Intervention de Jacqueline Fraysse

Séance en hémicycle du 14 mai 2013 à 15h00
Réforme de la biologie médicale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous parvenons au terme des tribulations d'une volonté de réforme du secteur de la biologie médicale, commencée par la voie d'une ordonnance et déjà manifestée par plusieurs textes.

Pour tenir compte du règlement européen du 9 juillet 2008 qui impose un organisme d'accréditation unique dans chaque pays, le rapport Ballereau, présenté en septembre 2008, a fixé les objectifs et tracé les contours d'une vaste réforme de la biologie médicale dans notre pays.

Le précédent gouvernement a, tout d'abord, introduit dans la loi HPST – Hôpital, patients, santé, territoires – la possibilité de recourir à des ordonnances. À l'époque, nous avions vivement dénoncé l'utilisation de l'article 38 de la Constitution qui, au lieu de permettre une application rapide de l'ordonnance du 13 janvier 2010, a surtout contribué à créer une instabilité juridique dont personne ne peut se réjouir.

Les principales dispositions de cette ordonnance introduites par voie d'amendements à la proposition de loi Fourcade ayant été censurées par le Conseil constitutionnel, la réforme a fait son retour dans une proposition de loi de nos collègues Préel et Boyer, adoptée à l'Assemblée nationale, mais non transmise au Sénat, ce qui explique le dépôt de ce nouveau texte.

Ce cheminement difficile ne résulte pas tant de la complexité technique de la réforme que de la difficulté de concilier deux objectifs qui, pourtant, devraient être complémentaires : mettre un frein à la financiarisation du secteur libéral de la biologie médicale et renforcer la sécurité des examens pratiqués, dont chacun mesure, je le pense, la place de plus en plus importante qu'ils revêtent aujourd'hui pour les diagnostics et les traitements.

Nous demeurons très réservés sur le fait qu'en application de l'ordonnance que l'article 1er de la proposition de loi vise à ratifier, un laboratoire d'analyses médicales pourra, demain, être considéré comme une seule structure constituée d'un ou plusieurs sites où sont susceptibles d'être effectués les examens de biologie médicale. Cette organisation juridique présente le risque de transformer certains laboratoires existants en de simples structures de prélèvements dont les analyses seraient effectuées ailleurs, ce qui, outre les difficultés inhérentes à l'éloignement et au transfert de ces prélèvements vers le centre d'analyses, risque de poser des problèmes de santé publique et de sécurité sanitaire pouvant engager, dans certains cas, le pronostic vital. J'ajoute que les dispositions introduites au Sénat visant à prendre en compte le traitement des situations d'urgence ne nous paraissent pas très convaincantes.

Je rappelle que la profession de biologiste est médicale, et non pas technique.

Notre seconde préoccupation, que cette proposition de loi entendait pourtant endiguer mais qui reste présente, est naturellement la financiarisation du secteur de la biologie médicale.

Nul n'ignore que des groupes financiers, fonds d'investissement ou fonds de pension tels que Labco, Duke Street, Capio ou encore ACCOLAB, groupe financier de laboratoires d'analyses médicales contrôlé par le fond de pension Allegro Investment Fund, basé aux îles Caïmans, sont aux aguets, quand ils ne sont pas déjà à la manoeuvre pour transformer la biologie médicale ou d'autres secteurs de la santé en « machine à cash ».

Pour ces nuisibles, la santé n'est qu'un marché, qui plus est solvabilisé par la sécurité sociale et, par conséquent, sans risque financier, dont les professionnels ne sont que les opérateurs. Le métier de ces grands groupes, c'est la finance, et ils y sont très compétents. Nul doute qu'ils contourneront sans difficultés les quelques dispositions de cette proposition de loi.

Enfin, la procédure d'accréditation continue de susciter notre inquiétude. Si nous sommes évidemment très attachés, comme tous ici, je suppose, à la sécurité sanitaire et au renforcement de la qualité – et, de ce point de vue, nous apprécions les dispositions accordant des délais et prévoyant des paliers pour permettre à tous les laboratoires, notamment aux plus petits, aux plus modestes, de se mettre en conformité –, nous continuons de penser que les dispositions du texte peuvent renforcer le risque de financiarisation, être le cheval de Troie de la concentration des sites.

En effet, un grand nombre d'établissements de proximité ne pourront supporter la charge des travaux, équipements et mises aux normes exigés pour être accrédités. Ils n'auront plus alors que deux solutions : fermer, en étendant davantage encore les déserts sanitaires que nous combattons, ou vendre aux groupes financiers, avec le risque de voir l'activité de leur laboratoire se réduire aux seuls prélèvements.

Fondé sur un principe de sécurité sanitaire incontestable, mais dépourvu d'accompagnement particulier, notamment financier, le passage des normes existantes à celles requises pour l'accréditation pourrait conduire au résultat inverse de celui que nous recherchons. C'est en tout cas une inquiétude que nous tenons à souligner encore aujourd'hui.

De même, ainsi que je l'avais indiqué en première lecture, si la suppression des ristournes sans compensation, que nous ne contestons pas dans son principe, renforce la médicalisation de la profession, elle fragilisera également les centres de santé et les hôpitaux qui en bénéficient actuellement.

Pour conclure, nous partageons les objectifs annoncés, mais le texte ne permet pas de les atteindre. C'est pourquoi les députés du Front de Gauche maintiendront leur vote d'abstention.

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