Intervention de Marcel Bonnot

Réunion du 24 avril 2013 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarcel Bonnot, rapporteur :

Comme Mme la Rapporteure vient de le dire avec beaucoup de conviction et d'objectivité, nous avons essayé de laisser nos états d'âme de côté et d'aborder cette mission en nous dégageant de toute idée préconçue.

Ce rapport recèle un nombre important de propositions sur lesquelles nous nous accordons. Nous sommes d'accord sur la nécessité de revoir les modalités d'élection des juges consulaires, leur formation et leur déontologie.

Nous partageons également le même point de vue s'agissant de la nécessité de renforcer la présence du parquet aux audiences commerciales, qu'elles concernent le contentieux général ou les procédures collectives. Représentant de l'ordre public, le parquet doit apparaître comme la sentinelle du droit dans toutes les audiences.

C'est un socle de propositions important. Si nous réformons les modalités d'élection, la formation initiale et continue des juges consulaires, mais aussi la formation des magistrats professionnels – qui, depuis l'avènement de l'École nationale de la magistrature (ENM), ne se sont guère frottés à la matière économique et financière, car c'était perçu comme une forme de péché –, nous aurons fait, je le pense, la quasi-totalité du parcours de nature à donner un nouveau visage à la justice commerciale. Nous aurons ainsi doté les tribunaux de commerce de l'objectivité et de la sécurité que l'on est en droit d'attendre de toute juridiction.

Parmi les autres points de convergence figure la nécessité d'envisager, après une étude d'impact et une large concertation, une rénovation du maillage territorial des juridictions commerciales. Aujourd'hui, le pays est parsemé de 134 tribunaux de commerce dont les configurations varient selon les bassins d'emploi au sein desquels ils sont situés, si bassin d'emploi il y a.

Nous sommes aussi d'accord pour réformer les modalités de rémunération des administrateurs et mandataires judiciaires afin de mieux les corréler au résultat obtenu. La profession ne semble pas hostile à cette proposition. Il faut garder à l'esprit qu'il s'agit de professionnels qui bénéficient d'une formation particulièrement pointue et qui exercent avec un statut libéral et un personnel qualifié. Ils ont des charges et des structures à faire vivre. Il ne faut pas perdre de vue que, sur 60 000 procédures collectives, près de 20 000 sont impécunieuses. Au sein des 40 000 procédures restantes, les fortunes sont diverses. Il faut donc se méfier de la caricature. Mais je crois que la proposition que nous faisons procède d'une démarche bien comprise.

Nous sommes également d'accord pour faciliter la procédure de dépaysement qui existe aujourd'hui en matière de procédures collectives en ouvrant aux parties, et notamment au débiteur, la possibilité de demander sa mise en oeuvre au premier président de la cour d'appel ou de la Cour de cassation. Ce dernier devra désigner la juridiction de renvoi après avoir sollicité l'avis du parquet et du président du tribunal de commerce initialement saisi.

Nous sommes enfin d'accord sur la création de pôles spécialisés ayant compétence exclusive pour connaître de procédures collectives ouvertes à l'encontre d'entreprises dépassant certains seuils en termes de chiffres d'affaires, de total de bilan et de nombre de salariés. La mise en place de ces pôles spécialisés permettrait de mettre fin à certaines suspicions ou inquiétudes, liées notamment à la façon dont des procédures collectives peuvent être menées devant des juridictions commerciales qui ne sont pas toujours armées pour faire face à la technicité de procédures affectant des entreprises d'une certaine importance. Il ne s'agit pas là d'un reproche mais d'un constat. La localisation de ces pôles spécialisés devra être définie en cohérence avec celle des bassins d'emploi.

Comme vous le voyez, il a existé, au cours de cette mission, une grande communauté de vues entre votre rapporteure et votre co-rapporteur. Il subsiste toutefois quelques points de divergence, notamment pour ce qui concerne la composition des formations de jugement au sein des pôles spécialisés en matière de procédures collectives. Pour ma part, j'estime que ces formations de jugement doivent être composées exclusivement de juges consulaires en première instance et exclusivement de magistrats professionnels en appel. La constitution de ces pôles spécialisés va faire appel à des juges consulaires particulièrement rompus au monde de l'économie, de la finance et du commerce. Les magistrats professionnels ne sont pas rompus à ce genre de procédures. Pourquoi faire compliqué quand il est possible de faire simple et efficace ? Dès lors que la formation du juge consulaire aura été améliorée par la mise en oeuvre de nos propositions, dès lors que la qualité de ce juge sera garantie non seulement par sa formation, mais aussi par ses modalités d'élection et par ses obligations déontologiques, et dès lors, enfin, que la présence du parquet, véritable sentinelle du droit, sera assurée, pourquoi adjoindre un magistrat professionnel aux formations de jugement des pôles spécialisés ?

Quant aux formations de jugement des pôles spécialisés appelées à connaître des appels, je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'elles soient exclusivement composées de magistrats professionnels. Il faut préciser qu'une infime partie des contentieux des procédures collectives va jusqu'à l'appel.

De la même façon, nos appréciations divergent sur les procédures en matière de contentieux général. Je ne souhaite pas que le dépaysement devienne systématique dans le cadre de ce contentieux. Le droit positif, et plus précisément l'article L. 111-8 du code de l'organisation judiciaire, prévoit d'ores et déjà que le renvoi devant une autre juridiction peut intervenir pour cause de suspicion légitime. La possibilité ouverte aux parties d'obtenir le dépaysement de droit risque de jeter un soupçon de partialité sur les juges consulaires de façon permanente et illégitime. Nous avons constaté au travers de nos auditions que la justice commerciale était globalement rendue d'une façon satisfaisante. Peut-on en dire autant des autres pans de la justice ? Ma longue carrière d'avocat m'amène à être prudent, car il y aurait peut-être beaucoup à dire. On ne peut pas faire preuve d'une exigence exorbitante à l'égard des juges consulaires.

Nos points de vue divergent enfin sur la possibilité ouverte aux parties de demander à voir leur litige tranché par une formation de jugement mixte lorsqu'il présente une particulière complexité technique. À mon avis, il s'agit là d'une façon déguisée d'emprunter le chemin de l'échevinage – gros mot qu'il semble ne pas falloir prononcer. Avons-nous besoin de formations de jugement mêlant juges élus et juges professionnels en matière de contentieux général alors que ce dernier est, en grande partie, constitué de demandes de paiement de factures et d'interprétations de contrats ? Si un projet de loi reprend nos propositions tendant à garantir à la présence du parquet ainsi que celles relatives à l'élection, à la formation et à la déontologie des juges consulaires, ces derniers seront aussi compétents que des magistrats professionnels, s'ils ne le sont pas déjà. À quoi bon s'obstiner à promouvoir la mixité, si ce n'est par réaction face à une ou deux affaires qui ont pu défrayer la chronique ?

Je crois qu'il faut s'abstenir d'adopter des lois à chaque scandale. Nous l'avons fait par le passé. Mea culpa, mea maxima culpa ! Ces lois politiciennes cèdent à une forme de panique. Il faut rassurer. Je ne vois pas l'intérêt, pour le contentieux général, de s'orienter vers la mixité des formations de jugement, si toutes nos propositions relatives à l'élection, à la formation initiale et continue ainsi qu'à la déontologie des juges consulaires sont mises en oeuvre.

Les raisons de nos désaccords sont simples et claires, mais elles n'ont pas entamé l'ardeur que ma collègue et moi-même avons mise à mener notre mission avec une objectivité et une compréhension maximales et avec un seul objectif partagé : celui de permettre à la justice commerciale d'évoluer et d'allier à l'avenir sérénité et efficacité.

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