continuité statistique, en feront un outil plus performant. Nous prenons acte des initiatives prises en ce sens par le ministère de l'Intérieur.
Enfin, vos rapporteurs souhaitent également que les statistiques judiciaires en disent plus sur les individus et leurs parcours et qu'elles puissent enfin communiquer entre elles, mais aussi avec les statistiques policières.
Sur ce point particulier, les nouvelles applications en cours de développement ou de déploiement – Chaîne applicative supportant le système d'information orienté procédure pénale et enfants (CASSIOPÉE), Gestion nationale des personnes écrouées pour le suivi individualisé et la sécurité (GENESIS), Logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN), etc. – sont porteuses d'espoir. Pour la première fois, les applications policières et judiciaires pourront échanger des données ; un système d'information décisionnel (SID), pour la Justice, collectera et harmonisera les données issues de tous ses systèmes d'information pour en faire de réels outils de décision. Il est probable que ces nouvelles bases de données donneront un aperçu plus fiable des délinquances et de leurs conséquences et alimenteront des analyses plus riches et plus pertinentes.
Si vous le voulez bien, Monsieur le Président, je cède maintenant la parole à M. Didier Quentin, qui aborde quant à lui les préconisations de la mission en ce qui concerne l'analyse des statistiques des délinquances et l'ONDRP.