Ce n'est que la deuxième fois que je siège au sein de la commission des affaires sociales, mais je reste impressionné par la qualité des interventions de ses membres, quelle que soit leur appartenance politique. Vous avez tous eu la volonté de répondre sur le fond et d'argumenter sans balayer d'un revers de main une proposition de loi dont vous ne souhaitez pas forcément qu'elle soit appliquée en l'état, même si je constate que le diagnostic est partagé par la plupart d'entre vous.
Annie Le Houérou et Denys Robiliard m'ont fait grief de ne pas tenir compte d'une nouvelle conception du dialogue social, et Denys Robiliard, se fondant sur la décision du Conseil constitutionnel du 12 janvier 2002 relative à la loi de modernisation sociale, a même ajouté que cette proposition de loi était inconstitutionnelle. Certains aujourd'hui veulent que soit reconnue la primauté de la négociation sociale sur la loi ; en quelque sorte celle de la volonté syndicale sur la volonté générale. Pourtant, selon l'article 34 de la Constitution, les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale relèvent bien de la seule compétence du Parlement, et le Conseil constitutionnel considère « qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ». C'est donc le transfert de facto du pouvoir législatif aux partenaires sociaux qui est inconstitutionnel, et pas ma proposition de loi. Pour nous, la loi doit rester prédominante ; elle l'emporte sur des accords d'entreprise.
Madame Louwagie, la question de la définition du licenciement boursier se pose, vous n'avez pas tort. C'est précisément pour cela que les articles 1er et 2 de notre texte ne reprennent pas exactement la proposition de loi examinée par le Sénat le 16 février 2012. Alertés par les salariés de Sanofi, nous avons en particulier pris conscience de l'importance de tenir compte des « suppressions d'emplois boursières ». Des mesures alternatives d'accompagnement au départ, de mobilité, de retraite anticipée permettent ainsi de faire disparaître des milliers de postes pour tenter d'atteindre des taux de rentabilité toujours plus élevés – 25 % chez Sanofi – en jouant sur le coût du travail. Notre proposition de loi vise à battre en brèche ces stratégies financières des grands groupes.
J'en profite pour rappeler que même si nos propos peuvent parfois laisser penser que nous sommes des adversaires du monde de l'entreprise, nous ne voulons pas diaboliser les chefs d'entreprises qui travaillent sur nos territoires. Dans nos circonscriptions, nous connaissons bien les capitaines d'industrie qui dirigent les PME et qui ne cherchent qu'à préserver leur outil de travail, sauvegarder l'emploi de leurs salariés, et faire vivre nos régions. Ils sont eux-mêmes victimes d'un système qui les asphyxie car, lorsqu'ils sont sous-traitants, les donneurs d'ordre les poussent à travailler dans des conditions terribles et les amènent à rencontrer les pires difficultés. De fait, il y a une convergence objective entre leurs intérêts et ceux de leurs salariés, et nous ne les mettons pas sur le même plan que les multinationales. Croyez-moi, les chefs d'entreprises de ma circonscription ne considèrent pas mes propositions législatives comme des agressions !
Chaque mois, on compte actuellement près de 14 000 licenciements pour motif économique et près de 32 000 ruptures conventionnelles ! Ce dernier procédé est incontestablement instrumentalisé pour habiller des licenciements qui sont de fait imposés à des salariés affaiblis ou qui ne peuvent s'appuyer sur une organisation syndicale forte. Nous avons tous rencontré, dans nos permanences, des salariés qui ont dû signer une rupture conventionnelle sur le coin d'un bureau – elle leur était imposée, même si les pressions exercées pouvaient s'accompagner d'avantages financiers. Il faut donc abroger ce dispositif !
Monsieur Roumegas, nous verrons comment inclure dans le texte, le cas échéant par voie d'amendement, votre excellente proposition relative aux aides des collectivités locales. Plusieurs départements et régions ont déjà installé des commissions de contrôle de l'utilisation des fonds publics, et certaines régions se retournent contre des entreprises qui ne respectent pas leurs engagements alors qu'elles ont bénéficié d'aides publiques. De plus en plus, les régions interviennent pour renforcer le tissu économique local ; et dans ce domaine aussi, l'on constate des dérives. Il serait donc bon de réfléchir à une moralisation de l'attitude des collectivités locales, qui se font parfois concurrence en utilisant les aides pour attirer, un peu comme on se sert dans un rayon de supermarché, des entreprises implantées dans d'autres territoires qu'elles vident ainsi au profit du leur. L'Association des régions de France s'est penchée sur ce problème.
En ce qui concerne le protectionnisme européen, madame Besse, la proposition de loi ne contient pas toutes les dispositions envisageables, mais il faudrait de toute façon s'interroger sur le niveau auquel il convient d'instaurer des mesures de protection. Pour notre part, nous ne souhaitons pas ériger des murs autour de l'Union européenne, car l'économie mondialisée exige échanges, coopération et mutualisation. Réfléchissons à ce qu'impliquerait la démondialisation dont certains parlaient pendant la pré-campagne électorale et ne perdons pas de vue la réalité des échanges économiques, qui ne se satisfont pas de slogans. En revanche, la taxation des différentiels sociaux et environnementaux serait bienvenue, mais dans le cadre d'une coopération planétaire qui passe notamment par les échanges bilatéraux. Elle ne saurait être imposée par des mesures adoptées au niveau d'un seul État.
Enfin, j'ai écouté avec attention l'intervention de deux députées bretonnes, Annie Le Houérou et Isabelle Le Callennec. J'ai vu la semaine dernière le match entre Rennes et Saint-Étienne – dont je suis supporteur – et je me réjouis que dans vos réponses, mesdames, vous n'ayez pas botté en touche !