La présente proposition de loi a pour objet de supprimer le mot « race » de la législation française. Ce concept scientifiquement aberrant a servi de fondement aux pires idéologies et a provoqué la mort de millions de personnes ; il n'a pas sa place dans notre ordre juridique, même si c'est pour condamner toute discrimination fondée sur une prétendue « race ».
Sa suppression ne fera évidemment pas disparaître le racisme. Elle ôtera toutefois au discours raciste la forme de légitimation de l'existence des races qu'il peut tirer de la présence même du mot dans notre législation. Employer le mot « race », même si c'est pour prohiber les discriminations, n'est-ce pas admettre implicitement son existence ? Le code pénal fait référence à l'appartenance, « vraie ou supposée, à une race » – mais qu'est-ce que l'appartenance vraie à une race ?
La biologie et la génétique nous enseignent que la race humaine est une. Le droit ne doit pas employer la langue des préjugés, au motif douteux que seule cette dernière serait compréhensible par le citoyen. Les mots ont leur importance : comme l'a écrit Albert Camus, « mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde ».
La suppression a été proposée à plusieurs reprises au cours des dix dernières années par mon groupe et par le groupe socialiste. En 2003, notamment, le groupe communiste et républicain obtint qu'une proposition de loi, très proche de celle-ci, soit discutée en séance publique, avec pour rapporteur notre ancien collègue Michel Vaxès. La suppression a été défendue par plusieurs d'entre nous, dont le président Urvoas, lors de la révision constitutionnelle de 2008. Plusieurs membres du Gouvernement actuel – notamment le Premier ministre, la garde des Sceaux, le ministre de l'Intérieur et le ministre des Outre-mer – l'ont également proposée lorsqu'ils siégeaient sur les bancs de l'opposition. À chaque fois, ces initiatives ont été repoussées par la majorité de l'époque : à l'en croire, elle en partageait l'objectif, mais ce n'était jamais le bon moment pour agir.
Le président de la République ayant pris l'engagement de supprimer le mot « race » de notre Constitution, j'ai de bonnes raisons d'espérer que ce terme pourra, enfin, être dans un premier temps supprimé de notre législation. À défaut, il s'agirait d'un reniement que rien ne pourrait justifier.
L'histoire du concept de « race » en droit français révèle la profonde ambiguïté du terme. Dans un premier temps, celui-ci a servi de fondement aux discriminations racistes ; il sous-tendait, de facto, toute la législation coloniale. S'il n'apparaissait pas expressément dans le « code noir » élaboré par Colbert et promulgué en 1685, il y allait de soi que l'esclave était noir. La seconde version du « code noir », promulguée en 1724, citait d'ailleurs expressément les « esclaves nègres », par opposition aux « blancs ». C'est cependant sous Vichy que la race devint une catégorie juridique en droit français, avec le statut des juifs de 1940.
Après 1945, heureusement, le mot n'a plus été employé que pour prohiber les comportements racistes. C'est subrepticement qu'il a été introduit dans le préambule de la Constitution de 1946. Les travaux préparatoires, que j'ai étudiés, montrent en effet que l'amendement initial, proposé par Paul Ramadier, prévoyait d'inscrire « sans distinction de sexe, de religion ni de croyance ». C'est après une suspension de séance que le mot « sexe » a été remplacé, sans explication, par celui de « race » ! De même, en 1958, la formule ne figurait ni dans l'avant-projet établi par le Gouvernement, ni dans les avis du comité consultatif constitutionnel et du Conseil d'État ; ce n'est qu'in extremis, sans que l'on sache si cet ajout donna lieu à un débat, que le mot « race » fut inséré par le Conseil des ministres à l'article 2, devenu l'article 1er en 1995.
Aujourd'hui, le mot « race » ou ses dérivés apparaissent dans la partie législative de neuf codes – tels que le code pénal, le code de procédure pénale, le code du travail ou le code du sport – et dans treize lois non codifiées. Au total, cinquante-neuf articles sont concernés. C'est évidemment l'ensemble de ces textes qu'il convient de « toiletter », et non les seuls articles visés par la proposition de loi.
Bien entendu, la suppression du mot « race » de notre législation ne doit en rien diminuer l'efficacité de la lutte contre le racisme. Sur ce point, la proposition de loi, dans sa rédaction actuelle, pourrait faire problème. Elle supprime en effet purement et simple les termes « race » ou « racial » des dispositions où ils étaient accompagnés des mots « origine » ou « ethnie » ; dans celles où ce n'était pas le cas, il était proposé de substituer le mot « ethnie » au mot « race » ou l'adjectif « ethnique » au mot « racial ». J'estime que cette option comporte un risque – certes faible – de créer un vide juridique, dès lors que ni l'origine ni l'ethnie ne sont des synonymes de « race ».
Après avoir consulté de nombreux experts de la lutte contre le racisme, aussi bien dans le secteur associatif que parmi les professeurs de droit, je vous propose de substituer le mot « raciste » au mot « racial ». L'« incitation à la haine raciale » deviendrait ainsi « l'incitation à la haine raciste », les « persécutions raciales », des « persécutions racistes », les « discriminations raciales », des « discriminations racistes », etc. Cette solution ferait disparaître toute idée de légitimation de la notion de « race », tout en garantissant parfaitement la sécurité juridique grâce à une substitution juridiquement neutre : tous les comportements racistes incriminés par la législation actuelle le resteront – les services de la Chancellerie me l'ont confirmé. Politiquement, le message est clair : les races n'existent pas, le racisme, si, et la France le combat fermement. Juridiquement, l'état du droit n'est pas altéré.
Dès lors qu'un substitut adéquat a été trouvé, les arguments que la majorité d'hier opposait à la suppression tombent. Il n'y a aucun risque de créer un « vide juridique » dans la lutte contre le racisme, et il n'y en a pas davantage que notre droit devienne incompatible avec le droit international et européen. Certes, au sein de ce dernier, beaucoup d'instruments mentionnent le mot « race » : ainsi les pactes internationaux de 1966 relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et la Convention de Genève de 1951. Mais tant que la France continuera de réprimer les comportements racistes, elle respectera ces textes, puisque ni le droit international, ni le droit européen n'imposent d'en reprendre les termes exacts : seul importe le résultat.
Certains suggèrent d'attendre que le mot « race » soit supprimé de l'ensemble de ces instruments avant de réformer notre droit : il s'agit bien évidemment d'un prétexte. C'est au contraire en faisant preuve de volontarisme que nous convaincrons nos partenaires de la nécessité d'une telle suppression. La France s'honorerait en menant ce combat dans les enceintes internationales et européennes. Si elle avait attendu que la peine de mort soit abolie dans tous les autres États, elle la pratiquerait encore !
Je précise, pour terminer, que je ne suis pas partisan d'une suppression du mot « race » du Préambule de la Constitution de 1946. Contrairement à la Constitution de 1958, qui doit s'adapter aux évolutions de notre société, le Préambule de 1946 est en effet le reflet de principes affirmés à une date donnée : il serait anachronique de le retoucher. Si l'on allait jusqu'au bout de cette logique, il faudrait supprimer, au nom de la laïcité, la référence à l'Être suprême dans le préambule de la Déclaration de 1789 ! En revanche, il serait nécessaire de réviser l'article 1er de notre Constitution – je regrette que cela ne soit pas prévu par les projets de loi constitutionnelle qui nous ont été présentés. Toutefois, rien ne s'oppose à ce que nous commencions par supprimer le mot de notre législation, et que nous procédions ultérieurement à une révision constitutionnelle.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à adopter la présente proposition de loi, sous réserve qu'elle soit modifiée par les amendements que je vous soumettrai. La majorité d'aujourd'hui doit se montrer fidèle aux engagements qu'elle a pris lorsqu'elle était dans l'opposition, et traduire ses discours en actes. Ne reportons pas une énième fois, sous de mauvais prétextes, une réforme humainement nécessaire, que nous souhaitons tous !