Intervention de Michèle Bellon

Réunion du 23 avril 2013 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Michèle Bellon, présidente du directoire d'électricité Réseau Distribution France, ERDF :

M. Denis Baupin semble penser qu'installer des panneaux photovoltaïques dans le nord de la France permet de réduire la longueur des réseaux. Je ne peux pas laisser dire cela. Le photovoltaïque, c'est bien là où il y a du soleil, et dans la journée. Mais dans le Nord, l'hiver, à dix-neuf heures, cela ne marche pas. Il faut donc bien un réseau d'acheminement, ne serait-ce qu'en complément. Dès lors, davantage d'énergie renouvelable, cela signifie aussi davantage de réseaux.

M. Jean-Jacques Cottel l'a dit : grâce aux éoliennes, le département du Pas-de-Calais a un potentiel de production d'énergie trois fois supérieur au volume de sa consommation. Il faut donc créer de nouveaux postes sources, ce qui exige un délai de deux à cinq ans. Un poste source, c'est un transformateur en interface entre les réseaux de transport et de distribution : il en existe 2 200 en France. Nous avons prévu de lancer, pour la seule année 2013, la construction de dix postes supplémentaires dédiés exclusivement aux énergies renouvelables. Mais il s'agit d'infrastructures de grande taille, qui réclament des investissements importants – de 3 à 5 millions d'euros par poste – et de longues procédures. Nous devons donc être capables de faire preuve d'anticipation.

J'en viens à l'Europe de l'énergie. Du point de vue des producteurs d'électricité, il s'agit d'une construction récente et diverse. Dans certains pays, les distributeurs sont propriétaires des réseaux ; la péréquation n'existe pas partout ; dans deux pays, les compteurs sont en dehors du réseau de distribution ; quant aux bornes de charge des véhicules électriques, elles sont partout, sauf en France, incluses dans les réseaux de distribution. Les disparités sont donc importantes. En 2010, nous avons créé l'Association des distributeurs européens d'électricité – dont je suis présidente – pour mettre en commun notre expérience et grandir tous ensemble. Nous avons développé en commun des projets de réseaux intelligents qui font l'objet de subventions de la Commission européenne. L'Europe de l'énergie, pour nous, n'est donc pas seulement la normalisation et la standardisation, mais aussi un processus de comparaison de nos forces et de nos faiblesses qui doit nous emmener plus loin.

On nous a posé de nombreuses questions sur les investissements et les tarifs. J'ai dit que d'ici à 2020, nous avions besoin d'investir entre 40 et 45 milliards d'euros. Nous avons investi 3 milliards d'euros en 2012, mais les collectivités locales, de leur côté, ont apporté 750 millions. Au total, les investissements consacrés chaque année au réseau par le concessionnaire et les autorités concédantes sont de l'ordre de 4 à 4,5 milliards d'euros, l'essentiel étant assumé par ERDF. L'important, pour nous, est d'éviter les à-coups, les aléas, les fluctuations dans les investissements, qui doivent être réguliers, durables et représenter des volumes significatifs. Cela n'a pas toujours été le cas par le passé, puisque nous avons connu des périodes de sous-investissement.

Les deux tiers de ces investissements sont dits imposés. Notre réseau se développe, notamment pour raccorder les sites de production d'énergie renouvelable. Beaucoup pensent sa longueur stable et que nous avons seulement besoin de l'entretenir mais, en réalité, nous raccordons environ 450 000 nouveaux clients chaque année. Nos obligations de service public nous contraignent à raccorder chaque producteur qui en fait la demande dans les meilleurs délais.

Le tiers restant concerne les investissements de qualité, c'est-à-dire le renouvellement et la modernisation : mise en place de capteurs, d'équipements électroniques, de fonctions avancées de conduite, de logiciels permettant de mieux piloter le réseau et d'être plus réactifs en cas de défaillance. Ces derniers investissements connaissent une augmentation modérée et peuvent se traduire par un tarif raisonnable, acceptable par le consommateur.

Le problème, il est vrai, est que le tarif est défini par le régulateur sur une période de cinq ans au maximum – et même quatre ans actuellement. La dernière décision de la CRE en ce domaine a même été annulée par le Conseil d'État. Or nous souhaiterions programmer les investissements sur une période de dix ans, comme le fait RTE. Cela supposerait une visibilité sur les recettes et le nombre d'installations ou de clients à raccorder. Le tarif, aujourd'hui, ne donne pas une telle visibilité. La possibilité d'élaborer des programmes pluriannuels d'investissement et de sécuriser le développement du réseau est pour nous un enjeu important.

Nous souhaiterions également améliorer le dialogue avec les collectivités locales qui, bien plus qu'il y a dix ans, se préoccupent des questions énergétiques. Elles ont toute légitimité à le faire compte tenu du développement de la production décentralisée d'énergie, de l'émergence des véhicules électriques, de l'aménagement de nouveaux quartiers ou de lignes de tramway et de la construction de bâtiments à énergie positive. On m'a interrogée sur les conséquences de la décentralisation énergétique : elle est synonyme d'une concertation plus importante, d'un plus grand nombre de lieux d'échanges, de dialogue, d'arbitrage, destinés à confronter notre expérience technologique avec la très grande connaissance que les élus ont de leurs territoires. Je suis donc convaincu qu'il s'agit d'une démarche gagnant-gagnant, à condition de trouver plus de lieux pour travailler ensemble.

Beaucoup de questions portaient sur le compteur communiquant. Linky a été expérimenté sur 300 000 compteurs, entre mars 2010 et mars 2011. En septembre 2011, Éric Besson, le ministre chargé de l'énergie à l'époque, en a décidé la généralisation aux 35 millions de foyers de consommation. Dix-huit mois plus tard, l'opération est en suspens. Cette période a toutefois été mise à profit pour améliorer les performances de l'appareil, étudier les évolutions possibles avec les fabricants, et surtout dialoguer avec les consommateurs et les associations qui les représentent, car il y a eu, dans un premier temps, un déficit de communication.

Le compteur que nous sommes prêts à déployer permettra à l'utilisateur de connaître sa consommation en temps réel, et donc d'adapter ses comportements. Non seulement il pourra maîtriser sa consommation, mais il pourra participer aux opérations d'effacement lors des phénomènes de pointe que notre pays connaît souvent, notamment en hiver aux alentours de dix-neuf heures. Nous avons également beaucoup travaillé sur l'aspect domotique, si bien que le compteur dispose de toutes les fonctionnalités nécessaires pour permettre aux consommateurs non seulement d'être acteurs de leur consommation, mais aussi de piloter les équipements de la maison. Bien entendu, cet appareil convient aussi bien au monde rural qu'au monde urbain. Son expérimentation a été réalisée pour une part – 200 000 compteurs – dans la zone urbaine située au nord-ouest de Lyon, et pour une autre dans un très rurale de l'Indre-et-Loire.

Le budget, validé par l'expérimentation, est de l'ordre de 5 milliards d'euros. Son montant final dépendra toutefois de plusieurs paramètres, tels que l'éventuelle intégration d'un émetteur ou le rythme d'installation, sur une durée de cinq ou six ans ou sur une période plus longue. Il pourrait être plus élevé, mais l'expérimentation a permis d'en donner une estimation relativement précise. La pose – qui n'est que de la main-d'oeuvre – représente 51 % du total. Elle est plus chère en milieu rural, où un installateur ne pourra guère dépasser quatre ou cinq compteurs par jour, alors qu'en milieu urbain il est possible d'en installer vingt-cinq à quarante-cinq dans la même journée si l'on équipe un immeuble d'habitation. Le budget a été élaboré en tenant compte de ces paramètres.

La décision finale n'est toutefois pas encore prise, et il reste des interrogations relatives au financement, lui-même étroitement lié à la question de la sécurisation du monopole. L'objectif est que le remplacement des compteurs n'ait aucun impact sur la facture du consommateur, ce qui est tout à fait envisageable, dans la mesure où les économies dégagées viendraient compenser l'investissement. Par exemple, la possibilité d'intervenir à distance permet d'éviter 35 millions de kilomètres de trajets routiers, et le fonctionnement du nouveau compteur rend possible une importante réduction des pertes générées par le réseau. Mais pour que les économies permises par le nouveau matériel puissent amortir l'investissement réalisé pour l'installer, il est nécessaire de sécuriser le monopole.

Bien entendu, le recours aux compteurs intelligents va entraîner l'apparition de nouveaux métiers, souvent à forte valeur ajoutée : ingénieurs, gestionnaires de données, etc. Le simple déploiement de Linky permettra de créer environ 10 000 emplois par an pendant six ans. Ensuite, le développement des usages, la domotique, la maîtrise de la demande en généreront de nouveaux dans les filières d'électricité, d'électrotechnique et d'informatique. Cependant, la décision de généraliser l'installation de ces compteurs ne m'appartient pas. Elle serait, selon Mme Delphine Batho, prise avant l'été, de même que pour les compteurs de gaz. Il reste à résoudre la question du financement.

S'agissant des schémas régionaux de raccordement aux réseaux des énergies renouvelables, leur élaboration demande beaucoup de temps, d'autant qu'elle vient en aval de celle des schémas régionaux climat air énergie, également très longue. En outre, les S3REnR ne sont pas prescriptifs. Pour peu que des projets aient été déposés et des appels d'offres lancés durant leur élaboration, il peut arriver – cela a été au moins le cas dans une région – qu'ils deviennent obsolètes dès leur validation.

Les installations de biomasse ou de biogaz, les usines d'incinération de déchets sont depuis toujours raccordées au réseau. Ces technologies offrent généralement une bonne prévisibilité, puisque le temps nécessaire à la construction des installations suffit pour prévoir le raccordement. De plus, elles sont de petite puissance. Enfin, leur volume de production est relativement prédictible.

Pour finir, je rappellerai que nous sommes soumis aux lois de la physique. Les réseaux ont été construits à une époque déterminée, avec des marges de dimensionnement et à partir de prévisions en matière de développement du territoire qui ne permettent pas, aujourd'hui, d'accueillir toutes les énergies renouvelables. Bien entendu, nous allons nous adapter, mais nous avons besoin de temps. Le facteur temps compte autant que la capacité d'anticipation : plus tôt nous serons informés, et plus il y aura de chances que nous soyons au rendez-vous.

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