Si je n'ai aucun mal à comprendre votre merveilleuse langue, je lui rendrai un bien mauvais service en la parlant ; aussi m'exprimerai-je en slovène.
En mars 2011, j'ai eu l'honneur de signer avec M. Nicolas Sarkozy le partenariat stratégique franco-slovène ; l'exposition Les Impressionnistes slovènes et leur temps 1890-1920 qui s'ouvre aujourd'hui à Paris illustre l'approfondissement des relations entre nos deux pays, dans tous les domaines.
Deux décennies se sont écoulées depuis la fondation du nouvel État slovène, qui offrait au monde l'histoire d'un succès éclatant. Ensuite sont venues l'adhésion à l'Union européenne puis la récession, et nous nous sommes rendu compte que lors du passage à l'économie de marché, bien des décisions avaient été prises à la hâte. Il en est résulté que lorsque je suis devenu premier ministre, en 2009, la Slovénie était l'un des pays européens les moins bien préparés à affronter la crise. Alors qu'en 2008 notre PIB croissait de près de 1 % par trimestre, il s'est effondré de quelque 9 % en 2009.
Cette chute de la croissance a eu des conséquences dramatiques dans le domaine social, et la baisse de niveau de vie a elle-même entraîné des effets psychologiques au sein de la population. Le gouvernement se devait de prendre des mesures. Il l'a fait en se donnant pour priorité, en dépit des difficultés économiques internes, de régler le contentieux qui empoisonnait depuis dix-huit ans les relations entre la Slovénie et la Croatie voisine. Ne serions-nous pas parvenus à faire accepter à la population le principe de soumettre le litige à la Cour permanente d'arbitrage que nos relations avec la Croatie se seraient envenimées à nouveau ; l'éventuel succès des mesures d'ordre économique que nous aurions prises dans l'intervalle, aussi radicales eussent-elles été, en aurait pâti. C'est pourquoi j'ai donné la priorité au règlement de ces tensions. Étant donné la défiance croissante envers le politique, c'est un miracle d'être parvenu, avec le soutien du Parlement, à convaincre les électeurs slovènes du bien-fondé du recours à l'arbitrage – et je considère le 6 juin 2010, jour du référendum sur ce point, comme l'un des moments les plus lumineux de mon mandat de premier ministre.
Une fois réglée la question des relations avec la Croatie, nous avons entrepris de trouver des solutions à nos problèmes économiques et sociaux, ce qui nous a conduits à définir des mesures radicales et courageuses de stabilisation du secteur bancaire et du secteur privé : réforme des retraites, dispositif de lutte contre l'économie « grise » et réforme du marché du travail. Mais ces réformes, soumises à référendum, n'ont pas abouti.
Permettez-moi une incise : en ma qualité d'ancien premier ministre, je sais que l'une des priorités du Gouvernement est la révision des articles de notre Constitution relatifs au référendum. Le droit de pétition est actuellement si étendu en Slovénie qu'il est très facile de bloquer les décisions gouvernementales, et donc de freiner toute réforme, par des recours incessants au référendum. Cela complique sérieusement la conduite des affaires de l'État. Au cours d'une réunion qui s'est tenue le 14 février dernier, les dirigeants des partis politiques se sont mis d'accord à la fois pour ratifier le Traité d'adhésion de la Croatie à l'Union européenne et pour procéder à l'indispensable réforme du marché du travail. Il leur reste à limiter les critères constitutionnels permettant l'organisation d'un référendum.
Le Gouvernement de Mme Alenka Bratušek a commencé son ouvrage et notre Constitution ne me permet de commenter ni son action ni ses projets. Je serai néanmoins aussi direct que possible en vous disant pour commencer que le nouveau Gouvernement n'a d'autre choix que de réussir et que l'opinion publique est assez mûre pour comprendre que cela signifie une période de changement dramatique et brutal, caractérisée, je l'ai dit, par une révision constitutionnelle relative au champ du référendum, mais aussi par une réforme fiscale. Nous entendons aussi rétablir la santé de notre secteur bancaire en créant une structure de défaisance cantonnant les actifs douteux pour préserver les actifs sains ; c'est la seule solution permettant de sortir de la crise.
Cela étant, la Slovénie n'est pas Chypre, dont elle se distingue objectivement par des critères économiques majeurs. Ainsi, la part du secteur bancaire slovène dans le PIB du pays est incomparablement inférieure à celle de Chypre ; quant à notre dette publique, elle est inférieure à 60 % de notre PIB.
Il est vrai, pour autant, que nos trois banques publiques connaissent des difficultés. Si une partie des entreprises slovènes sont très dynamiques, d'autres sont largement endettées et les banques sont incapables de les financer, si bien que notre économie souffre de la raréfaction du crédit. Le gouvernement a décidé, je vous l'ai dit, de créer une structure de défaisance et d'utiliser différents instruments financiers propres à relancer le développement momentanément freiné par la constriction du crédit. Mme Alenka Bratušek a aussi annoncé la privatisation de certaines entreprises publiques, dont une banque. C'est une bonne décision.
Je souhaite dire devant vous ce que je dirai aussi, tout à l'heure, au président François Hollande : l'opinion publique slovène perçoit la France comme un partenaire sérieux, très apprécié et fiable. La France est considérée comme une grande amie de notre pays. Si vos commissions envisagent d'encourager des investissements français directs à l'étranger, la Slovénie serait heureuse de les accueillir, aussi bien dans le secteur bancaire que dans le secteur privé en général.
Pour en revenir un instant à la comparaison qui a pu être faite entre la situation de Chypre et celle de la Slovénie, je tiens à souligner que la Slovénie n'a pas besoin d'une assistance extérieure. Nous souhaitons que cessent les spéculations incessantes des marchés internationaux sur l'état de notre économie, mais il semble que ce soit un mal endémique ! Nous entendons venir à bout de nos difficultés en adoptant des mesures radicales à un rythme soutenu ; ce sera difficile sur le plan politique, mais nous n'avons pas d'alternative et, en ma qualité de Président de la République, je soutiendrai ces décisions. La Slovénie est capable de s'en sortir seule et elle le fera. À qui profitent les élucubrations de la presse mondiale, si prompte à demander, quand un État de la zone euro traverse une crise, quel sera le suivant ? Ce mécanisme aveugle s'auto-entretient. Sauf événement rigoureusement imprévu à ce jour, la Slovénie n'aura besoin ni de l'aide de la Troïka, ni de celle du mécanisme européen de solidarité, ni de celle du FMI. Des mesures difficiles seront prises et nous traverserons un moment politiquement difficile, mais très bientôt la Slovénie retrouvera sa solide réputation économique. Bien des raisons le permettent : les trois quarts de notre PIB proviennent de nos exportations ; nous venons de mener à bien la réforme des retraites ; le niveau de vie en Slovénie est plus élevé que dans d'autres pays de l'Union européenne. Ces facteurs économiques et sociaux permettront la reprise.
Voilà ce que je tenais à vous dire, en toute sincérité.