Votre question relative à la situation politique dans les Balkans, monsieur le président Poniatowski, rejoint celles de plusieurs de vos collègues. La convention d'arbitrage que, alors Premier ministre, j'ai signée le 4 novembre 2009 à Stockholm avec mon homologue croate, concluait une négociation très dure qui avait duré six mois ; il fallait mettre un terme définitif à des litiges nés de la disparition de la Yougoslavie, de manière qu'ils ne freinent plus l'intégration européenne. Ensuite, au début 2010, plusieurs pays de l'ancienne Yougoslavie ont lancé le « processus de Brdo ». Cette suite de rencontres informelles des chefs d'État et de gouvernement, ou des ministres, de l'Europe du Sud-Est – de la Slovénie jusqu'à l'Albanie – tend à faire progresser la réconciliation, gage de paix. Il ne faut pas croire que les ruines accumulées par cinq années de guerre sont oubliées ; à ce jour, les Balkans connaissent la paix, mais la stabilité n'est que relative, et le bien-être des populations est encore loin d'être acquis. Nous devons trouver les solutions politiques qui permettront d'empêcher la résurgence des tensions que pourraient provoquer la persistance de problèmes politiques et sociaux – des tensions dont les pays des Balkans n'ont vraiment pas besoin.
Une des raisons de ma visite en France, pays ami, est aussi d'appeler votre attention sur cette partie de l'Europe. En juin prochain, la Croatie deviendra le 28ème État de l'Union européenne, ce qui est très bien. Mais, pour parler honnêtement, ni la France ni les autres pays de l'Union européenne ne sont prêts à un élargissement ultérieur. Pourtant, si nous voulons maintenir la paix dans les Balkans il faut rétablir la confiance entre la Serbie et le Kosovo, trouver un avenir à la Bosnie-Herzégovine, donner un nom à l'État de Macédoine. Imaginez que, dans les Balkans, les frontières ne sont toujours pas définitivement tracées… Je souhaite donc l'appui de la France à la relance du processus de Brdo. Sans l'accord d'un chef d'État important, prêt à jouer de son autorité pour résoudre les problèmes en suspens au Sud-Est de l'Europe, comment trouver une solution ? Je me félicite que la Serbie revienne à la table des négociations avec le Kosovo, mais le processus ne sera pas simple, car les relations entre Belgrade et Pristina emportent des conséquences très délicates pour l'avenir des Balkans. Le processus de réconciliation doit se poursuivre, avec pour perspective l'intégration à l'Union européenne, même si elle n'a pas lieu tout de suite. Il va sans dire que si les pays concernés ne souhaitaient pas que nous participions à la résolution de leurs difficultés, je n'en parlerais pas – mais ils nous le demandent instamment et nous devons les entendre.
Pour commencer de répondre aux questions d'ordre économique, je souhaite vous donner des chiffres qui permettent de mesurer ce qui distingue la situation de la Slovénie de celle de Chypre : le secteur bancaire représente 140 % du PIB slovène, mais 800 % du PIB chypriote.
Comme cela a été souligné, notre secteur bancaire connaît des problèmes certains. C'est pourquoi mon gouvernement avait envisagé, en 2009 déjà, la création d'une structure de défaisance. Comme, à l'époque, les actifs toxiques représentaient 3 % du portefeuille des banques, nous avons considéré qu'il revenait aux établissements bancaires eux-mêmes de créer une structure de ce type, ce qu'ils n'ont pas fait. Les principales banques slovènes sont des banques publiques. Autant dire que, lorsqu'elles sont en difficulté, elles représentent une charge terrible pour l'État – et la Nova Ljubljanska Banka va mal. Les politiques comptaient sur les banques et les banques sur les politiques ; il fallait casser cette dynamique, et c'est pourquoi nous avons rédigé un projet de loi créant une structure de défaisance appelée à reprendre les créances douteuses des banques publiques. La discussion n'est plus de savoir s'il faut ou non vendre les bijoux de famille : nous avons un capital, il est sur le marché. Peu importe qui a la propriété d'une entreprise ; ce qui compte, c'est qu'elle soit viable, et je préfère une banque fonctionnant bien aux mains d'étrangers à une banque marchant mal entre des mains slovènes. Cela étant, il ne nous est pas indifférent de savoir qui deviendra le propriétaire d'une de nos banques publiques. Entendez cela pour ce que c'est : une invite aux investisseurs français ! La France est le cinquième investisseur étranger en Slovénie. Comme ailleurs, quelques entreprises, telles Lafarge, peuvent avoir des problèmes avec la société civile, mais c'est le cours normal des choses et nous sommes fiers du travail des entreprises françaises en Slovénie.
J'ai dirigé le parti social-démocrate slovène pendant quinze ans et je n'ai aucune propension idéologique à m'opposer à une décision que je considère comme inévitable : si nous ne privatisons pas, la recapitalisation des banques se fera aux frais des contribuables, ce qui n'est pas correct. Nous avons déjà injecté 750 millions d'euros dans nos banques au cours des trois dernières années, une somme très importante pour un pays de la taille de la Slovénie. À présent, nous allons vendre la participation de l'État dans ces établissements, et l'intérêt que pourrait manifester un repreneur français serait apprécié.
J'en viens à l'euro. Rappelez-vous dans quel contexte nous avons, en 2007, rejoint la zone euro : une époque de croissance qui semblait infinie, la bulle immobilière, Wall Street à son apogée… Tout semblait merveilleux. Je ne regrette aucunement cette décision, et si c'était à refaire, je la prendrais à nouveau, en toute connaissance de cause – mais je sais que certains, dans cette salle et en Slovénie, ne partagent pas ce point de vue. Je pense pour ma part que si l'euro ne se maintient pas, l'Union européenne ne s'en relèvera pas.
L'avenir de l'Europe passe par l'approfondissement de la coopération ; des interrogations se font entendre sur la voie choisie mais, quoi qu'il en soit, je reste un Européen convaincu. À cet égard, des divergences entre la France et l'Allemagne sur les moyens de résoudre la crise et le déficit public – l'union bancaire par exemple, ou encore l'union fiscale, qui tient, il faut le dire, de la quadrature du cercle puisqu'il s'agit d'harmoniser 17 politiques fiscales différentes – donneraient un mauvais signal. L'ambassadeur de France en Slovénie sait toute l'importance que j'attache à un partenariat étroit entre la France et l'Allemagne.
Il reste à déterminer si la crise que nous traversons est une crise conjoncturelle qui prendra fin quand nous aurons trouvé les solutions appropriées, après quoi le ciel économique s'éclaircira à nouveau. Je ne le pense pas vraiment, et je ne crois pas qu'une plus grande régulation du secteur bancaire suffirait à stabiliser l'économie. Force est de constater la fragilité intrinsèque de la zone euro, beaucoup plus exposée à la crise que ne le sont les États-Unis, la Russie, l'Inde ou la Chine. En l'an 2000, l'Union a adopté la stratégie de Lisbonne, qui devait faire de l'économie européenne, en 2010, la plus solide et la plus dynamique du monde. Il n'en est rien : au contraire, l'économie européenne est la plus fragile du monde.
C'est pourquoi, à mon sens, la construction européenne ne peut en rester à l'étape où elle est parvenue. Le social-démocrate que je suis ne pense pas qu'un plus fort endettement permettrait une relance économique : pour remplir un sac troué, on commence par le recoudre ! S'endetter davantage, c'est invoquer l'aide de dieux mauvais. Mais les institutions européennes nous permettront-elles de progresser, ou seulement de piétiner, au risque d'un futur très douloureux pour tous les peuples de l'Union ? L'influence que peut avoir la France sur l'avenir de l'Union européenne est beaucoup plus grande que celle de la Slovénie. Je suis de ceux qui attachent une extrême importance au partenariat franco-slovène, et je souhaite qu'il contribue à un nouvel enthousiasme en faveur de l'approfondissement institutionnel de l'Union européenne, en vue d'une union politique.
Avec votre autorisation, M. Karl Erjavec, qui a participé à la décision, répondra à la question relative aux sanctions économiques à l'encontre du Belarus.