Intervention de Dominique Maillard

Réunion du 23 avril 2013 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Dominique Maillard, président du directoire de Réseau de transport d'électricité, RTE :

En matière d'électricité, nous développons aussi l'Europe de l'énergie – c'est un domaine où l'Europe n'a pas à rougir de son bilan. Il existe, aux États-Unis, cinq niveaux différents de très haute tension et trois zones très faiblement interconnectées entre elles. Même un pays de petite taille comme le Japon utilise deux fréquences différentes. L'Europe, de son côté, a réussi depuis soixante ans à harmoniser ses réseaux : nous échangeons depuis très longtemps l'électricité à 400 000 volts ou à 225 000 volts. Certes, il y a encore des progrès à faire, mais la situation est tout de même meilleure que dans d'autres régions du monde.

Sur le plan de la politique énergétique, on entend dire que nous sommes loin d'une intégration européenne parce que les Allemands, par exemple, ne font pas les mêmes choix que les Français. Mais quitte à être provocateur, je vanterai cette diversité des bouquets énergétiques qui permet la complémentarité. Elle nous conduit à effectuer des échanges, mais n'est-ce pas le but de l'Union européenne ? Au contraire, je serai inquiet le jour où tous les pays européens auront adopté le même bouquet énergétique. Je persiste à penser qu'il est plus intelligent de compter sur des panneaux solaires en Sicile et sur la biomasse en Finlande – d'autant qu'il ne reste plus tellement de forêt en Sicile. Les pays d'Europe sont diversifiés et chacun dispose de ses propres atouts, y compris sur le plan industriel. La France a développé l'énergie nucléaire et elle a acquis dans ce domaine un véritable savoir-faire, mais il n'y a aucune raison que tous les pays fassent le même choix. Ce n'est pas, à mes yeux, le critère d'une politique européenne. Les réseaux sont justement ce qui permet de valoriser la diversité, pour le gaz comme l'électricité.

J'en viens à la décentralisation énergétique. Il n'y a pas si longtemps, on utilisait à propos de l'Europe le beau mot de subsidiarité. Plutôt que de prôner la décentralisation – ou au contraire la centralisation –, je préfère considérer que certains sujets, y compris dans le domaine de l'énergie, sont traités plus efficacement à un certain niveau plutôt qu'à un autre. Si la construction d'un bâtiment à énergie zéro doit être envisagée au niveau le plus local, le zonage des énergies nouvelles relève évidemment du département ou de la région. Et d'autres sujets, comme les interconnexions, doivent être traités au niveau national, voire continental. Inversement, d'autres questions seraient plus naturellement du ressort des communes, qui témoignent depuis longtemps de leur implication. Peut-être est-il nécessaire de modifier la répartition des compétences.

M. Denis Baupin a posé une question que j'entends souvent, celle de l'impact de l'affectation de 50 % du capital de RTE au fonds de démantèlement des installations nucléaires. Sur l'activité courante de RTE, l'effet est nul. Cette opération ne signifie qu'une chose : en cas de dépense de démantèlement, EDF devrait se demander s'il conserve ces titres ou s'il les rend liquides. Selon la loi, ne peuvent être actionnaires de RTE que l'État, EDF ou un organisme public. En cas de nécessité, EDF pourra donc soit vendre les titres à ces derniers, soit remplacer sa participation dans RTE par une autre participation plus liquide.

Entre des stockages centralisés et décentralisés, ma préférence va vers un stockage réparti qui seul permettrait de faire une véritable économie de réseau. Un stockage centralisé – par exemple hydraulique gravitaire – nécessite de transporter l'électricité vers des barrages avant de la récupérer. Cela peut être une bonne solution, qui ferait surtout le bonheur de nos amis suisses. La France dispose d'environ 3 000 mégawatts de capacité dans des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), mais le potentiel de développement de cette technologie est faible dans la mesure où elle va rapidement se heurter à des exigences environnementales : il est difficile de noyer une vallée située dans une zone protégée. Il est également envisageable d'effectuer un stockage hydraulique avec un dénivelé moindre, à condition de bloquer pour cet usage des zones maritimes, ce qui semble difficile sur le littoral français.

La véritable alternative au développement des réseaux de transport, c'est, à terme, le stockage également réparti. À la limite, cela se traduirait par un stockage au pied de chaque éolienne. Ce serait une bonne solution, mais elle implique de développer certaines technologies à des coûts raisonnables.

Les schémas cités par M. Philippe Plisson – S3REnR, SRCAE – partent d'une bonne intention : répondre à la nécessité de planifier. Les investisseurs ont besoin de savoir où installer leurs équipements, et les opérateurs tels que RTE ou ERDF, de savoir où leurs réseaux doivent être renforcés. C'est pourquoi des procédures sont prévues pour consulter l'ensemble des acteurs. Dans ce domaine, nous essuyons les plâtres, ce qui peut expliquer certaines frictions. Les gestionnaires de réseaux font preuve de bonne volonté et sont attentifs aux besoins exprimés, mais un meilleur dialogue serait sans doute nécessaire.

Cela m'amène à la question de M. Jean-Jacques Cottel sur les délais de réalisation des ouvrages : ils ne tiennent pas tant aux problèmes de financement qu'au respect des procédures – qu'il faut absolument simplifier. Il n'est pas question de négliger l'avis des riverains, qui ont évidemment leur mot à dire. Mais il importe de comprendre pourquoi il faut huit ans, en France, pour parvenir à un résultat qu'au Danemark on atteint en trois ans et demi. Je le répète, ce pays n'a la réputation de négliger ni ses citoyens ni les questions environnementales. En fait, nous avons plus besoin de rationalisation des procédures que de simplification. Est-il utile de consulter trois fois la même commune à trois étapes différentes ? Pour peu que des élections aient eu lieu, portant une nouvelle équipe aux responsabilités, le même travail devra être répété. Nous devons donc organiser des enquêtes « valant pour », c'est-à-dire susceptibles de servir à différents usages ; cela nous permettra de gagner du temps.

Nous nous efforçons de respecter les délais de transmission d'une proposition technique et financière. En cas de dépassement, nous adressons à l'opérateur une notification en précisant les raisons. J'observe d'ailleurs que les dépassements excèdent rarement une quinzaine de jours. Il serait possible de les réduire en industrialisant le processus, mais il n'en demeure pas moins que nous devons respecter certaines dispositions.

M. Bertrand Pancher se demande si les objectifs visés par les différents scénarios de transition énergétique sont réalistes. Un ingénieur vous dirait que tous peuvent être atteints, mais ils ne le seront pas au même coût. Sans attendre l'issue du débat national, nous avons estimé que le coût du renforcement du réseau de transport à l'horizon 2025 serait compris entre 35 et 50 milliards d'euros. Cet écart de 15 milliards correspond à la plus ou moins grande intensité de la transition énergétique : plus grand sera le nombre de centrales déclassées, plus nombreux seront les moyens de production nouveaux, par nature localisés, et plus il faudra renforcer les réseaux.

En ce qui concerne l'approvisionnement de la Guyane en électricité, Mme Chantal Berthelot a bien conscience que ni moi, ni Mme Michèle Bellon ne sommes compétents pour lui répondre : celui-ci est assuré par un EDF-SEI, et je ne doute pas que ce dernier soit amené à analyser de façon détaillée les conditions de renforcement du réseau et l'adéquation entre offre et demande.

S'agissant du réseau électrique européen, il importe que la coordination entre les pays soit renforcée. Nous disposons déjà d'un certain nombre d'outils communs, comme Coreso, un centre de coordination régionale fondé par plusieurs pays d'Europe de l'Ouest. Il nous a permis d'anticiper et d'éviter certaines situations potentiellement dangereuses, dont vous n'avez heureusement pas entendu parler. Je rappelle que le dernier grand black-out a eu lieu il y a six ans. J'espère que nous n'en connaîtrons pas de nouveau avant un délai au moins aussi long, mais la tâche est difficile.

Les règles de partage d'infrastructures sont claires, monsieur Jean-Pierre Vigier. Nous devons laisser l'accès à tous les opérateurs ; en cas de congestion, une procédure d'enchères, prévue par la réglementation européenne, permet de réguler le système.

M. Alain Gest a également évoqué la simplification des procédures. J'ai parlé de rationalisation, mais on peut aussi envisager un système à cliquets dans la mesure où, en France, le dernier recours peut avoir pour effet d'annuler dix ou vingt ans de discussions. C'est ainsi que le Conseil d'État n'a pas autorisé la construction d'une ligne dans la région de Nice dont le projet avait demandé quinze ans de travail. Il en avait pourtant reconnu le caractère d'utilité publique, mais le tracé passait trop près des Gorges du Verdon : nous avons donc dû reprendre le projet à zéro. Bien sûr, il ne nous faudra pas autant de temps pour le relancer – la construction devrait commencer dans trois ans –, mais la réalisation coûtera plus cher et sera moins efficace. Dans d'autres pays, un recours juridique peut vous ramener quelques cases en arrière, mais jamais à la case départ. Ce serait une bonne idée de s'en inspirer.

Les énergies marines représentent un enjeu important. La France peut s'enorgueillir d'avoir fait partie des pays pionniers avec l'usine marémotrice de la Rance. Nous disposons également d'un important potentiel d'énergie hydrolienne, c'est-à-dire produite à partir des courants marins, qui a le mérite d'être très régulière et donc d'offrir, contrairement aux autres énergies renouvelables, une grande prédictibilité à très long terme : grâce au bureau des longitudes, il est possible de calculer la quantité qui sera produite le 22 avril 2047 à dix-neuf heures… Le potentiel disponible au large du Cotentin – environ 3 000 mégawatts, ce qui est considérable – pourra être exploité dans quelques années, mais cela nous oblige à renforcer le réseau. La ligne destinée à raccorder le réacteur de Flamanville n'y contribuera qu'en partie.

La question de M. Guillaume Chevrollier sur l'implantation des éoliennes est pertinente. Le choix de l'emplacement résulte d'un ajustement entre offre et demande. Nous mettons à la disposition des investisseurs des informations sur le potentiel de raccordement, mais ils restent libres de choisir d'autres sites d'implantation : soit en raison de la qualité du vent, soit parce qu'ils ont trouvé des terrains disponibles dont les riverains sont prêts à accepter de telles installations. Dans ce cas, nous leur indiquons les conditions de renforcement du réseau et les délais dans lesquels les travaux seraient effectués. C'est une des vertus des procédures de schéma de permettre le dialogue.

Enfin, monsieur le président, vous avez demandé notre avis sur les différents scénarios de transition énergétique, et je vous répondrai en tant que citoyen. Dans ce domaine, nous devons prendre en compte la dimension temporelle. Nous exprimons tous une certaine impatience à propos de la transition énergétique, que nous voudrions voir se réaliser immédiatement. Mais qu'il s'agisse de la production, du transport, de la distribution ou du stockage, rien ne peut être réalisé sans délai. Dès lors, il faut être conscient que les scénarios les plus ambitieux ne pourront être suivis qu'à un horizon plus éloigné. De nombreuses choses se passeront à l'horizon 2100 – il suffit de songer à tout ce que l'on ne pouvait pas imaginer il y a un siècle, lors du vote de la loi de 1906 sur les distributions d'énergie – mais, pour ce qui concerne les échéances plus rapprochées, nous devons nous montrer patients. Les scénarios les plus crédibles sont ceux qui ménagent une certaine concordance des temps.

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