Intervention de Bérengère Poletti

Réunion du 24 avril 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBérengère Poletti, rapporteure :

Après trois mois d'auditions et avec l'assistance de la Cour des comptes, la MECSS a en effet adopté hier, à l'unanimité, ce rapport sur les arrêts de travail et les indemnités journalières. Je souligne, à mon tour, le bon état d'esprit qui a régné au sein de la Mission et je souhaite en remercier notamment ses deux coprésidents.

Les dépenses occasionnées par les indemnités journalières du régime général sont loin d'être négligeables. Elles se sont élevées, en 2011, à 6,3 milliards d'euros pour la maladie et à 2,5 milliards pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, soit au total près de 9 milliards d'euros. Si on comptabilise, en plus, les indemnités journalières servies par le régime agricole et celui des indépendants, on atteint 9,5 milliards d'euros.

Ces dépenses sont très dynamiques : les seules indemnités journalières maladie du régime général ont progressé de 47 % entre 2000 et 2010, passant de 4,3 milliards d'euros à 6,3 milliards d'euros.

Cette progression résulte de plusieurs facteurs : le vieillissement de la population, la durée moyenne des arrêts maladie s'accroissant avec l'âge ; les mauvaises conditions de travail dans certaines entreprises, ce qui souligne encore l'importance de la prévention ; enfin, la densité des praticiens : plus les médecins sont nombreux, plus on constate un nombre élevé d'indemnités journalières.

En outre, 20 % des indemnités journalières sont prescrites par des praticiens hospitaliers, 60 % par des généralistes de ville et 20 % par des spécialistes.

A contrario, de mauvaises conditions économiques et un contrôle accru des assurés et des praticiens freinent le rythme des dépenses.

Au fil des auditions, la Mission a pu constater que la dépense était insuffisamment maîtrisée. Elle a relevé, également, que la réglementation des arrêts de travail liés à la maladie n'était plus adaptée aux évolutions du monde du travail et mériterait d'être simplifiée. Enfin, les contrôles exercés par l'assurance maladie, s'ils existent, sont trop peu sélectifs et souvent mal ciblés.

La Mission présente vingt-quatre préconisations afin de mettre en place un dispositif plus juste qui passe à la fois par une réglementation plus protectrice, privilégiant la santé au travail et la réinsertion professionnelle, et par l'amélioration de la couverture des salariés. Elle préconise aussi un contrôle plus efficace.

Trois points me semblent particulièrement importants : la connaissance partielle du coût total représenté par les dépenses d'indemnités journalières, la complexité et l'inégalité de la prise en charge des arrêts de travail et, enfin, les lacunes du contrôle.

La Mission a découvert avec étonnement qu'il lui était impossible de chiffrer le coût total des indemnités journalières. En effet, si les dépenses correspondantes versées par les régimes d'assurance maladie sont connues, il n'en est pas de même pour celles versées par les entreprises, soit au titre du dispositif légal de prise en charge partielle du salaire, soit au titre d'un accord de branche ou d'entreprise pour la prise en charge totale ou partielle du délai de carence. Ni les représentants des employeurs ni les sociétés privées de contre-visites médicales n'ont été en mesure d'avancer ne serait-ce qu'une estimation. Seule la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des affaires sociales nous a fourni une évaluation très approximative, d'environ 3 milliards d'euros.

Le montant des dépenses occasionnées par les congés maladie pris par les fonctionnaires des trois fonctions publiques n'est pas non plus estimé avec exactitude.

C'est pourquoi, il me semble nécessaire que les entreprises évaluent le montant des indemnités journalières complémentaires qu'elles versent à leurs salariés. La mise en place de la déclaration sociale nominative (DSN) pourrait constituer l'outil adapté à ce recensement. Mais cette formule soulève bien des problèmes techniques, notamment dans les petites entreprises.

En deuxième lieu, la complexité, l'hétérogénéité et l'inégalité de la réglementation des arrêts de travail nécessitent de simplifier et de rationaliser le dispositif.

Mise en place au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la réglementation des arrêts de travail n'a pas évolué en même temps que les conditions de travail. Au sein du secteur privé, pour les travailleurs salariés, deux conditions coexistent pour pouvoir prétendre au versement d'une indemnité journalière en cas de maladie : un plafond d'heures travaillées ou une durée minimale de cotisations. Ces deux conditions excluent une partie des salariés, notamment ceux travaillant à temps partiel ou en intérim, et qui pâtissent donc, déjà, d'une situation précaire. Ainsi, selon la Cour des comptes, 20 % à 30 % de la population salariée ne serait pas couverte.

Je propose donc de réfléchir à une extension de la couverture afin de l'adapter à l'évolution du marché du travail et de faire procéder, au préalable, à une évaluation de la dépense supplémentaire qui serait induite par cette extension.

Les contrôles sont indéniablement perfectibles : 90 % de ceux effectués par l'assurance maladie portent sur les arrêts maladie de plus de quarante-cinq jours.

Certes, les arrêts de longue durée pèsent lourdement dans les dépenses totales : 5 % des arrêts de plus six mois représentent 40 % des dépenses. C'est pourquoi la CNAMTS justifie cette orientation. Mais ces contrôles sont-ils vraiment utiles ? Les résultats donnent un faible taux d'avis négatifs, de 12 % à 15 %. En fait la majorité des arrêts – 76 % – est constituée d'arrêts courts de moins d'un mois. Je suggère donc d'élargir le champ des contrôles systématiques de l'assurance maladie aux arrêts courts, d'au moins sept jours. Néanmoins, pour être efficace, ce contrôle doit être ciblé.

La CNAMTS a mis en place un Observatoire local des indemnités journalières qui permet d'identifier les caractéristiques des arrêts de travail pour chaque caisse ainsi que leurs facteurs d'évolution. Nous avons notamment auditionné le directeur de la caisse primaire de Bayonne qui a expérimenté cet outil prometteur, car susceptible de définir au plus près les actions à entreprendre.

Sur la base de cet observatoire et d'une autre base de données interne à la CNAMTS, appelée DIADEME, laquelle permet de recouper des informations, l'assurance maladie pourrait cibler les arrêts courts nécessitant un contrôle. Cela implique l'instauration de « l'avis d'arrêt de travail en cinq clics », système de transmission informatique mis au point par la CNAMTS et permettant aux médecins d'envoyer directement à la caisse l'avis d'arrêt de travail. Seulement 10 % des praticiens ont actuellement recours à ce mécanisme. Je propose donc de rendre le procédé obligatoire et de l'inscrire dans la convention conclue entre l'assurance maladie et les médecins.

La CNAMTS a d'ailleurs commencé à s'orienter vers ce type de contrôle ciblé, en privilégiant le contrôle des arrêts itératifs. Au bout du quatrième arrêt, après trois arrêts de moins de quinze jours au cours des douze derniers mois, elle adresse un courrier au salarié pour le sensibiliser et pour l'avertir d'un éventuel contrôle. Les premiers résultats sont encourageants.

La Mission a également constaté que la coordination entre les acteurs du contrôle pourrait être largement améliorée. L'exemple le plus significatif réside dans les relations entre les services médicaux de l'assurance maladie et les sociétés privées de contre-visites médicales. Les employeurs versant des indemnités journalières complémentaires peuvent faire procéder à des contrôles par l'intermédiaire de ces sociétés privées. Si l'arrêt est considéré comme injustifié ou si le médecin contrôleur n'a pu procéder au contrôle, l'employeur peut suspendre le versement des indemnités complémentaires. Depuis 2009, une disposition prévoit que les médecins contrôleurs communiquent leurs résultats aux services médicaux de l'assurance maladie qui, de leur côté, peuvent procéder à un contrôle et interrompre, le cas échéant, le versement par l'assurance maladie des indemnités journalières. Dans la majeure partie des cas, l'assurance maladie ne considère pas ces résultats comme recevables, en raison soit de leur envoi tardif, soit de l'impossibilité qu'a eue le médecin contrôleur d'examiner l'assuré, n'ayant pu, souvent, pénétrer dans son domicile. Cette méfiance réciproque empêche toute complémentarité. Or une situation détectée par les sociétés de contrôle médical pourrait inciter les médecins conseils de l'assurance maladie à vérifier si l'arrêt de travail est justifié.

Je suggère donc qu'un protocole entre les organismes d'assurance maladie et les principales sociétés de contre-visites médicales soit élaboré et que les rôles et missions de chacun soit rappelés.

J'émets deux autres préconisations relatives aux contrôles initiés par les employeurs. La première consiste à élaborer, enfin, et à publier le décret d'application relatif aux formes et conditions de ce contrôle, attendu depuis 1978, soit presque quarante ans ! La deuxième vise à compléter la disposition législative relative au délai de transmission de quarante-huit heures, dont disposent les médecins contrôleurs pour communiquer aux médecins conseils leurs résultats, en incluant les week-ends, pour éviter que nombre de contrôles effectués le vendredi soient considérés comme irrecevables le lundi.

Au sein de l'assurance maladie, l'organisation duale entre le contrôle administratif et le contrôle médical ne facilite pas la coordination entre ces deux types de contrôles. Le premier, qui consiste notamment à vérifier la présence à son domicile de l'assuré, est effectué par la caisse primaire tandis que le contrôle médical qui, lui, vérifie l'appréciation faite par le médecin traitant de l'état de santé et de la capacité de travail de l'assuré, est exercé par les services médicaux. Moyennant quoi je préconise que tout contrôle de la caisse primaire constatant le non-respect d'une obligation administrative soit transmis au service médical afin de diligenter un contrôle médical.

Enfin, la réglementation applicable aux agents publics ne prévoit pas de contrôle par l'assurance maladie. Ce sont donc des médecins agréés, employés par des sociétés de contre-visites médicales, qui vérifient les congés maladie des fonctionnaires, si l'autorité hiérarchique le demande. Une expérimentation est en cours dans certains services de l'État, de manière obligatoire, et sur la base du volontariat dans des collectivités territoriales et des établissements de santé, consistant à faire contrôler certains congés maladie par les services médicaux de la CNAMTS. Même si les résultats sont décevants, les administrations auditionnées se sont déclarées favorables à une généralisation du dispositif.

Dans un souci d'équité, je suggère donc de généraliser le contrôle des congés maladie des fonctionnaires par la CNAMTS. Cela suppose bien sûr de réfléchir aux moyens techniques et humains nécessaires à la réussite de cette généralisation. Des effectifs supplémentaires seront nécessaires et les systèmes d'information des administrations et de la CNAMTS devront être adaptés. Je propose donc d'évaluer le coût de ces moyens supplémentaires.

D'une façon générale, ces vingt-quatre préconisations sont destinées à assurer une meilleure connaissance des coûts, une meilleure prévention et une meilleure couverture des assurés, enfin une simplification et une organisation plus efficace des contrôles.

Je tiens encore à saluer la qualité de l'aide apportée par la Cour des comptes et la bonne entente qui continue de régner à la MECSS.

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