Sans doute vais-je tenir des propos iconoclastes. Je ne cacherai pas la surprise qui fut la mienne lorsque j'ai appris la création de la commission Jospin. L'un des principaux thèmes de la campagne électorale avait été la nécessité de revaloriser le pouvoir du Parlement, le second tour des élections législatives s'était déroulé le 17 juin et voilà que, le 16 juillet, l'un des premiers actes du nouveau Président fut la création de cette commission ! Je m'étonne donc et, sans aller jusqu'à la colère, suis d'autant plus réservé que cette commission a clairement reçu le pouvoir de rédiger « des projets de textes » qui serviront ensuite à l'élaboration des réformes proposées, comme s'il s'agissait d'authentiques projets ou propositions de loi.
L'un des principaux critères ayant présidé à sa composition a sans doute été la répartition géographique de ses membres : les uns sont de Toulouse, les autres de Bordeaux, de Paris ou de sa banlieue. Y siègent nombre de personnes « anciennes », une ancienne ministre, un préfet honoraire, un ancien professeur : je suis surpris que l'on n'ait pas songé à se tourner vers l'avenir et à faire confiance aux générations nouvelles.
L'expérience aurait pourtant dû nous instruire. En 2007, sous l'impulsion de son président Jean-Luc Warsmann, la commission des Lois avait créé une mission d'information sur la clarification des compétences des collectivités territoriales, dont Jean-Jacques Urvoas était le rapporteur. Elle avait merveilleusement fonctionné et rendu un rapport préparant le « big-bang territorial » et présentant dix points pour réformer l'organisation administrative de la France. Mais elle ne tarda pas à être dépossédée de tout pouvoir car, dans le même temps, le Président de la République avait cru utile de créer la commission Balladur, laquelle oeuvra sans tenir compte du travail accompli ici même par le législateur, qui fut ensuite appelé à se prononcer non pas sur le fameux document du « big-bang territorial », mais sur le texte de la commission Balladur.
Aujourd'hui, tournons-nous résolument vers l'avenir. La commission Jospin doit aborder une douzaine de thèmes. Si nous voulions les reprendre tous dans le cadre de notre travail législatif, nous n'aurions pas trop de deux législatures pour en venir à bout. Il va donc falloir choisir. Pour ma part, je considère deux sujets comme prioritaires.
Le premier est le cumul des mandats. J'ai déposé naguère une proposition de loi aux termes de laquelle un député n'aurait pas pu exercer de mandat exécutif : 151 élus de gauche ont voté pour ce texte alors qu'il y en avait 220 qui normalement auraient dû le faire — il a donc manqué globalement 70 voix ; quant aux députés de droite, après avoir laissé entendre qu'ils pourraient également le voter, ils ont été 314 sur 320 à le repousser. Ne serait-il pas judicieux de revenir aujourd'hui à ce texte ? Un engagement a été pris pendant la campagne présidentielle. Chacun a son idée sur la question du cumul, qu'il s'agisse du cumul des mandats, du cumul des fonctions, du cumul dans le temps ou du cumul des rémunérations. Mais plus nous compliquerons, moins il sera facile de prendre rapidement des mesures concrètes. Il faut que nous soyons simples, pragmatiques, et il serait bon que, dès aujourd'hui, nous puissions constituer un groupe de travail au sein duquel, droite et gauche confondues, nous tâcherions de synthétiser nos conceptions, nos volontés, et d'aboutir à un texte qui serait rapidement voté.
En toute logique, un autre texte, concernant la réforme des collectivités territoriales, devrait découler de celui-ci. Lorsque, en 2009, nous avons examiné le texte relatif à l'intercommunalité, il a été envisagé de faire en sorte que toutes les communes appartiennent à une intercommunalité avant la fin 2010. Mais différents clivages ont alors fait échec à cette réforme : outre le traditionnel clivage entre la droite et la gauche, on a vu les députés siégeant dans un conseil général se battre pour la sauvegarde du département, tandis que ceux qui siégeaient dans un conseil régional faisaient tout pour que la région soit sauvegardée. À l'époque, nous avons manqué de rigueur et d'objectivité intellectuelles. Si nous voulons à nouveau aborder la réforme de l'organisation administrative de la France, il faut que, les uns et les autres, nous nous débarrassions de nos réflexes et oubliions nos origines locales. Commençons donc par traiter rapidement du non-cumul des mandats, pour décliner ensuite la réforme des collectivités. Il serait bon, là aussi, qu'une commission se mette rapidement en place pour travailler sur cette question essentielle.