La proposition de loi que nous examinons ce matin a été adoptée par le Sénat le 27 février, à l'initiative du groupe communiste, républicain et citoyen. Elle a pour objet d'amnistier un certain nombre de faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives.
Elle se justifie par un contexte de crise économique exceptionnelle qui, remettant en cause notre modèle social, a suscité dans la société angoisse et souffrance ; celles-ci se sont parfois traduites par des manifestations ou des actions au cours desquelles des infractions ont pu être commises. C'est à cette souffrance et à cette angoisse, exprimées par ceux qui luttent pour leur emploi, pour leur dignité et pour leur survie, que ce texte portant amnistie entend répondre.
L'amnistie s'inscrit dans une tradition républicaine de réconciliation nationale par l'oubli et le pardon des fautes commises. Parmi les lois d'amnistie qu'a pu connaître notre pays, les plus connues sont les lois d'amnistie dites « présidentielles », mais il ne faut pas oublier les très nombreuses lois d'amnistie ponctuelles qui ont été votées pour effacer les séquelles d'événements douloureux.
Depuis 1895, une loi d'amnistie a été votée tous les deux ans environ, dont vingt-six depuis 1947 et seize depuis le début de la Cinquième République, auxquelles il faut ajouter neuf lois qui, sans avoir l'amnistie pour objet principal, comportaient des mesures en ce sens.
Plusieurs de ces lois, en particulier les lois d'amnistie dites présidentielles, ont amnistié des infractions en raison des circonstances de leur commission, parmi lesquelles les mouvements sociaux ont toujours figuré. Ainsi l'article 3 de la loi d'amnistie du 6 août 2002 disposait : « Sont amnistiés, lorsqu'ils sont passibles de moins de dix ans d'emprisonnement, les délits commis […] à l'occasion de conflits du travail ou à l'occasion d'activités syndicales et revendicatives de salariés, d'agents publics et de membres de professions libérales, y compris au cours de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics ; […] les délits en relation avec des conflits de caractère industriel, agricole, rural, artisanal ou commercial, y compris au cours de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics. ».
Certains objecteront que ces lois relèvent d'un temps révolu, arguant du fait que les deux présidents de la République élus en 2007 et 2012 n'en ont pas fait voter. Mais il importe ici d'en rappeler les raisons : d'une part, ces amnisties présidentielles étaient devenues trop prévisibles, ce qui avait des conséquences dommageables pour la sécurité routière, certains conducteurs se montrant moins respectueux du code de la route à l'approche de l'élection ; d'autre part, l'amnistie était aussi utilisée comme un outil de régulation de la surpopulation carcérale, ce qui n'était évidemment pas satisfaisant.
Ces constats n'invalident en rien le principe même de l'amnistie : celui de l'oubli et du pardon républicains, que les représentants de la Nation doivent savoir accorder lorsque la situation sociale le justifie.
Le Sénat a défini de manière très stricte les conditions dans lesquelles il sera possible de bénéficier de la présente loi. L'amnistie prévue porte en effet sur une liste limitée d'infractions, à savoir les contraventions et les délits contre les biens, le délit de diffamation et le délit de menaces, sauf s'il a été commis à l'encontre d'une personne dépositaire de l'autorité publique. Pour pouvoir être amnistiées, ces infractions devront avoir été commises entre le 1er janvier 2007 et le 1er février 2013 ; être passibles d'une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans ; enfin, avoir été commises soit à l'occasion de conflits du travail ou à l'occasion d'activités syndicales et revendicatives de salariés ou d'agents publics, soit à l'occasion de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux, relatifs aux problèmes de logement.
Je précise dès maintenant qu'une erreur de rédaction a conduit à viser les activités syndicales « ou » revendicatives, au lieu des activités syndicales « et » revendicatives comme dans les lois d'amnistie antérieures : cette erreur, que je proposerai de rectifier, aurait pu avoir pour conséquence d'amnistier des délits financiers commis dans le cadre de la gestion de syndicats, ce qui n'est pas l'esprit de la proposition de loi.
Le champ des infractions amnistiables a été beaucoup restreint à l'initiative du groupe socialiste du Sénat. En effet, la proposition de loi initiale prévoyait d'amnistier toutes les contraventions et tous les délits, y compris contre les personnes, dès lors qu'ils étaient punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure à dix ans. Certaines circonstances de commission des infractions ont en outre été exclues du champ de l'amnistie – ainsi bien plus limité que celui que couvrait l'article 3 de la loi du 6 août 2002. Ainsi ne seront pas concernés les activités syndicales et revendicatives des professions libérales et des exploitants agricoles, et les mouvements collectifs liés aux problèmes de l'éducation, de la santé, de l'environnement et des droits des migrants.
La proposition de loi prévoit également, comme le faisaient les lois d'amnistie antérieures, une amnistie disciplinaire au bénéfice des salariés et des agents publics.
Ainsi replacé dans la perspective des lois d'amnistie antérieures, le texte dont notre assemblée est saisie me semble équilibré et raisonnable ; le restreindre davantage reviendrait à adopter une coquille vide.
Le texte adopté par la Haute assemblée est le fruit de la recherche d'un point d'équilibre, comme la garde des Sceaux l'a reconnu au cours des débats, même si elle s'en est finalement remise à la sagesse des sénateurs. Je propose de conserver cette logique d'équilibre, à savoir : la définition du champ de l'amnistie par une liste précise d'infractions, sa limitation aux délits punis de cinq ans d'emprisonnement au maximum, et la restriction des circonstances ouvrant droit à l'amnistie aux conflits du travail, aux activités syndicales et revendicatives de salariés ou d'agents publics et aux problèmes liés au logement, c'est-à-dire à des circonstances directement liées à la crise économique qui touche notre pays.
Les modifications que je propose s'inscrivent dans cette recherche du juste équilibre.
D'un côté, je proposerai à l'article 1er un léger – et logique – élargissement du champ des infractions amnistiables : il s'agirait, premièrement, de faire entrer dans le champ de l'amnistie deux infractions moins sévèrement punies que celles qui y sont déjà incluses, mais qui sont fréquemment commises dans le cadre des mouvements sociaux, à savoir le délit d'injure et le délit d'entrave à la circulation routière ; deuxièmement, de rendre l'amnistie applicable à toutes les contraventions, à l'exclusion des violences, ce qui permettra de couvrir le déversement d'objets sur la voie publique, les menaces contraventionnelles ou encore la diffamation et l'injure non publiques.
De l'autre côté, je proposerai de préciser ou de restreindre le périmètre de l'amnistie sur deux points : à l'article 1er, je présenterai un amendement indiquant que, parmi les délits contre les biens, sont seuls amnistiés les délits de dégradation et de destruction, afin de mettre en évidence que l'amnistie ne concerne pas les délits de vol ou d'abus de confiance, par exemple ; à l'article 6, un autre amendement visera à définir de façon plus stricte les conditions du droit à réintégration des salariés ou des agents publics licenciés pour des fautes disciplinaires amnistiées : la réintégration serait écartée en cas de faute lourde, et son bénéfice limité aux représentants du personnel, afin de se conformer à la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi d'amnistie de 1988.
Sous réserve de ces quelques modifications, je vous invite à adopter ce texte équilibré, qui s'inscrit dans une longue tradition républicaine d'oubli et de pardon : vous enverrez ainsi à tous ceux qui, au cours des dernières années, ont dû se battre pour tenter de sauver leur emploi et leur avenir, un message de soutien et d'espoir.