Intervention de Axelle Lemaire

Séance en hémicycle du 14 mai 2013 à 15h00
Prorogation du mandat des membres de l'assemblée des français de l'étranger représentation des français établis hors de france — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAxelle Lemaire :

Pour bien comprendre les enjeux, il est essentiel de revenir aux raisons qui ont pu pousser notre pays à octroyer des droits électoraux à des citoyens qui ne résident pas sur le territoire national. Nous considérons en effet que l'exercice de la citoyenneté ne se rattache pas aux frontières et qu'il s'affirme de plus en plus, dans les faits, au-delà des frontières. En 2013, un Français qui habite l'Alsace, la Bretagne ou le Languedoc-Roussillon peut facilement avoir passé une période de sa vie à l'étranger, et la probabilité qu'il y retourne ou que l'un de ses enfants ou de ses proches y séjourne, de manière temporaire ou définitive, est plus importante qu'auparavant. Les déplacements plus faciles, les nouveaux outils de communication, l'internationalisation du marché de travail comme de l'espace d'études et de recherche, les difficultés en France, le nombre croissant de couples binationaux, tous ces phénomènes ont contribué à accroître la mobilité des Françaises et des Français qui commencent ainsi, peu à peu, à sortir de la sédentarité qui les caractérisait et qui faisait d'eux l'un des peuples européens les moins mobiles, en particulier par rapport à nos voisins allemands et britanniques. Ce constat d'une normalisation de la composition de la population française à l'étranger, dont le profil s'éloigne des schémas traditionnellement véhiculés sur les expatriés, les coopérants, les personnels diplomatiques et les exilés fiscaux, obligeait à adapter nos institutions à cette nouvelle réalité.

La réforme de l'AFE a ainsi ce mérite d'apporter une meilleure représentativité de la nouvelle sociologie française à l'étranger, qui se rajeunit, qui se féminise, qui se diversifie, puisque cette réforme élargit le nombre d'élus locaux pour le porter à 444, sur une base antérieure de 155 élus à l'Assemblée des Français de l'étranger. Avec les députés de l'étranger, la représentation est désormais complète au niveau national en France. Avec cette réforme, madame la ministre, elle est parachevée au niveau local à l'étranger.

Le premier enjeu de cette réforme, c'est la démocratie. Tel est l'objectif poursuivi par ce texte : rapprocher les citoyens des instances décisionnelles. Nous passons d'une assemblée centralisée à Paris, au rôle mal connu et souvent ignoré des personnes qu'elle est censée représenter, coûteuse, pour créer plus d'une centaine de conseils consulaires répartis sur les territoires à l'étranger, au sein desquels nos élus auront un poids réel aux côtés des chefs de poste diplomatique ou consulaire. Ils seront amenés à se prononcer sur des sujets relatifs aux questions consulaires et d'intérêt général, notamment culturelles, économiques, sociales et éducatives. La culture politique, celle de la discussion, du débat, de la confrontation des points de vue et du contrôle, rencontrera ainsi celle de la diplomatie.

La démocratisation du dispositif de représentation s'opère également par l'élargissement du collège électoral des sénateurs de l'étranger, grâce la multiplication du nombre de délégués consulaires : cela permet là aussi d'asseoir la crédibilité de nos instances représentatives à l'étranger.

L'enjeu de cette réforme, c'est également la transparence : nous avons eu raison, en commission des lois et sur la proposition de notre collègue René Dosière, de revenir sur l'amendement défendu par le Sénat concernant le fonctionnement des campagnes électorales à l'étranger. Les associations d'utilité publique, qui agissent au quotidien aux côtés de nos concitoyens pour les conseiller et les accompagner, n'ont pas vocation à participer au financement de campagnes électorales sur des fonds publics. Nous ne pouvons pas, parce que nous sommes à l'étranger, déroger au droit électoral qui s'applique en France.

Pour clarifier les compétences et les niveaux d'intervention, il faut aussi soutenir le projet de Mme la ministre de confier aux élus du futur Haut Conseil la tâche d'émettre des avis techniques et politiques sur le budget, l'administration consulaire, le réseau éducatif, comme le ferait un Conseil économique et social des Français de l'étranger. Ce rôle ne doit pas être sous-estimé, puisque c'est désormais le ministre des affaires étrangères qui devra répondre de son action et expliquer le budget de son administration devant les élus de la future instance.

Pour finir, Thucydide, dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse, nous apporte la démonstration exemplaire que l'exercice de la démocratie n'est pas forcément lié au territoire national. Au printemps 411 av. J.-C., alors que la guerre contre Sparte se déroule mal, un coup d'État a lieu à Athènes où le régime démocratique est remplacé par l'oligarchie des Quatre Cents.

Mais l'essentiel de la flotte athénienne, plus de quatre-vingts vaisseaux, se trouve alors dans le port de l'île de Samos, une des alliées d'Athènes. Aux nouvelles du coup d'État, les soldats et marins, tous citoyens, se réunissent en assemblée et décident d'élire de nouveaux dirigeants, tout en prêtant serment de fidélité à la démocratie.

Eh bien, cette idée que l'état démocratique, la cité, existe avant tout par ses citoyens et non pas par son territoire, vous la défendez, madame la ministre, vous la défendez localement à l'étranger. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

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