La question de la décentralisation touche en fait à tous les domaines compris dans mon portefeuille ministériel, d'abord parce que, à nos yeux, elle est un des moyens de moderniser l'action publique, et ensuite parce qu'elle a des incidences sur les trois fonctions publiques, nationale, territoriale et hospitalière. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons beaucoup travaillé en amont avec les syndicats.
Au départ, nous avions prévu un texte unique d'environ 80 articles, qui permettait de revoir la distribution des compétences entre les différentes collectivités à la lumière de trente ans de décentralisation. Ce contenu s'est ensuite alourdi à la suite d'échanges interministériels relatifs aux volets de la formation professionnelle ou des transports, et dans la mesure où, pour être transférée ou déléguée, une compétence doit avoir été au préalable décrite avec précision. Le 10 avril, le Premier ministre a donc finalement pris la décision de présenter le texte en trois parties.
Les dernières lois de décentralisation sont relativement récentes : l'une a été adoptée en 2004, l'autre en 2010. Je ne voulais donc pas proposer au Parlement un nouveau projet de réforme en courant le risque de devoir y revenir trois ou quatre ans plus tard. En effet, chaque nouvelle loi de décentralisation, chaque changement dans l'attribution des compétences entraîne, pour les collectivités territoriales, non seulement une charge importante, mais aussi des perturbations pouvant durer un ou deux ans, car elles ont tendance, pendant la préparation du projet, à réduire certaines de leurs activités dans l'attente de connaître plus précisément les dispositions qui les régiront. Or le redressement du pays, dans un contexte marqué par les difficultés économiques, passe par celui de tous ses territoires. Il est donc essentiel d'adopter rapidement ces trois projets de loi, sans avoir besoin de proposer une loi similaire dans quelques années. C'est pour cette raison que nous avons voulu faire confiance aux élus.
Cette confiance paraît d'autant plus nécessaire que les élus ont mal vécu les couvertures de magazines dénonçant le gaspillage de l'argent public qui résulterait de leur prétendu laxisme ou de leur nombre trop élevé.
Mais surtout, l'évaluation des politiques publiques – notamment en matière d'enseignement – montre qu'elles sont plutôt bien gérées par les élus locaux. Et dans la mesure où nous étions nombreux à vouloir rétablir la clause de compétence générale pour les départements et les régions, il était important de faire confiance aux élus pour répartir, non la charge des compétences, mais leur gouvernance. La clause de compétence générale fait donc partie des premiers points abordés par cette réforme, avec le principe de libre administration des collectivités territoriales, qu'il convenait de réaffirmer, et la reconnaissance de la diversité des territoires français.
Les territoires ne sont en effet pas de même nature : certains comprennent de très grandes villes, voire des « métropoles » ; d'autres sont situés en montagne ou sur le littoral. Il paraît donc difficile – et je le pense depuis longtemps – d'imposer partout la même gestion des compétences.
Pour cette raison, nous proposons que dans chaque région de France, une conférence territoriale réunisse autour d'une « même table » les présidents de l'exécutif régional, des exécutifs des départements et des agglomérations, et des représentants de communautés de communes rurales. Certains craignent que des conflits ne surviennent à cette occasion, mais un élu est, par essence, quelqu'un de raisonnable… (Sourires)
J'ai lu quelque part que l'on me trouvait trop bretonne, c'est-à-dire trop régionaliste. Il est vrai que je crois aux régions, mais je crois aussi à la force de l'État. Pour que la décentralisation fonctionne bien, il faut que l'État soit présent, et qu'il soit fort, car il est le garant de l'accès aux services et de l'égalité entre territoires. C'est une première raison de prévoir qu'il soit représenté à ces conférences.
La deuxième raison est que nous reconnaissons aux collectivités le droit de réclamer l'exercice de certaines compétences particulières : je cite toujours l'exemple de la gestion de l'eau, mais on pourrait également penser à des actions relevant de l'innovation technologique, de l'enseignement supérieur ou de la recherche. Or la délégation d'une compétence implique d'en analyser le contenu, d'évaluer les moyens à transférer et de définir les conditions d'une évaluation de la politique publique déléguée – car nous souhaitons que de telles évaluations soient également menées dans les territoires. Seul l'État est en mesure de faire tout cela, mais aussi de communiquer à l'exécutif souhaitant obtenir une délégation spécifique de compétence les éléments qui lui permettront d'éclairer ses choix.
C'est à dessein que je parle de délégation et non d'expérimentation, ce dernier mot prenant dans notre loi fondamentale un sens très particulier. En effet, une expérimentation ne dure que cinq ans : après ce délai, soit la compétence est transférée à l'ensemble des collectivités, soit elle est retirée à celles qui l'ont essayée. Au contraire, une délégation de compétence spécifique – liée à la montagne, par exemple – n'a pas, par définition, vocation à être étendue à d'autres territoires, a fortiori quand ils ne sont pas situés en zone montagneuse. Mais une telle délégation peut également correspondre à une demande des élus : ceux de Bretagne, en raison de la configuration géologique propre à la région, demandent ainsi depuis longtemps à exercer des compétences en matière de gestion de l'eau, tandis que d'autres conseils régionaux ne réclament rien de tel.
C'est donc bien l'expression « délégation de compétences » qui figure dès l'exposé des motifs du projet de loi, à côté de la notion de « conférence territoriale de l'action publique ». Le choix des termes est important : il n'existe, à nos yeux, qu'une action publique dans notre pays, mais celle-ci peut être transférée ou déléguée à la demande d'une collectivité. Il ne s'agit cependant pas d'une décentralisation « à la carte » : cette expression malheureuse, employée par des journalistes, a fait peur à nos fonctionnaires.
L'objectif de la conférence territoriale est de définir, dans le cadre d'un « pacte de gouvernance territoriale », des modalités d'organisation adaptées aux territoires. Par exemple, la région, qui se verra naturellement reconnaître un rôle de chef de file en matière de développement économique, peut choisir de conserver dans ses compétences tout ce qui concerne la stratégie économique, les filières, les liens avec OSEO ou les banques, l'aide directe, tout en confiant à un département ou une communauté d'agglomération la gestion de l'immobilier d'entreprise. Le conseil régional est en effet une administration de mission plutôt que de gestion. Mais un tel transfert doit faire l'objet d'un écrit signé par les parties et décrivant précisément la compétence concernée.
C'est ainsi, à mon avis, que nous devons progresser. Le monde change ; les technologies changent.