Effectivement madame la Présidente, le contexte dans lequel nous examinons ces accords change incontestablement la donne et leur confère une autre signification. Un accord historique de normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo a été signé vendredi dernier à Bratislava, sous l'égide de l'Union européenne en la personne de Catherine Ashton. C'est un succès diplomatique pour l'Union européenne auquel on ne s'attendait plus. Cet accord a reçu évidemment un accueil contrasté auprès des populations, particulièrement des Serbes du nord du Kosovo. Les 15 points du texte n'ont pas été rendus publics par l'UE, mais les Serbes vont notamment nommer le chef de la police régionale et auront la gestion des tribunaux, là où ils sont majoritaires, ce qui me semble ne pouvoir s'appliquer qu'à Mitrovica, tout en fonctionnant au sein des institutions légales du Kosovo. Les structures parallèles du nord du Kosovo seront démantelées et des élections municipales organisées au deuxième semestre.
Cet accord consolide la perspective européenne des deux Etats. Le Parlement kosovar a adopté une résolution affirmant son soutien et donner son aval à l'accord sur la normalisation des relations entre le Kosovo et la Serbie. Le Kosovo a obtenu du même coup un feu vert de la Commission européenne pour sa participation future à plusieurs programmes de l'UE, 22 exactement, en tant que partenaire privilégié. Le gouvernement serbe a avalisé l'accord et ordonné aux ministères de prendre les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre l'accord et poursuivre l'application des accords déjà existants avec les représentants des institutions de Pristina. Le Parlement serbe devrait donner son accord dès cette semaine. Lundi, la Commission européenne, respectant ses engagements, a immédiatement recommandé l'ouverture de négociations avec la Serbie pour une adhésion à l'Union et d'entamer des négociations en vue de conclure un accord d'association entre l'UE et le Kosovo.
C'est donc dans ce contexte plus optimiste, même si nous savons que l'application de l'accord ne sera pas simple, que je vais vous présenter les deux accords bilatéraux qui nous sont soumis.
La conclusion d'accords de réadmission des immigrés illégaux avec les pays tiers constitue l'un des volets de la gestion des migrations par les Etats de l'Union européenne. Ils tendent à faciliter la coopération entre les pays en matière de réadmission des personnes en séjour irrégulier sur le territoire de l'une ou de l'autre partie. Le principe selon lequel un Etat doit réadmettre ses propres nationaux résulte du droit international, mais la conclusion de ce type d'accord permet de mettre en place des procédures particulières et de couvrir le cas des conjoints, des enfants mineurs, des ressortissants d'Etats tiers ou des apatrides.
Le sommet de Thessalonique du 21 juin 2003 a annoncé l'engagement de négociations en vue de la conclusion d'accords de réadmission avec l'ensemble des pays des Balkans occidentaux. Pour ces pays, ces accords constituent – il faut le rappeler – une contrepartie à la libéralisation du régime des visas. Le Conseil de l'Union européenne a autorisé, le 13 novembre 2006, la Commission à entamer les négociations. Ces négociations ont abouti le 18 septembre 2007 à la signature notamment de l'accord avec la Serbie, qui a été adopté le 8 novembre 2007 par le Conseil.
Cet accord UE-Serbie est aujourd'hui en application. Il prévoit que les obligations de réadmission sont établies sur la base d'une réciprocité totale s'appliquant aux ressortissants nationaux, ainsi qu'aux ressortissants des pays tiers et aux apatrides. Les accords concernent les ressortissants de l'État requis, mais aussi tout individu qui s'est rendu illégalement dans l'État requérant à partir de l'État requis. Les obligations de réadmission couvrent également les enfants mineurs célibataires ainsi que les conjoints qui ont une nationalité autre que celle de la personne à réadmettre et qui ne disposent pas d'un droit de séjour autonome dans l'État requérant. Un protocole d'application a été conclu par la France avec la Serbie, qui fait l'objet du projet de loi n° 92.
La conclusion d'un accord de réadmission avec le Kosovo obéit à la même logique. En l'absence de négociations par la Commission d'un accord de réadmission avec ce pays, la France a décidé de conclure directement un tel accord– sur le même modèle que les accords européens –, accompagné d'un protocole d'application. Il a été signé à Priština le 2 décembre 2009. L'accord et son protocole font l'objet du projet de loi n° 91.
Les deux projets de loi contribuent ainsi à la sécurisation juridique des procédures de réadmission entre la France et, respectivement, la Serbie et le Kosovo, ces deux pays pratiquant déjà depuis plusieurs années la réadmission de leurs nationaux et de certains ressortissants d'Etats tiers. Ces accords sont nécessaires dès lors que la France est un pays de destination pour les migrants serbes et kosovars et que les deux pays sont aussi des zones de transits de l'immigration irrégulière. Avant de présenter le contenu des accords et protocoles, je voudrais ainsi donner quelques éléments sur l'immigration serbe et kosovare et évoquer la question sensible des minorités du Kosovo.
La communauté légale serbe dans notre pays, implantée particulièrement dans les régions Ile-de-France, Rhône-Alpes et Alsace, est forte de quelque 35 000 individus. Depuis le 15 décembre 2010, les ressortissants serbes détenteurs d'un passeport biométrique sont exemptés de visa pour entrer dans l'espace Schengen, où ils peuvent séjourner pendant 90 jours par période de 6 mois. Cette libéralisation des visas a été suivie d'un afflux massif de ressortissants serbes dans l'espace Schengen. Les indicateurs de la lutte contre l'immigration irrégulière serbe en France ont marqué une très légère baisse en 2012 avec diminution de 13,6% en 2012 du nombre des interpellations de Serbes en situation irrégulière (305) et de 0,8 % pour les éloignements (240). La pression migratoire à la frontière enregistre quant à elle une légère hausse avec + 16,4 % de non admissions (55).
Concernant la communauté légale kosovare en France, sa population était estimée en 2012 à presque 11 000 personnes, en majorité recensées en Rhône-Alpes, Alsace et Bourgogne. Malgré une stabilisation des flux migratoires originaires du Kosovo, une partie de la population kosovare continue de fuir son pays et de rejoindre la France, qu'elle considère comme une terre d'asile. Les indicateurs de la lutte contre l'immigration irrégulière en France révèlent un léger recul en 2012. Le nombre des interpellations de Kosovars en situation irrégulière dans notre pays a ainsi reculé en 2012, notamment une baisse de 3 % des interpellations (612) et de 4,5 % des éloignements (402). Les ressortissants kosovars sont toujours soumis à une obligation de visa et la pression migratoire est de ce point de vue en nette baisse : -15,4 % (236 mesures de non admission).
La Serbie et le Kosovo sont également des pays de transit pour les migrants illégaux. La majorité de ces clandestins proviennent d'Asie centrale (Pakistan, Afghanistan), ainsi que de Libye, Somalie et Palestine. De nombreux migrants illégaux souhaitant accéder à l'Europe du Nord passent en effet par la Turquie et la Grèce, puis traversent la Macédoine ou le Kosovo pour gagner la Serbie.
Par ailleurs, à la nécessité de lutter contre les filières d'immigration clandestine, s'ajoute celle de lutter contre la traite des êtres humains, phénomène particulièrement préoccupant s'agissant du Kosovo et qui se manifeste surtout par l'exploitation sexuelle des jeunes filles et la mendicité des enfants. Le 2 décembre 2009, jour de la signature de l'accord de réadmission, a été également été signée une déclaration conjointe avec les autorités kosovares qui a déjà donné lieu à plusieurs coopérations. Je pourrais vous dire quelques mots sur ce sujet si vous le souhaitez.
Enfin, la question des migrants originaires de Serbie et du Kosovo doit aussi être abordée sous l'angle des demandes d'asile, encore nombreuses. 364 premières demandes et 72 demandes de réexamen ont été déposées auprès des autorités françaises en 2012 par des citoyens serbes. Cette demande d'asile serbe se compose à 75 % de demandeurs appartenant à la communauté Rom et de 25 % d'Albanais et de Bosniaques. Le Kosovo a quant à lui longtemps occupé le premier rang en matière de demandes d'asile (asile politique et protection subsidiaire) en France. 2 084 demandes d'asile kosovares ont été présentées à l'OFPRA en 2012 (à quoi s'ajoutent 527 demandes de réexamen). Il apparaît que 80% des demandeurs d'asile kosovars sont d'ethnie albanaise, les autres appartenant à des minorités, à la minorité Roms surtout.
Je ne peux pas passer sous silence la question particulière des minorités et plus spécifiquement des Roms du Kosovo. Je rappelle dans mon rapport les positions du Conseil de l'Europe sur la nécessité de tenir compte des discriminations dont souffrent les minorités et de la difficulté notamment pour le Kosovo de réussir leur réintégration. La Commission a présenté le 12 février 2012 le premier rapport sur les progrès accomplis par le Kosovo dans la mise en oeuvre des exigences de la feuille de route sur la libéralisation du régime des visas. Ce rapport atteste que le Kosovo a mis en place un cadre juridique et institutionnel notamment en matière de réadmission et de réintégration, mais dont la mise en oeuvre demeure très mitigée pour les minorités. Les progrès constatés doivent donc être amplifiés.
Il est à cet égard très heureux que le Conseil d'Etat ait annulé la décision du 18 mars 2011 du Conseil d'administration de l'OFPRA inscrivant sur la liste des pays d'origine sûrs l'Albanie et le Kosovo, catégorie qui limite l'accès au droit d'asile en permettant une procédure rapide d'examen. La précaution reste de mise lorsqu'il s'agit de renvoyer des populations minoritaires au Kosovo, qui d'ailleurs, en grande majorité, en repartent immédiatement.
Ces quelques remarques ne remettent pas en cause – loin s'en faut – l'utilité des accords qui nous sont soumis et qui permettent d'encadrer juridiquement les retours que notre pays, dans le respect du droit des personnes, met en oeuvre.
Pour la Serbie, l'accord de réadmission conclu avec l'Union européenne, déjà en vigueur, pose un cadre précis et opérationnel de gestion des procédures de réadmission avec une particularité qu'est l'inclusion des migrants apatrides ayant vécu en Serbie jusqu'en 1992, dans la mesure où de nombreux citoyens de l'ancienne République socialiste fédérative de Yougoslavie sont aujourd'hui encore dépourvus de toute nationalité. Son protocole d'application a été signé le 18 novembre 2009 à Paris notamment pour lever des blocages qui étaient apparu dans la mise en oeuvre des réadmissions à la suite de la conclusion de l'accord. Il n'entrera en vigueur qu'après sa notification au comité de réadmission prévu par l'accord.
La possibilité de prévoir un tel protocole est prévue par l'article 19 pour désigner les autorités compétentes en matière de réadmission et les points de passage frontaliers, établir les modalités applicables à la réadmission et au transit des ressortissants des Etats Parties et des pays tiers ainsi que les moyens de preuve et de présomption permettant de déterminer la nationalité des ressortissants de pays tiers et des apatrides et les conditions applicables à leur rapatriement et au transit sous escorte. Le protocole signé détermine effectivement les autorités compétentes, définit les points de contact et de franchissement des frontières, précise les moyens de preuve et de présomption de nationalité, et détaille les modalités d'escorte lors des procédures de transit ou de réadmission.
L'accord de réadmission que la France a signé avec le Kosovo a quant à lui fait l'objet de négociations rapides grâce au volontarisme et à la flexibilité des autorités kosovares, motivés notamment par l'ouverture de négociations sur la libéralisation des visas, toujours bloquée. La volonté de conclure un accord de réadmission avec la France a été signifiée par le Kosovo à l'automne 2009. La négociation durera moins d'un mois : le 2 décembre 2009 l'accord était signé à Priština. Le protocole a quant à lui était paraphé quelques mois après, le 18 février 2010.
L'accord avec le Kosovo reprend le modèle européen, y compris dans son économie générale puisqu'il comporte un protocole d'application et deux annexes relatives aux renseignements à fournir. Ses dispositions sont précisément présentées dans le rapport ; elles n'appellent pas de commentaire particulier par rapport aux accords de même nature déjà en vigueur, non plus que celles du protocole.
L'accord précise ainsi les obligations de chaque Partie en matière de réadmission de ses nationaux en situation irrégulière sur le territoire de l'autre Partie, en incluant les enfants mineurs célibataires ainsi que les conjoints, si ces derniers ne disposent pas d'un droit de séjour autonome. Tout refus d'une demande de réadmission doit être motivé. L'accord simplifie la procédure de réadmission de ressortissants d'Etats tiers ou d'apatrides qui ont transité par le territoire d'une des Parties. Il précise en outre les procédures de transit de ressortissants d'Etats tiers, conduites par une des Parties sur le territoire de l'autre dans le cadre d'une mesure d'éloignement. Une procédure de réadmission accélérée est aussi prévue.
Cet accord a une durée de validité de trois ans, renouvelable par tacite reconduction. Le Kosovo a d'ores et déjà accompli les procédures internes permettant l'entrée en vigueur de l'accord de réadmission et son protocole, et transmis son instrument d'approbation à la Partie française le 8 février 2010.
Il est à noter que tous les accords de réadmission prévoient que les frais liés à la réadmission et au transit sont à la charge de la partie requérante. C'est donc la France qui prend en charge le coût de la réadmission en Serbie ou au Kosovo des immigrés en situation illégale, y compris du transit. Ces dépenses sont financées sur le programme 303, « Immigration et Asile », action 3 « Lutte contre l'immigration irrégulière ».
Enfin, concernant la transmission de données, comme le soulignent les études d'impact des deux projets de loi, ni le Kosovo, qui n'est même pas lié par la Convention du Conseil de l'Europe pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, adoptée à Strasbourg le 28 janvier 1981, ni la Serbie, ne pourront se voir transférer des données à caractère personnel. La CNIL estime en effet qu'ils ne disposent pas d'une législation adéquate en matière de protection des données à caractère personnel, et à ce jour aucun des deux pays n'a fait l'objet d'une reconnaissance de protection adéquate par la Commission européenne. L'accord avec le Kosovo et son protocole ainsi que le protocole avec la Serbie permettront néanmoins à la France de développer dans le cadre de la coopération en matière de retour forcé l'échange de renseignements en matière d'immigration irrégulière, selon les modalités qu'ils fixent.
Pour conclure, je soulignerai que l'encadrement des réadmissions d'immigrants en situation irrégulière qui est proposé par ces accords et protocoles est bienvenu et tend à faciliter la mise en oeuvre de procédures très délicates. Ils ne nous dispensent évidemment pas d'assurer la qualité de nos procédures internes, notamment en matière d'examen des demandes d'asile. Et c'est sous le bénéfice de ce rappel que je vous propose d'adopter les deux projets de loi.