Intervention de Marylise Lebranchu

Réunion du 24 avril 2013 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'état, de la décentralisation et de la fonction publique :

Dans un entretien publié hier dans Les Échos, François Fillon a d'ailleurs fait de même, allant même jusqu'à préconiser la fusion des communes et des communautés de communes.

La nécessité de supprimer l'échelon départemental, c'est un cliché, véhiculé notamment par la presse. Pour ma part, j'ai voulu éviter tout a priori et vérifier la validité de cette affirmation.

Je constate tout d'abord que des allocations de solidarité aussi essentielles pour la vie du pays que le revenu de solidarité active ou les prestations attribuées aux personnes âgées ou handicapées sont prises en charge, à hauteur de 70 % de leur montant total, par les conseils généraux. Si nous supprimons les départements, nous devons donc nous poser la question de savoir qui en assurera le versement. Si c'est l'État, il faudra les financer par une augmentation de l'impôt sur le revenu ou de la CSG, ce qui augure des débats complexes. En outre, compte tenu du niveau de la première tranche d'imposition, cela reviendrait à exonérer une grande partie de la population qui, actuellement, participe – même pour une petite part – à la solidarité nationale via la taxe d'habitation.

Et si le versement doit être assuré par les intercommunalités, par exemple, sur quels critères s'opérera la répartition des crédits ? Nul ne le sait. Le nombre de personnes âgées ou handicapées en année n ? Ces chiffres sont appelés à évoluer en permanence.

Ensuite, que va devenir le patrimoine des départements, qu'il s'agisse du passif – emprunts contractés pour la construction de collèges ou de systèmes routiers, aides aux petites entreprises – ou de l'actif – une criée, par exemple ? À qui faudrait-il transférer un port de plaisance : à la commune sur laquelle il est installé, ou à l'une ou l'autre des intercommunalités qui en tirent bénéfice ? Je n'ai pas de réponse à toutes ces questions. Pour parvenir à les résoudre, il faudrait sans doute deux ou trois ans de travail et de négociations. Or, en période de crise économique, nous avons besoin de gagner du temps, pas d'en perdre.

De plus, l'étude réalisée en 2009 pour l'Association des départements de France montre que le transfert des personnels départementaux coûterait, dans un premier temps, 6 milliards d'euros sur l'ensemble du territoire français, dans la mesure où il faudrait réaligner tous les régimes indemnitaires. Le retour sur cette dépense n'interviendrait qu'au bout d'une dizaine d'années. De la même façon, la fusion entre Lyon et une partie du conseil général du Rhône coûtera plus cher dans un premier temps ; ce n'est qu'au bout de quelques années que l'on pourra observer une diminution des dépenses. La ville peut se le permettre, parce qu'elle est en bonne santé économique, mais on ne peut en dire autant de l'ensemble de la France.

C'est pourquoi je ne propose pas la suppression de l'échelon départemental. Au contraire, en plus de la fonction essentielle qu'il assume en matière de cohésion sociale, nous souhaitons lui faire jouer un rôle en matière de cohésion territoriale, ce qui lui sera plus aisé qu'à la région. Compte tenu des difficultés que connaît l'ATESAT, l'assistance technique fournie par l'État aux collectivités pour raisons de solidarité et d'aménagement du territoire, et de l'existence dans de nombreux départements de conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement – CAUE – ou d'agences spécialisées, telles que les agences d'urbanisme, il paraît naturel que les départements soient chargés d'assurer la cohésion et l'aménagement des territoires.

C'est d'ailleurs ainsi qu'il faut entendre l'expression « aménagement numérique » dans le projet de loi. Celle-ci ne renvoie pas aux grandes infrastructures, comme les réseaux de fibre optique, car selon moi, de tels aménagements doivent être réalisés à l'échelle régionale. Leur utilisation doit d'ailleurs être soumise à des péages, de façon à pouvoir financer les travaux d'adaptation rendus nécessaires par le développement technologique. De ce point de vue, nous devons tirer les leçons de la vente des concessions d'autoroute : ceux qui l'ont décidée hier admettent aujourd'hui qu'elle fut une erreur, parce qu'elle a privé notre système ferroviaire de la source de financement représentée par les péages.

En fait, l'aménagement numérique concerne plutôt le raccordement de la dernière maison du village le plus éloigné d'un noeud de connexion, là où l'opérateur privé n'ira jamais. Les départements sont déjà les collectivités qui participent le plus à ces dépenses ; nous souhaitons qu'ils poursuivent dans ce sens.

Je finirai par une question qui a fait beaucoup débat, celle du tourisme. Cette activité économique concerne tout le monde : il existe des comités régionaux, départementaux du tourisme, des offices communaux et intercommunaux de tourisme, etc. Le conseil régional souhaitera sans doute conserver une part de compétences en la matière – par exemple pour ce qui concerne l'image de la région ou les relations internationales. Cela fera probablement partie des éléments discutés dans le cadre du pacte de gouvernance territoriale, mais nous avons souhaité attribuer la compétence générale aux départements, dont certains, aujourd'hui, font plus que les régions en ce domaine, jusqu'à être identifiés comme des « objets touristiques ». Quant aux offices de tourisme, ils doivent devenir intercommunaux, car la multiplication de leur nombre est source d'importantes dépenses. Nous tenons tous à nos jolis petits prospectus, mais quel sens peuvent-ils bien avoir vus de Tokyo, de Shanghai ou de Singapour ? De plus, il est difficile pour une petite structure de développer un site internet ou d'attirer l'attention des grands voyagistes. Le tourisme est une forme d'industrie !

Il convient aussi d'accorder une place plus importante – et dans ce domaine, les départements ont un rôle à jouer – à ce que l'on a toujours – mal – appelé le « tourisme social », c'est-à-dire le tourisme s'adressant à des gens disposant de peu de moyens. Ce secteur peut connaître un développement comparable à celui de l'économie sociale et solidaire.

Sur ce dernier sujet, le projet de loi ne contient aucune disposition, dans la mesure où un texte consacré à l'économie sociale et solidaire sera présenté par Benoît Hamon au second semestre. Mais je suis persuadée que les coopératives, les mutuelles et les grandes associations représentent un énorme potentiel économique. Il existe des coopératives agissant dans la haute technologie, des associations présentes dans la recherche. La négociation du pacte de gouvernance territoriale sera donc également l'occasion de désigner un chef de file dans ce domaine.

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