Intervention de Annie Le Houerou

Réunion du 24 avril 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Le Houerou :

La multiplication des plans sociaux, des licenciements et des suppressions d'emplois nous donne, comme à vous, le vertige. Vous avez raison : il est impératif de réagir fortement pour enrayer ce processus. Cette situation est la conséquence d'un déficit de stratégie industrielle : l'État n'a pas su prendre, au cours des années passées, les décisions qui auraient permis à notre économie de s'adapter et à notre pays de préserver des emplois durables et non délocalisables.

Comme vous le soulignez, la composition des groupes est complexe et la marge de manoeuvre des filiales est faible. Cela rend plus difficile la caractérisation des licenciements économiques. De plus, la procédure du licenciement économique, censée protéger les salariés, est davantage utilisée par les entreprises pour renforcer leur compétitivité, dans l'intérêt des actionnaires. Elle sert à anticiper d'éventuelles difficultés, qui ne sont pas toujours avérées. L'annonce de plans sociaux ou de suppressions d'emplois permet parfois d'augmenter les cours de bourse et les dividendes.

Comme vous le relevez, le juge a été amené, à plusieurs reprises, à constater l'absence de difficultés économiques prévisibles et à requalifier le motif des licenciements. On peut citer, à cet égard, les affaires LU, Aubade ou Michelin.

Votre proposition de loi vise à anticiper les difficultés et à empêcher les licenciements économiques abusifs, c'est-à-dire dépourvus de cause réelle et sérieuse. Votre préoccupation est tout à fait légitime. Nous la partageons, mais souhaitons y apporter des réponses différentes.

François Hollande a pris devant les Français l'engagement suivant – c'est le trente-cinquième de ses soixante engagements – : « Je mettrai en place, en concertation avec les partenaires sociaux, la sécurisation des parcours professionnels, pour que chaque salarié puisse se maintenir dans l'entreprise ou l'emploi. Pour dissuader les licenciements boursiers, nous renchérirons le coût des licenciements collectifs pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs actions, et nous donnerons la possibilité aux salariés de saisir le tribunal de grande instance dans les cas manifestement contraires à l'intérêt de l'entreprise. »

Son élection à la présidence de la République et celle d'une nouvelle majorité à l'Assemblée ont changé la donne : nous avons adopté une nouvelle méthode, qui consiste à promouvoir le dialogue social et à le réintroduire au sein des entreprises, là où il avait disparu.

Tel a été le sens de la grande conférence sociale lancée en juillet 2012. La négociation entre partenaires sociaux a abouti à la signature de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, qui a été repris dans le projet de loi toujours en discussion et que l'Assemblée nationale a voté au début du mois d'avril.

Le projet de loi constitutionnelle relatif à la démocratie sociale adopté le 13 mars 2013 par le Conseil des ministres précise cette nouvelle approche, que l'on peut résumer ainsi : « la négociation sociale précède et inspire les lois sociales ». Le législateur est, certes, souverain en matière sociale, mais la loi doit être précédée d'une phase de consultation et, si les partenaires sociaux le souhaitent, de négociation.

La question des licenciements boursiers et de leur éventuelle interdiction a été largement débattue par l'Assemblée lors de l'examen du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi. À cette occasion, les principales dispositions de votre proposition de loi, monsieur Chassaigne, ont été reprises par des amendements du groupe GDR portant notamment sur l'article 13. Or tous ces amendements ont été rejetés en séance publique. Mais vous ne baissez pas les bras et avez décidé de présenter votre texte.

De plus, les partenaires sociaux ne se sont pas saisis de cette question dans le cadre de la négociation de l'accord du 11 janvier, alors qu'ils auraient très bien pu le faire. Cet accord est un texte de compromis et constitue une étape dans la sécurisation de l'emploi. Vous proposition de loi arrive à un moment où le projet de loi n'est pas encore définitivement adopté, ni a fortiori entré en vigueur. Il n'a donc pas pu encore porter ses fruits.

Or ce texte instaure déjà certains garde-fous. Il prévoit notamment le retour de l'État comme garant de la protection des salariés dans la procédure de licenciement économique. Ainsi, son article 13 prévoit qu'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) devra soit recueillir l'accord majoritaire des salariés, soit être homologué par l'administration, qui se voit ainsi confier une nouvelle responsabilité. Son article 14 oblige toute entreprise qui envisage la fermeture d'un de ses sites à rechercher un repreneur.

En outre, conformément au cinquante-cinquième engagement de François Hollande, les représentants des salariés seront désormais présents avec voix délibérative dans les conseils d'administration des grandes entreprises et participeront ainsi à la définition de leur stratégie. Cela permettra aux entreprises de mieux anticiper et de saisir à temps certaines opportunités. Une consultation sur les orientations stratégiques sera désormais obligatoire chaque année. L'entreprise devra tenir à jour une base de données relatives à sa stratégie, présentée de manière pédagogique et accessible en permanence aux représentants du personnel.

S'agissant du contrôle des aides publiques, notamment du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), le projet de loi de sécurisation de l'emploi instaure un droit d'alerte : il crée une procédure d'information et de consultation, au cours de laquelle le comité d'entreprise peut demander des explicitations avec l'appui éventuel d'un expert.

Tels sont les éléments qui devraient dissuader le recours aux licenciements boursiers. Nous faisons confiance à la négociation et au dialogue social au sein même des entreprises.

Enfin, nous devrions disposer très rapidement d'un deuxième outil pour prévenir les licenciements boursiers et les éventuelles dérives : le Gouvernement présentera prochainement un projet de loi sur la reprise des sites rentables, qui complétera le dispositif de sécurisation de l'emploi.

Notre économie est en pleine mutation et nos entreprises doivent s'adapter sans recourir systématiquement à des fermetures de sites ou à des licenciements. Cela nous impose de redéfinir notre conception des liens sociaux au sein de l'entreprise. Il convient de construire une culture de la confiance : elle seule nous permettra d'anticiper les évolutions, de préserver l'emploi et d'éviter les licenciements abusifs, en particulier les licenciements boursiers. Le groupe SRC n'est donc pas favorable à votre proposition de loi.

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