Intervention de Jean-Patrick Gille

Réunion du 17 avril 2013 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Patrick Gille, rapporteur :

Notre ambition était d'aboutir à un diagnostic partagé. Vous n'avez peut-être pas eu le temps d'examiner toutes les données chiffrées figurant dans le rapport, mais il est important de souligner qu'elles rendent du compte de manière complète du secteur. La première image que l'on a de l'intermittence du spectacle est celle de quelque chose d'assez confus ; on ne saurait pas « où l'on va ». En réalité, l'énorme travail consenti sur ce sujet ces dernières années donne une vision assez claire de ce qu'il en est. Je ne l'ai peut-être pas assez souligné dans mon propos liminaire : ce secteur professionnel est certes particulier, mais il s'est structuré comme les autres secteurs. J'ai insisté sur l'aspect conventionnel : pour le spectacle vivant, en effet, les règles sont bien établies et mon étonnement sur ce point a été très positif. Certes, on l'a rappelé, ce n'est pas encore le cas – et c'est peu de le dire – dans le secteur de l'audiovisuel où la situation est complexe et où l'on ne parvient pas à élaborer une convention collective. Les discussions sont en cours, en prenant en compte chaînes publiques, chaînes privées… Le secteur de la production cinématographique est, lui, sur le point d'aboutir à un accord. Un médiateur a été nommé pour avancer dans ce domaine qui ne relève pas de la compétence du législateur mais de celle des partenaires sociaux. Le secteur est donc particulier, mais j'ai la conviction que la situation progresse, l'exemple du spectacle vivant étant, à cet égard, encourageant.

Le secteur est professionnellement constitué, et économiquement important pour notre pays. Je donne cependant raison à Mme Annie Genevard, lorsqu'elle pose franchement la question : en connaît-on l'importance réelle ? Oui et non… On a une vision globale du poids économique que représente le secteur des métiers culturels, mais une mission de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des affaires culturelles est en cours pour mieux l'évaluer et argumenter sur cette question.

S'agissant du milliard d'euros de déficit cité par M. Patrick Hetzel à partir des travaux de la Cour des comptes, je précise que, si nous prenons en compte l'analyse de celle-ci, notre interprétation se place dans une perspective différente. J'ai préféré, en interrogeant l'Unédic, identifier le surcoût imputable aux règles spécifiques des annexes VIII et X de la convention d'assurance chômage. Vous semblez étonné que je m'interroge sur le « bon » niveau de déficit. C'est effectivement la question, que soulève d'ailleurs également la Cour des comptes qui critique et alerte sur le déséquilibre des comptes, mais ne propose pas la suppression du dispositif.

Le secteur du spectacle est un secteur économique à part entière. Certains considèrent le régime de l'intermittence du spectacle comme une forme de subvention individualisée privée. Se pose alors la question du montant que l'on est prêt à mettre dans le dispositif pour stimuler ou maintenir ce secteur important et en expansion. Il n'est pas sans intérêt de remarquer que le même rapport de la Cour comprend une étude sur les 300 millions d'euros versés aux buralistes en compensation de la baisse anticipée de leur pourvoir d'achat, lié à la baisse prévue de consommation du tabac. Le milliard d'euros versé aux entreprises de presse peut également être évoqué. Je ne dis pas que ces dépenses sont inutiles, mais je remarque que de nombreux secteurs bénéficient d'aides spécifiques. Pour aller au bout de mon raisonnement, permettez-moi de refaire un parallèle avec la construction automobile. Même si ce n'est pas la vision que l'on en a, elle n'en est pas moins aidée de façon similaire : les grands groupes ont largement recouru à l'intérim et aux contrats de professionnalisation, fortement aidés, pour embaucher des salariés sous une forme « permittente ». Les employés concernés travaillent six mois pour l'entreprise, puis la quittent pour les six mois suivants, pour revenir ensuite sur le même poste. Le dispositif est donc le même que pour les intermittents du spectacle mais n'est jamais abordé comme tel parce qu'il concerne un secteur industriel « en majesté », bien que, là aussi, la charge financière repose sur l'Unédic.

Je retiens des propos échangés que nous avons une approche mesurée, parce qu'il n'existe pas de solution simple. Mettre un terme au régime de l'intermittence du spectacle du jour au lendemain mettrait à terre toute l'économie de la création artistique, qui est une spécificité française très efficace. Si l'on maintient ce dispositif, on peut effectivement se demander sur qui doit peser la charge du financement des 320 millions d'euros. Elle est actuellement assumée par les salariés et les employeurs du secteur privé. Pour l'instant, on n'a pas trouvé mieux. Au-delà, on constate une diffusion croissante des oeuvres par voie numérique, sans qu'ait été, pour l'heure, défini un modèle économique satisfaisant. Si la mission de Pierre Lescure aboutit sur ce point et que l'on trouve ainsi une manne financière, faudra-t-il la consacrer à l'indemnisation du chômage ou au financement de la création ? Cette dernière solution me semble préférable.

Il convient aussi de rappeler que personne n'a voulu le régime de l'intermittence du spectacle. Il n'est pas issu des revendications de syndicats de salariés ou patronaux, mais est le fruit d'un « bricolage » qui a évolué et continuera d'évoluer. On m'a suggéré un « benchmarking », il est inutile : j'ai interrogé nos collègues européens sur cette question ; nous avons inventé, avec le dispositif de financement de l'intermittence, l'outil de l'exception culturelle française.

S'agissant de l'audiovisuel public, la situation est compliquée. L'audition de MM. Jean-Luc Hees et Rémy Pfimlin a montré que ceux-ci avaient clairement conscience des difficultés. Radio France a d'ailleurs réglé en partie la question : elle ne compte plus de techniciens en situation précaire. La situation de France Télévisions, soumise à des contraintes budgétaires et d'organisation de la production, est plus complexe. Les obligations que je suggère, comme celle de proposer aux salariés un contrat à durée indéterminée lorsque la durée de travail atteint 600 heures, ou la requalification du contrat en contrat à durée indéterminée lorsque la durée travaillée pour l'employeur atteint, de manière récurrente, 900 heures, sont des contraintes fortes qui leur sont destinées. Il faut cependant comprendre que la « permanentisation » permettra, aussi, de faire sortir un certain nombre de salariés du régime de l'intermittence du spectacle. Il s'agit d'engager un processus.

La question d'un éventuel rétablissement de la diffusion de la publicité en soirée pour accroître les recettes de France Télévisions nous a semblé relever de la seule commission des affaires culturelles et de l'éducation, nous ne l'avons donc pas abordée…

S'agissant des « matermittentes », il nous semble que le problème réside en une mauvaise interprétation des textes. Une circulaire est peut-être nécessaire pour en rappeler les principes, de même qu'une prise de position de la ministre chargée de la santé, mais cette situation, inadmissible pour nous tous, ne devrait pas nécessiter de mesure législative particulière.

S'agissant de la fraude et de la création d'une section spéciale de l'inspection du travail, M. Jean-Pierre Door l'a rappelé : en tant que secteur fortement employeur de main d'oeuvre, le spectacle figure parmi les cinq secteurs prioritaires de lutte contre le travail illégal. Je souhaite aussi insister sur la mission de contrôle de Pôle emploi qui est en train de se structurer. Avec l'ensemble des fichiers portant sur les contrats de travail des intermittents du spectacle détenus par Audiens et la Caisse des congés spectacles, la population concernée est parfaitement connue. Le croisement de ces données avec un dispositif de contrôle propre à Pôle emploi dont les agents sont désormais assermentés devrait rendre l'ensemble très opérant. L'accent doit cependant être mis sur le travail dissimulé, ce qui suppose que parallèlement au renforcement des contrôles, un travail pédagogique et positif soit entrepris à l'attention de tous les employeurs potentiels : par exemple, pensent-ils spontanément à s'adresser au GUSO ?

Notre collègue Élie Aboud s'est interrogé sur la responsabilité des « vedettes » concernant la précarité qui s'impose aux autres professionnels. Un travail doit être mené pour faire respecter les salaires conventionnels ; des textes existent et doivent être appliqués. Il serait important, à cet égard, que le GUSO rappelle lui-même, sur son site internet, les salaires minimaux conventionnels… Je rejoins M. Aboud dans son analyse et l'ai d'ailleurs souligné dans le rapport : la présomption de salariat est de plus en plus contournée par le recours au contrat de cession de spectacles.

Madame Isabelle Le Callennec, on ne peut parler de réflexion de l'Unédic en tant que telle : nous avons rencontré sa direction générale avec l'autorisation de son bureau, de même que les principaux partenaires sociaux qui gèrent cette instance, mais nous ne les avons pas encore informés de nos conclusions, pas plus d'ailleurs que les autres personnes auditionnées. Mais nous pouvons imaginer leurs positions à partir de nos travaux ; l'Unédic regroupe salariés et employeurs qui ne pensent pas forcément la même chose… Il convient en outre de distinguer le régime général d'indemnisation du chômage de celui des annexes VIII et X dont relèvent les intermittents du spectacle et qui sont issues de négociations entre partenaires sociaux interprofessionnels et non pas de branche. Il en résulte une situation assez complexe, que j'ai soulignée dans le rapport.

À la question de Mme Bérengère Poletti sur le benchmarking, je réponds que celui-ci a été vite établi, puisque, comme je l'ai déjà dit, le régime de l'intermittence du spectacle est tout à fait original. Comme je l'ai déjà indiqué, il a permis de créer une économie des festivals très importante pour les collectivités locales.

Pour ce qui concerne les questions budgétaires, bien que ce ne soit pas mon sujet, j'ai cru comprendre que, malgré la baisse des crédits du ministère de la culture, ceux alloués au spectacle vivant étaient maintenus. La mission a, en revanche, constaté, chez les syndicats d'artistes qu'elle a rencontrés, une vraie inquiétude concernant les baisses des subventions des collectivités locales. C'est ici un festival qui disparaît, là une représentation ou une exposition annulée. Tout le monde anticipe ces baisses, mais nous ne disposons pas d'un modèle économique qui permettrait de mesurer précisément leur impact à venir. La fin d'année risque toutefois d'être difficile. Des engagements ayant déjà été pris pour la saison d'été, une régulation ultérieure peut sans doute être attendue.

M. Jean-Pierre Door m'a interrogé sur les auto-entrepreneurs. Une circulaire du ministère de la culture du 28 janvier 2010 interdit purement et simplement le recours à l'auto-entreprenariat dans le secteur du spectacle, puisqu'il reviendrait à contourner la présomption de salariat qui bénéficie aux artistes. Je trouve que c'est plutôt une bonne chose.

M. Jean-Pierre Door a relevé, dans mon propos, une hésitation sur le thème de la fraude. Le problème du régime des intermittents ne se résume pas à une question de fraude. En revanche, il faut lutter contre le travail illégal ou dissimulé dans certains secteurs, dans lesquels il est devenu une « culture » à laquelle tout le monde participe en raison de l'intérêt que chacun y trouve. On constate en effet une forme d'alliance objective entre le salarié et l'employeur : le premier perçoit ainsi des revenus plus importants et le second y gagne également. Mais il s'agit en réalité d'un calcul à court terme qui spolie le salarié. Je souhaite parvenir, dans ces secteurs, par des explications adressées à tout le monde, à un changement profond de culture.

J'en viens à la remarque de M. François de Mazières qui invite à limiter les entrées dans le régime de l'intermittence du spectacle. Je ne partage pas son opinion. Bien que nous n'ayons pas rédigé un rapport tirant le bilan de la réforme de 2003, je constate que l'intention de l'époque était bien de diminuer les entrées. Mon propos est plutôt de favoriser les sorties « par le haut », pour employer une formule imagée. Il faut inviter les employeurs – et parfois même les salariés – à réfléchir sur leur intérêt à moyen terme, qui est d'aller vers un système d'emplois permanents. Pour résumer ma position, je défends le régime de l'intermittence du spectacle mais je ne souhaite pas qu'il devienne un statut pour ses bénéficiaires. Il faut qu'il y ait des possibilités d'entrée mais aussi de sortie, voire même des incitations à en sortir. De ce point de vue, le rapport, déjà dense, n'est que le point de départ d'une réflexion globale sur le coût des cotisations et sur la manière d'inciter les bénéficiaires du régime à le quitter pour un contrat à durée indéterminé.

Sur les expériences innovantes, le rapport cite des exemples de pluriactivité, en particulier dans le théâtre de rue qui, par une sorte de « boucle », réinvente la notion de compagnies en les installant dans des locaux éphémères, comme cela se fait dans mon département, à Tours. La plupart des membres de ces compagnies sont encore des intermittents mais on voit des permanents prendre en charge l'organisation. Il y a aussi des modèles économiques qui ajoutent au spectacle une part plus commerciale, même si le mot n'est pas très heureux, ou bien des activités d'enseignement, d'intervention ou de restauration, en ouvrant un bar ou un restaurant.

S'agissant des activités d'enseignement, je propose de porter de 55 à 80 heures le nombre d'heures d'enseignement pouvant être prises en compte au titre de l'annexe X, afin de permettre des interventions de deux heures par semaine dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, ce qui n'est pas possible pour le moment.

M. Bernard Perrut m'a interrogé sur la mise en oeuvre des préconisations du rapport. L'essentiel est renvoyé à la négociation entre les partenaires sociaux et le rapport n'avait que l'ambition modeste de poser un diagnostic utile à tous, en ayant le recul nécessaire pour que chacun puisse, dans les négociations à venir, y trouver des arguments et des éléments objectifs.

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