Intervention de Marie-Françoise Bechtel

Réunion du 18 septembre 2012 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Bechtel :

Je voudrais d'abord féliciter notre président pour l'initiative qu'il a prise. Il serait singulier que le Parlement ne puisse faire entendre sa voix, fût-ce indirectement, devant la commission Jospin. On a critiqué ici les comités dans lesquels siègent des fonctionnaires. J'ai moi-même été appelée à siéger en tant que telle au comité Vedel, qui est un peu le modèle du genre et dont je fus le rapporteur général. Il est fondamental – cette expérience me l'a prouvé – que le Parlement souverain fasse entendre sa voix auprès de telles instances. Nombre de questions se posent, dont certaines concernent notre statut, nos indemnités. Nous devons donc être à la hauteur de l'initiative, pour le rayonnement même du Parlement.

J'aborderai rapidement quatre questions. Le président a évoqué la première dans son introduction : il faudrait éviter de voir trop de droits proliférer dans la Constitution. Certes, nous n'y dressons pas un catalogue des droits fondamentaux, comme on en trouve dans la plupart des États dont la démocratie est en rupture avec un régime totalitaire, à commencer par l'Allemagne. Ce n'est là ni la tradition française ni la tradition britannique. Il y a, chez nous, notamment sous la IIIe République, toute une histoire des libertés publiques vues par le Parlement, et la définition des droits doit avoir une certaine consistance. Aussi, comme le président Urvoas, je m'interroge sur le principe de précaution, exemple même d'un droit déstabilisateur, intégriste, qui conduit le législateur à tenter de le contourner. Le Conseil constitutionnel a adopté en la matière une position d'une rigidité excessive, reconnaissant une portée normative stricte à la Charte de l'environnement qui a été adjointe à la Constitution, allant jusqu'à considérer que, si la Charte n'y est pas respectée, toute loi, tout règlement touchant à l'environnement peut être invalidé, soit par le Conseil constitutionnel, soit par le Conseil d'État. Cette règle est absolument extravagante et il serait bon que nous puissions, en réécrivant cette partie de la Charte de l'environnement, revenir sur la définition du principe de précaution et sur son extension dans la Constitution, pour lui donner une nature d'objectifs et non pas une nature de règles.

En tout état de cause, la question du rôle du Conseil constitutionnel doit être posée. Aujourd'hui, le Parlement est dépossédé de la loi par le haut et par le bas. Il en est dépossédé par le haut, c'est-à-dire par l'intervention des textes européens. En matière de droits et de libertés publiques, l'intégration de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dans le titre II du traité de Lisbonne est un sujet de préoccupation. La tradition française veut que le Parlement soit en quelque sorte l'auteur des libertés publiques. Mais la Charte européenne garantit seulement le maintien des traditions constitutionnelles communes aux États membres, et la France a des traditions constitutionnelles spécifiques, à commencer d'ailleurs par le principe de laïcité.

Mais le Parlement est aussi largement dépossédé par le bas, en raison d'une intervention souvent excessive du Conseil constitutionnel, ainsi que le prouve l'exemple du principe de précaution. Sans doute, on peut mettre ses espoirs dans la révision du mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel, mais prenons garde : s'il devient une cour suprême intouchable, il en prendra alors toutes les prérogatives et ira encore plus loin dans la dépossession du Parlement. Le remède, hardi, pourrait consister en ce que le doyen Vedel appelait, sans y être d'ailleurs nécessairement favorable, le « lit de justice » : lorsqu'une décision du Conseil constitutionnel lui paraît excessive, le Parlement peut l'infirmer par un vote à la majorité qualifiée. Il faut donc, pour cela – c'est tout l'intérêt de la réforme –, qu'une part substantielle de l'opposition soit d'accord avec la majorité.

Pour avoir beaucoup réfléchi à la question depuis 1993, il me semble d'autre part que la tradition républicaine française impose la mixité des politiques et des juges et ne souffre guère que l'on confie au juge de droit commun, fût-il de niveau très élevé, le soin de juger les actes des politiques. Il nous faut donc conserver une Cour de justice marquée par la mixité.

On a parfois confondu ici cumul des mandats et cumul des fonctions. À l'égard du premier, je conserve une certaine hésitation intellectuelle. On a évoqué, à propos du second, la possibilité de demander aux anciens énarques de démissionner de leurs fonctions. Sans vouloir prononcer un plaidoyer pro domo, je fais remarquer qu'il n'y a pas que des énarques à l'Assemblée nationale, il y a des enseignants, des attachés, différents fonctionnaires. La règle ne doit-elle pas s'appliquer à tous ? Pourquoi, d'ailleurs, ne l'appliquer qu'aux fonctionnaires ? Durant la durée de leur mandat de député, ils ne sont plus fonctionnaires, tandis que divers parlementaires continuent d'appartenir à des cabinets ou à des sociétés dont ils tirent des revenus, ce qui, du point de vue de la règle normale du cumul des fonctions, n'est pas acceptable.

La question du quinquennat a été évoquée. Elle déborde naturellement le cadre de la commission Jospin, dont on n'imagine guère qu'elle puisse revenir sur cette réforme. Le quinquennat a renforcé les deux camps principaux, ce qui pose un problème aujourd'hui où l'on voit émerger de fait, dans l'électorat, un troisième bloc dont chacun sait ce qu'il représente. Peut-être la réponse à cette question se trouve-t-elle dans une certaine dose de proportionnelle. La réforme a été proposée. Elle ne sera utile que si elle ne déstabilise pas les majorités présidentielles, acquis de la Ve République sur lequel nous aurions tort de revenir.

Enfin, je suis favorable à la réforme des parrainages qui a été proposée par le président.

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