Permettez-moi de vous brosser un panorama général de notre politique à l'égard du Maghreb avant d'aborder les questions plus particulières.
Le Maghreb est, plus que jamais, une zone d'importance stratégique pour la France, car il comporte des enjeux politiques, économiques, culturels et sécuritaires. Du point de vue politique, le printemps arabe a eu des répercussions majeures au Maghreb, avec des conséquences très spécifiques et incomparables d'un pays à l'autre. En Tunisie, qui est le véritable laboratoire du printemps arabe, la transition se poursuit. Si elle suscite parfois des inquiétudes, nous devons l'accompagner. Au Maroc, le Roi a pris les devants dès mars 2011, et il a introduit des réformes qui ont ouvert la voie vers une monarchie quasi parlementaire, avec l'adoption d'une nouvelle constitution en juillet 2011, puis des élections qui ont amené au pouvoir le PJD, le parti islamiste modéré. En Algérie, même si les autorités se défendent d'avoir réagi sous la pression, on ne peut nier que les révolutions dans les pays voisins ont pu inspirer manifestations et immolations par le feu. La Libye est un cas très différent en ce que la révolution a été suivie d'une opération militaire menée par l'OTAN. L'Afrique du Nord est donc dans une situation de fermentation politique et sociale qu'il convient d'analyser au quotidien afin d'adapter notre politique et de nouer des contacts avec les nouvelles autorités en place.
Avant même les révolutions arabes, la relation avec ces pays était déjà hautement politique en raison de spécificités historiques propres à chacun de ces États. Avec l'Algérie, la question lancinante de la mémoire est toujours au coeur de notre relation. Il faut la traiter en essayant de la dépasser pour orienter notre partenariat vers l'avenir. Le Maroc a fait du Sahara occidental une question d'intérêt national, sur laquelle leur dialogue avec la France est constant.. En Tunisie, depuis la révolution, la relation est très sensible.
L'Afrique du Nord représente également des enjeux économiques très importants. Nous sommes le premier partenaire commercial des trois pays. Les exportations françaises représentent en moyenne sur les dernières années à peu près 6 milliards d'euros avec l'Algérie, 5 milliards avec le Maroc et 4,5 milliards avec la Tunisie.. Pour autant, cette position dominante n'est pas acquise. Au cours des dernières années, nous avons perdu des parts de marché : 10 points avec le Maroc, 6 points avec l'Algérie, 5 points avec la Tunisie. Bien sûr, cela est dû à la croissance du commerce et des échanges de ces pays, mais aussi à la présence de partenaires internationaux plus agressifs tels la Chine ou l'Espagne. Nos échanges sont encore très importants, aussi devons-nous garder l'initiative et trouver des moyens, notamment pour nos petites et moyennes entreprises, de continuer à investir dans ces pays de façon à enrayer la dégradation progressive de notre part de marché.
Les enjeux culturels et humains constituent sans doute les aspects les plus importants de la relation bilatérale. Derrière les relations d'État à État, il y a de nombreuses personnes : environ 100 000 Français sont inscrits dans nos consulats au Maghreb – autant dire qu'ils y sont beaucoup plus nombreux ; près d'1 million de touristes par an se rendent au Maroc, autant en Tunisie ; 4 millions de personnes d'origine maghrébine vivent en France. À la différence des relations bilatérales avec d'autres pays, notre travail au quotidien consiste à traiter des dossiers très concrets, concernant par exemple des étudiants maghrébins, qui représentent 25 % des étudiants étrangers en France, des retraités des pays d'Afrique du Nord ayant travaillé en France, des problèmes d'hôpitaux, tous aspects très techniques attachés à cette dimension humaine particulière. Traiter ces questions de personnes nécessite d'avoir des relations de travail satisfaisantes, voilà pourquoi cette relation avec les pays d'Afrique du Nord est indispensable. Elle l'est notamment dans les dossiers d'enfants déplacés, toujours très douloureux. La visite d'État au Maroc en a donné une bonne illustration. Les interventions qui l'ont précédée ont, en effet, permis de retrouver l'enfant Enzo Taïbi, disparu depuis quatre ans, qui a pu être remis à sa mère à la veille de la visite du Président de la République.
Le Maghreb comporte, enfin, des enjeux sécuritaires et migratoires. Les événements au Mali l'ont montré, la clé de certaines problématiques sahariennes se trouve au Maghreb. Rappelons que plusieurs mouvements ont une origine maghrébine, notamment algérienne, et qu'un certain nombre de combattants sont maghrébins. Nous avons besoin de coopérer avec ces pays pour assurer le succès de l'opération Serval.
En conséquence de ces enjeux et du caractère stratégique de la relation entre la France et les pays du Maghreb, nous déployons une politique bilatérale dense et dynamique. D'abord, nous avons un dialogue politique de haut niveau, une relation bilatérale très suivie avec l'exercice régulier de réunions de haut niveau. Au Maroc, depuis 1997, les Premiers ministres se réunissent tous les ans, parfois tous les deux ans, la dernière fois étant en décembre dernier. Les visites du Président de la République font partie de cette relation. Au cours des dix dernières années, trois visites d'État de Président français ont eu lieu en Algérie. Le Président François Hollande a décidé de consacrer à l'Afrique du Nord ses premières visites d'État : la première s'est déroulée en Algérie, la deuxième au Maroc, une autre s'effectuera sans doute très prochainement en Tunisie. Le premier chef d'État qu'il a reçu était le roi du Maroc. Le dialogue bilatéral se nourrit aussi des échanges parlementaires, que nous suivons. C'est ainsi que notre ambassadeur en Algérie a reçu, entre le Sénat et l'Assemblée nationale, six missions parlementaires en deux mois.
Notre dispositif diplomatique est conséquent. Avec près de 800 agents, dont quelque 400 agents expatriés, nos trois postes à mission élargie constituent l'un des plus gros dispositifs au monde. Parmi nos ambassades, celle du Maroc est la plus grande au monde après celle des États-Unis. Notre maillage très important du territoire est assuré par six consulats généraux au Maroc, trois consulats généraux en Algérie et un en Tunisie.
Les crédits de coopération sont également très importants, les plus importants au monde, puisqu'ils atteignent près de 20 millions d'euros. Encore avons-nous été touchés par la contrainte budgétaire. Depuis 1996, les crédits de coopération pour les pays du Maghreb ont diminué de 40 à 50 % selon les pays. Aujourd'hui, avec des enveloppes deux fois moindres, on ne peut plus engager les mêmes actions qu'il y a dix ans, et cela nous incite à développer une logique de partenariat et à recourir davantage aux crédits européens.
Je passe sur notre dispositif scolaire et l'Institut français pour consacrer la dernière partie de mon intervention à nos actions aujourd'hui et à la façon dont nous nous adaptons à la nouvelle donne. Cette nouvelle donne est tout autant politique, avec l'arrivée au pouvoir des islamistes modérés en Tunisie et au Maroc, qu'économique, avec l'érosion de nos parts de marché, et sociale, avec ces sociétés en fermentation. Nous sommes dans une phase d'ajustement. Tout le monde a été surpris par les révolutions arabes. Ces processus en cours impliquent de notre part des ajustements de notre politique.
D'abord, nous nous sommes attachés à réaffirmer la solidité du partenariat avec ces pays. Pour toutes les raisons que j'ai mentionnées plus haut, il est très important pour la France d'avoir un dialogue confiant avec leurs autorités quelles qu'elles soient. D'où les visites d'État que le Président de la République a souhaité accomplir dès la première année de son mandat, l'idée étant vraiment de nouer des relations personnelles. Au Maroc, la réunion de haut niveau (RHN), où le Premier ministre était accompagné de neuf ministres, la visite d'État et la multiplication des visites ministérielles ont permis de confirmer la solidité de notre partenariat. Il en est de même avec les autorités algériennes. Nous constatons, dans notre travail au quotidien, sur des dossiers plus ou moins importants qui vont des biens immobiliers que nous souhaitons vendre à Alger au remboursement de la dette vis-à-vis de nos hôpitaux, que la visite d'État a vraiment permis d'apaiser et de relancer la relation, même si celle-ci reste complexe. Nous espérons conforter aussi nos liens avec les forces politiques tunisiennes. Nous encourageons les visites ministérielles, là aussi, pour tisser des liens humains et apprendre à travailler avec l'islam modéré. Je pense que les Tunisiens attendent de nous que nous réaffirmions notre confiance vis-à-vis de leur pays.
Nous nous sommes efforcés, ensuite, de développer de nouveaux thèmes dans les relations bilatérales. Le premier est celui de la jeunesse, qui a porté les révolutions arabes et qu'on ne peut pas laisser de côté. Les accords qui ont été signés lors des visites d'État en Algérie et au Maroc reflètent cette priorité. En Algérie, la mise en place d'instituts d'enseignement supérieur et technologique, l'équivalent de nos IUT, a été décidée. Les quatre établissements qui vont ouvrir à la rentrée seront les premiers d'un réseau qui comptera, à terme, quarante IUT dans toute l'Algérie. Au Maroc, huit accords ont été signés concernant l'enseignement supérieur, dans une logique un peu différente consistant à ouvrir des institutions françaises sur place en coopération avec des établissements d'enseignement supérieur marocains. C'est ainsi qu'une école centrale sera créée à Casablanca, qu'une faculté de médecine sera implantée à Agadir et que le CNAM sera également présent sur le territoire. En cherchant à développer la possibilité pour les jeunes Marocains de recevoir des diplômes français en étudiant dans leur pays, nous faisons un effort significatif et adressons un message très fort à la jeunesse.
L'économie est le deuxième thème que nous cherchons à développer. Des pactes de coproduction ont été signés à la fois avec l'Algérie et le Maroc, en vue de définir des filières qui permettraient de développer des activités en même temps en France et dans les pays d'Afrique du Nord. Un pôle aéronautique près de Casablanca fonctionne déjà avec succès sur ce mode. Le ministère des finances a lancé une mission pour trouver des filières industrielles partagées entre les pays d'Afrique du Nord et la France, qui devrait bientôt rendre ses conclusions. Le secteur agroalimentaire pourrait offrir de tels partages de valeur ajoutée. L'idée est vraiment d'avoir un partenariat gagnant-gagnant, de développer les activités en même temps dans les pays d'Afrique du Nord et en France.
Nous avons encore souhaité développer des projets en matière de développement durable. Ce thème d'avenir a été au coeur de la visite d'État au Maroc, et des contrats ont été signés dans le secteur éolien. Le Maroc développe un plan solaire très ambitieux pionnier pour la Méditerranée. Nous espérons que des entreprises françaises vont participer.
Nous cherchons à développer des coopérations triangulaires. Nous souhaitons faire du Maroc une plate-forme pour les activités de nos entreprises en direction de l'Afrique. Des accords bancaires ont été signés, mais aussi un accord entre Casablanca Finance City et Paris Europklace pour permettre le financement des activités de nos entreprises et des entreprises marocaines qui pourraient travailler conjointement en Afrique. Nous allons essayer de faire de même avec la Tunisie, cette fois en direction de la Libye, pour le marché de la reconstruction. Les problématiques de ce pays sont assez différentes, car en Libye il s'agit non seulement de reconstruction, mais de la construction même d'un État.
Enfin, malgré la question du Sahara occidental et la fermeture de la frontière entre l'Algérie et le Maroc, nous avons vraiment pour ambition de développer l'intégration maghrébine. Depuis le début de son mandat, le Président de la République a lancé l'idée de « Méditerranée de projets » qui s'est traduite, d'abord, par le maintien de notre soutien à l'Union pour la Méditerranée, ensuite, par une relance du dialogue 5+5. Cette instance de dialogue informel entre les cinq pays de la rive nord de la Méditerranée et les cinq pays de la rive sud remplit plutôt bien son office de promotion des rencontres ministérielles puisque, après avoir organisé, en décembre, la rencontre des ministres de la défense, elle a réuni cette semaine les ministres de l'intérieur et réunira la semaine prochaine, à Nouakchott, les ministres des affaires étrangères. Pour nous, le 5+5 doit être le laboratoire des idées élaborées conjointement avec nos plus proches partenaires de l'UPM.
Nous faisons de notre mieux pour répondre aux défis au quotidien. Or l'histoire en Afrique du Nord, et plus généralement dans le monde arabe, continuant de s'écrire, il nous faut sans cesse adapter notre politique. La priorité politique au Maghreb est bien là, et elle a été réaffirmée avec force au cours des derniers mois.