Cher collègue, je vous remercie pour l'excellent climat que vous avez fait régner au sein de la mission. Je débuterai mon propos par l'exposé de mes quelques désaccords, avant d'aborder tous les points qui font l'objet de mon entière approbation.
Comme vous l'avez indiqué, je ne partage pas le choix qui a été fait de retenir certains termes – comme « manipulation », « soupçon » ou « suspicion » – au sein du présent rapport. Certes, ils ont été employés au cours de nos auditions pour qualifier les dysfonctionnements qui, dans un passé récent, ont pu exister dans la production des statistiques administratives, et notamment policières. Je regrette d'ailleurs que, si de telles manipulations ont existé, les personnes qui en avaient connaissance n'aient pas eu le courage de les dénoncer plus tôt !
Ces termes laissent à penser que des pratiques critiquables auraient été le fait de l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale, sous l'impulsion de responsables politiques. Or, de mon point de vue, il s'agit plutôt de pratiques marginales, relevant de comportements isolés que l'on ne saurait, sans excès, généraliser et qui ne résultent pas d'une « culture du chiffre » érigée en système. À ce propos, je rappellerai que, selon une formule connue, les chiffres ne mentent pas, mais les menteurs chiffrent ! Tout l'objectif de notre travail est de parvenir à un consensus. En tout état de cause – et c'est ainsi que j'ai abordé notre mission –, il importe de se tourner résolument vers l'avenir, plutôt que de faire le procès du passé.
En dehors de ces réserves, je tiens à souligner que je partage les constats et les propositions du présent rapport, particulièrement en ce qui concerne l'analyse des statistiques des délinquances et le rôle, qu'en toute indépendance, l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) devrait jouer en la matière.
Je rappelle que notre rapport s'inscrit dans la continuité des travaux consensuels menés par nos collègues Christophe Caresche et Robert Pandraud – j'ai eu l'occasion de travailler avec ce dernier par le passé et je salue sa mémoire.
Aujourd'hui, l'indépendance de l'ONDRP n'apparaît pas pleinement garantie, en raison de son rattachement à l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), qui est placé sous la tutelle du Premier ministre, et du lien privilégié que l'Observatoire entretient avec le ministère de l'Intérieur.
Vos rapporteurs suggèrent donc que l'ONDRP soit rattaché au Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), dont Mme Yannick Moreau, présidente de section au Conseil d'État, a préconisé la création en décembre 2012. Ce commissariat pourrait encourager les synergies et les efforts de coordination entre les observatoires locaux ou sectoriels des délinquances, dont Jean-Yves Le Bouillonnec et moi-même avons constaté la multiplication.
Par ailleurs, l'ONDRP gagnerait en indépendance si le président de son conseil d'orientation était désigné, non plus par le pouvoir exécutif, mais par les commissions compétentes du Parlement, et s'il venait ensuite leur rendre compte régulièrement des travaux menés par l'Observatoire, et notamment de ses actions au niveau européen et international, pour harmoniser et approfondir, dans la mesure du possible, les bonnes pratiques en matière de production et d'analyse des statistiques des délinquances. Nous autres parlementaires sommes, en effet, insuffisamment informés sur ces questions.
Le président du conseil d'orientation de l'ONDRP aurait également vocation à présider le conseil scientifique que nous appelons de nos voeux. L'Observatoire n'est pas encore parvenu à devenir le lieu de rassemblement des chercheurs qu'il devrait être. Le doter d'un conseil scientifique, composé de chercheurs et de statisticiens, permettrait de mieux contrôler la rigueur de ses travaux dont pourraient débattre des chercheurs associés à l'ONDRP, dans le cadre d'une structure relativement souple.
La création de ce conseil scientifique, en appui duquel viendraient des chercheurs aux profils et aux compétences variés, nous paraît nécessaire. Aujourd'hui, en matière de mesure des délinquances, les savoirs sont parcellaires et relèvent d'administrations diverses et d'organismes spécialisés, et souvent cloisonnés.
Ces savoirs seraient utilement complétés par des enquêtes de victimation plus régulières et davantage ciblées sur l'échelon local. Ces enquêtes permettent d'appréhender sous un autre angle la mesure des délinquances, telle qu'elle résulte des données statistiques « brutes » des administrations. Au cours des travaux de la mission, vos rapporteurs ont pu apprécier l'intérêt des enquêtes de victimation, comme l'enquête « Cadre de vie et sécurité », réalisée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), en partenariat avec l'ONDRP. De son côté, l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF) a contribué à donner une indéniable visibilité à ce phénomène mal quantifié et donc mal connu.
Les statistiques administratives des délinquances gagneraient à être confrontées, non seulement aux enquêtes de victimation, mais aussi à des données extra-pénales, comme des enquêtes de satisfaction de la population à l'égard de l'activité des forces de l'ordre. Ces enquêtes, nombreuses au Royaume-Uni, sont trop rarement réalisées en France, alors qu'elles pourraient apporter un éclairage intéressant sur les statistiques policières et judiciaires. Vos rapporteurs appellent donc à expérimenter, en plusieurs points du territoire, au niveau des circonscriptions de sécurité publique, des enquêtes de satisfaction de la population, rendant notamment compte de la qualité de l'accueil et des conditions des dépôts de plainte.
Les propositions que nous faisons ont pour but de favoriser l'émergence d'un consensus autour de la méthode d'analyse des statistiques des délinquances. Celle-ci pourrait être enrichie, diversifiée et rendue plus exploitable, afin de mieux définir et orienter l'action publique en matière de sécurité.
La promotion d'une analyse « multi-sources », ancrée dans une étude des évolutions sur le long terme, s'inscrit dans une perspective d'amélioration, aussi bien de la recherche sur les délinquances, que de l'évaluation des politiques publiques en matière de sécurité. L'analyse des statistiques des délinquances doit être au service de l'action publique et ne pas perdre de vue les enjeux opérationnels. À cet égard, le Royaume-Uni a su mettre en place des dispositifs de dialogue continu entre l'administration et la recherche. Vos rapporteurs ont pu constater qu'en France aussi, il existait des exemples de collaboration fructueuse entre le monde de la recherche, le monde politique et la sphère administrative. Mais ces exemples sont trop rares, alors même que l'analyse des statistiques des délinquances doit constituer une source d'information essentielle pour le décideur public.
Les propositions que mon collègue Jean-Yves Le Bouillonnec et moi-même formulons tendent à renforcer les interactions entre des mondes, des organismes et des administrations qui, aujourd'hui, s'ignorent trop. Cette méconnaissance réciproque nuit à l'efficacité des politiques publiques en matière de sécurité. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons vivement que nos préconisations, aussi ambitieuses que nécessaires, ne restent pas lettre morte et fassent l'objet d'une mise en oeuvre concrète et rapide, à court ou moyen terme. C'est par cet appel du 24 avril que je conclus les travaux de cette mission ! J'insiste également sur la nécessité d'assurer la continuité statistique et de mettre en oeuvre les 15 propositions que nous formulons qui, nous l'espérons, seront les « 15 qui gagnent » !